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CHAPITRE 4 Résultats

4.1. A NALYSE DU CAS DES ILES DE LA M ADELEINE

4.1.1. Pourquoi une aire marine protégée aux îles de la Madeleine ?

Tel qu’exposé précédemment, le gouvernement du Canada s’est engagé, tant au plan international que national, à protéger son environnement marin. Dans la foulée de ces engagements, l’Agence Parcs Canada (APC) a été appelée à effectuer des travaux préliminaires dans les années quatre-vingt-dix visant à identifier les sites pertinents à protéger dans le golfe du Saint-Laurent. De ces études est ressortie la pertinence de créer une aire marine nationale de conservation (AMNC) aux îles de la Madeleine.

Une fois le site ciblé, l’APC s’est rendu sur les lieux pour expliquer à la population, aux acteurs politiques et économiques en quoi consisterait la mise en place d’un projet d’AMNC sur le territoire des îles de la Madeleine. Dans la mesure où le projet d’AMNC se trouve sur un territoire considéré comme québécois, le gouvernement du Canada ne pouvait pas politiquement se permettre d’aller de l’avant sans l’accord du provincial. Tel que nous l’avons vu précédemment, bien que les deux paliers de gouvernement aient les compétences nécessaires pour mettre en place une aire marine protégée sur le territoire des îles de la Madeleine, il existe le principe de prépondérance législative fédérale (cf. section 2.2.2.) qui

permettrait au gouvernement canadien de mettre en place une AMNC sans l’accord du Québec. Néanmoins, agir de la sorte reviendrait à se mettre à dos le gouvernement du Québec. L’APC a donc attendu de recevoir une demande formelle de la municipalité des Îles- de-la-Madeleine pour initier le projet.

Une aire marine protégée ça prend, surtout dans le golfe là, il faut que le provincial soit d’accord. On ne peut pas le faire sans la présence du provincial et vice versa. Vous savez que les fonds marins sont de propriété fédérale, mais on n’est quand même dans un territoire qui est revendiqué par le Québec, autour des îles de la Madeleine qui est un territoire québécois, donc la présence québécoise est extrêmement importante (Qc-27).

Fort de cette demande faite par la municipalité, le gouvernement du Canada a annoncé, en 2004, la réalisation d’une étude de faisabilité sur le territoire des îles de la Madeleine. À l’époque, le projet était piloté par l’APC sans la collaboration du gouvernement du Québec. Dès lors, un chargé de mission travaillant pour l’agence a été déployé aux îles de la Madeleine afin d’aller à la rencontre de la population et développer une première étude de caractérisation du territoire. Son rôle a été de présenter et démystifier ce qu’était une AMNC aux Madelinots tout en allant vers les organismes locaux afin d’aller chercher les données présentes sur le territoire pouvant nourrir cette première étude. Avec la collaboration d’organismes tels que le Comité ZIP des Îles-de-la-Madeleine et Attention FragÎles un diagnostic régional a été réalisé en 2005 (Archambault, 2005). Depuis l’annonce faite en 2004, l’APC a entamé diverses démarches, mais sans que ce soit vraiment officiel, car elle attendait l’accord du gouvernement du Québec pour aller de l’avant.

L’approbation ne venant pas, le projet s’est retrouvé dans une impasse politique.

On sentait bien que le fédéral ne voulait pas heurter le Québec et donc ne voulait.. même s’il avait toute l’autorité, ne souhaitait pas faire de projet si le Québec n’était pas d’accord (Qc-14).

Selon les répondants, si cette approbation ne venait pas de la part du gouvernement du Québec c’est, d’une part, parce que ce dernier n’a jamais reconnu la loi sur les AMNC. Pour cause, la mise en place d’AMNC est conditionnelle à ce que les terres visées par le projet appartiennent au fédéral. Ainsi, dans le cas où les terres n’appartiendraient pas déjà au gouvernement fédéral, elles doivent lui être transférées. Pour le Québec, cela revient à accepter de perdre, au profit du fédéral, les territoires ciblés pour ce type de projet.

Cette loi contient une disposition à l’effet que le territoire d’une aire marine nationale de conservation doit être exempt de toute revendication territoriale ce qui obligerait le Québec à reconnaître qu’il n’a pas de propriété sur un territoire désigné en aire marine nationale de conservation (Qc-13).

Ainsi, dès l’adoption de la loi sur les AMNC (2002) par le gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec a interdit à ses fonctionnaires de participer de près ou de loin à des travaux qui étaient en lien avec cette loi :

au moment où cette loi a été adoptée par le fédéral, le Québec interdisait à tous ses fonctionnaires de participer à quelques travaux que ce soit qui concernait cette loi et nous interdisait même d’assister à des rencontres comme observateurs, donc on était complètement en dehors du dossier (Qc-14).

D’autre part, pour faire un contrepoids aux lois sur les AMNC et les zones de protection marines (ZPM), le gouvernement du Québec s’est doté de la loi sur la conservation du patrimoine naturel (2002) qui permettait au ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs de créer des réserves aquatiques. Il était donc maintenant possible pour le gouvernement du Québec d’agir seul en matière de protection des milieux marins.

En 2006, le gouvernement du Québec a demandé à l’APC de suspendre les démarches en cours relatives au projet d’AMNC sous motif que ce projet n’était pas supporté par la province et que celle-ci entendait assumer ses pleines responsabilités en matière de conservation de biodiversité marine et d’exploitation des ressources naturelles et

extracôtières. En contrepartie, le gouvernement du Québec a invité le gouvernement fédéral à venir discuter d’un projet d’AMP48 au sein d’un comité bilatéral où ils pourraient travailler ensemble de manière formelle. En décembre 2007, le groupe bilatéral sur les aires marines protégées (GBAMP) a été créé. Il a donc été question, au sein du groupe de travail, de reprendre le projet depuis le début et de le construire en partenariat. Plus récemment, les gouvernements du Québec et du Canada ont ratifié l’Entente Canada-Québec sur le Saint- Laurent aussi appelé Plan d’action Saint-Laurent 2011-2026. Dans la mesure où ce plan d’action vise à conserver et mettre en valeur le Saint-Laurent, le GBAMP a fait les démarches nécessaires pour le joindre. Ainsi, depuis 2011, le GBAMP œuvre dans le cadre du Plan d’action Saint-Laurent.

Par ailleurs, bien que les gouvernements aient trouvé un espace de discussion pour faire avancer différents projets d’AMP, dont celui des Îles-de-la-Madeleine, il reste une tension bien réelle entre les gouvernements en ce qui a trait au statut à attribuer au projet. Afin de dépasser le statu quo dans lequel se trouvait le projet d’AMP, les gouvernements ont décidé de mettre leurs différends de côté le temps d’une première phase de caractérisation du territoire :

pour sortir de l’impasse, la solution a été de ne pas référer à l’un ou l’autre des statuts, de seulement se concentrer sur les objectifs d’étude de caractérisation (Qc- 13).

Cette décision commune a permis la concrétisation d’un accord permettant la réalisation d’une étude concernant la création d’une aire marine protégée aux îles de la Madeleine.

48 On utilise ici le générique AMP pour faire référence aux différents outils juridiques utilisés pour protéger la

4.1.1.1. Pouvoir réel ou perçu de la municipalité

Entre 2006 et 2011, au moment où le projet d’AMP aux îles de la Madeleine était discuté au sein du GBAMP, la municipalité des Îles-de-la-Madeleine a travaillé activement à faire pression sur les gouvernements du Québec et du Canada afin que le projet puisse aller de l’avant. Cette pression s’est alors effectuée tant au plan médiatique que politique lors de rencontres entre le maire de la municipalité des Îles-de-la-Madeleine et des représentants ministériels. À cet effet, l’ancien maire des Îles-de-la-Madeleine souligne :

je me souviens très bien que quand on a rencontré le premier ministre, ça avait été précédé de l’envoi d’une lettre qui avait aussi été partagée avec les médias et donc, avant même que le premier ministre débarque, il y avait une pression médiatique sur le gouvernement pour qu’il se commette, pour qu’il s’exprime, pour qu’il dise s’il était plutôt favorable et si ce n’était pas le cas, pour qu’il explique pourquoi.

La municipalité demandait alors publiquement aux gouvernements de mettre de côté leur différend en ce qui a trait à la propriété des fonds marins de sorte qu’il puisse y avoir une étude de faisabilité concernant une AMP aux îles de la Madeleine :

on disait, pour faire une étude de faisabilité, il faut mettre de côté la bataille des juridictions pour d’abord vérifier si le dossier est valable. Ensuite, si on voit qu’on veut mettre un projet comme ça en place, on pourra voir aux aménagements possibles » (Qc-16).

Les acteurs municipaux insistent sur le fait que le projet n’en serait pas là aujourd’hui sans la pression effectuée par la municipalité. Si son influence est réelle ou supposée, la question se pose. Par contre, une chose est certaine, amener le projet dans la sphère publique/médiatique et signifier son intérêt a certainement joué en faveur du projet.