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Chapitre 1. La Ticéitude: modèle d’apprentissage du FLE en ligne et perspectives didactiques

1.5. La notion d’apprenance

Toute culture véritable est prospective. Elle n’est point la stérile évocation des choses mortes, mais la découverte d’un élan créateur qui se transmet à travers les générations et qui, à la fois réchauffe et éclaire. C’est ce feu, d’abord, que l’Éducation doit entretenir. (Gaston Berger, «L’Homme moderne et son éducation, 1962.»)

La notion d’apprenance est un néologisme qui définit une attitude et des pratiques individuelles et collectives par rapport à l’acte d’apprendre. Cette notion exprime une volonté d’apprendre et d’apprendre ensemble. Ce néologisme est apparu dans la première moitié des années 1990, lié aux travaux de l’américain Peter Senge et d’Alain Gauthier (1991). Ce concept a ensuite été repris par Philippe Carré, professeur à l'Université de Nanterre (L’Apprenance, vers un nouveau rapport au savoir, (Dunod 2005). Le concept d’apprenante est indissociable de la formation digitalisée. Reprenons la définition de Philippe Carré23 (2006, p 1):

L'apprenance décrit un ensemble stable de dispositions affectives, cognitives et conatives, favorables à l'acte d'apprendre, dans toutes les situations formelles ou informelles, de façon expérientielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite.

L’apprenance est une attitude favorable à l’apprentissage. L’apprenance et l’apprentissage sont deux attitudes complémentaires. L’apprentissage comporte une dimension individuelle et parfois contractuelle du «maître» à l’élève. On pourrait dire que la formation comme on l’entendait dans les années 80 ou 90 est obsolète. Aujourd’hui, les gens sont appelés à apprendre par eux-mêmes. On ne parle plus de transmission du savoir mais de transmission de l’information selon trois axes:

1. le vouloir apprendre;

2. le savoir apprendre;

3. le pouvoir apprendre.

Nous abordons ici la question de la compétence en fait: la compétence, c’est savoir, pouvoir et vouloir (Guy Le Boterf, 1998) et non pas de vouloir la pédagogie qui va convenir à tout le monde. C’est en fait inventer et consolider un univers polyvalent où l’apprenant pourra apprendre le plus facilement possible dans le plus de circonstances possibles sur les modes les plus différents possibles. D’après Philippe Carré, il y a 6 façons d’apprendre:

2. la deuxième, c’est de suivre une formation à distance où les programmes peuvent être individualisés. C’est ce qu’on pourrait appeler une espèce de préceptorat technologique qui aide, qui guide et qui accompagne les étudiants, les apprenants qui en ont besoin sur des parcours individualisés. Il s’agit en fait d’une forme d’accompagnement avec un programme conçu à l’avance. C’est d’ailleurs ce que nous avons mis en place avec nos dispositif en ligne de FLE. Certains parlent de formation sur mesure assistée par les technologies. Là encore, c’est ce que nous proposons que nous parlons de «cours à la carte» dont nous reparlerons plus loin;

3. le troisième modèle d’apprentissage est celui de l’auto-formation accompagnée. En partant des

projets des apprenants, il s’agit de les accompagner avec une structure facilitante d’accompagnement;

4. la quatrième façon d’apprendre et ce qu’on appelle le modèle de l’expérience de la vie;

5. le cinquième façon d’apprendre est le mode de formation sur le tas (au travail) ou sur le terrain. Il s’agit d’une expérience de terrain au travail;

6. le sixième modèle est celui de l’autodidaxie. C’est le cas de ceux qui ont tout appris par eux-mêmes ou presque. On apprend par ses propres moyens en rupture avec l’institution mais jamais dans la solitude.

Dans «l’apprenance», il s’agit de comprendre ce «vouloir apprendre» ou son absence qui débouche sur la résignation. Nous faisons référence ici à l’autodétermination, c’est-à-dire le choix, le sentiment d’efficacité personnel. En ce qui concerne, le savoir apprendre, il faudrait arriver à fédérer ce qui existe et arriver à en tirer des synthèses qui permettraient de mieux comprendre comment doter l’apprenant d’instruments qui ne sont pas trop restrictifs. Il est aussi essentiel de créer une démultiplication des lieux et des modalités pour apprendre. Cependant, nous sommes convaincus qu’il faudra toujours des enseignants, des pédagogues qui ont mis de côté leur costume «d’enseigneur» (le détendeur du savoir absolu), donc ces personnes seront plus des animateurs de formation. De nos jours, il est essentiel de développer le métier d’ingénierie pédagogique, c’est-à-dire des gens qui travaillent sur la réalisation de supports et de consolidation didactique. A l’évidence, le professeur gardera toujours son rôle de guide, d’orientation et d’évaluation. L’apprenance s’inscrit dans l’optique du développement du capital humain. Nous évoluons vers l’économie du savoir. Cela ne représente pas un progrès mais nous parlerons plutôt de métamorphose donc un changement de paradigme. Dans notre approche, avec notre dispositif en ligne (plateforme), nous avons créé un terreau pour innover afin de pouvoir rendre chaque apprenant auteur de sa formation. Il s’agit de créer une écologie d’un groupe en apprenance. C’est à la fois développer l’apprentissage individuel mais aussi collectif. L’apprenant apprend seul mais n’est jamais seul. L’interaction social est au cœur du développement cognitif de l’apprenant. Mais cette notion d’apprentissage collectif n’est pas nouvelle. Au Moyen âge, l’historien Abd Ar-Rahmân Ibn Khaldûm, père de la sociologie disait déjà que pour apprendre, l’apprenant devait prendre part à des entretiens. Dans son livre La Muqaddima (1377), il écrivait: «le développement des connaissances

et des compétences est atteint par la discussion, l’apprentissage collectif et la résolution des conflits cognitifs par le co-apprentissage». Il s’agit d’être enseigné et formé par les autres étudiants. En état d’apprenance, il y a une dimension cognitive, la gestion de l’apprentissage, la dimension de se fixer des objectifs et de s’y tenir, celle de planifier son apprentissage, de réguler ses efforts et de mémoriser efficacement. Il s’agit aussi de se constituer et d’utiliser de façon pertinente son environnement d’apprentissage personnel. Il y a aussi - à l’évidence - une dimension affective: les émotions ressenties au contact du savoir et de l’enseignant ou formateur (souffrance ou réussite). Finalement, il y a une dimension conative. Il s’agit ici de s’engager dans l’action d’apprendre, de définir des choix et des orientations, des conduites. C’est le projet d’apprendre: ce qui pousse ou freine l’apprenant à s’engager dans un parcours formatif.

Etre en apprenance, c’est engager un renversement du sens pédagogique, se focaliser davantage sur l’apprenant et ses capacités et ses motivations à apprendre. Aujourd’hui, ce n’est plus le professeur (le sachant) qui transmet le savoir ou le non-sachant, mais le moins sachant (l’apprenant) qui va chercher le savoir dans l’environnement. Aujourd’hui, l’enseignant, plutôt que d’enseigner, devra être capable de développer les capacités d’apprenance chez l’apprenant en le formant au techniques d’apprentissage (métacognition) et en développant le plaisir d’apprendre. Nous disons qu’apprendre, c’est le plaisir de rechercher, de découvrir, de vouloir en savoir plus, de partager, d’échanger avec les autres, d’aller vers l’autre, les autres (Go towards) et finalement de relever des défis. Apprendre avec plaisir est une volonté en fait: celle de rester en phase avec les autres et son écosystème. En état d’apprenance, on exprime cette volonté d’apprendre et d’apprendre ensemble. Le défi des professeurs de demain sera de former les jeunes à cette soif d’apprendre qui semble se perdre aujourd’hui et de les rendre éclectiques. Spinoza polissait des verres, dit-on. 24 On imagine bien un médecin ou un avocat qui écrirait aussi de la poésie ou jouerait d’un

instrument comme un virtuose.

En état d’apprenance, on crée un environnement où l’on peut apprendre seul avec les autres, où on reconnaît le besoin de l’autre, des autres, ou on sait qu’appendre est nécessairement un acte individuel mais collectif. Finalement, apprendre, c’est être soi-même grâce aux autres! Nous ne résistons pas au plaisir de citer encore Gaston Berger: «que chacun soit tel qu’il veut être! Plus il sera différent de moi, plus il pourra m’aider à être moi-même».

L’apprenance va de pair avec l’accélération du devenir humain.