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Note sur la formation des zones de recirculation

Les paragraphes précédents soulignent l’importance de l’existence ou non des zones de recir- culation sur la structure de l’écoulement azimutal obtenu. Il est donc pertinent de comprendre les mécanismes à l’origine de ces courants dans le plan méridional. Pour cela, analysons la cé- lèbre expérience des feuilles de thé de Einstein (1926), initialement introduite par analogie avec les phénomènes d’érosion dans le lit des cours d’eau. Considérons donc une tasse remplie d’eau dans laquelle quelques feuilles de thé ont été ajoutées. Les feuilles de thé, plus denses que l’eau, se répartissent au fond de la tasse au repos. Lors de la mise en rotation du fluide à l’aide d’une cuillère (en gardant la tasse fixe), les feuilles se déplacent en suivant le fond de la tasse pour venir

5.4. NOTE SUR LA FORMATION DES ZONES DE RECIRCULATION 59

Figure 5.3 – Figure extraite de Bergmann et al. (2011). Résultats de PIV obtenus dans un cas démouillé. Avec nos notations, r1 = ξ (rayon de la zone démouillée) et r2 = R (rayon de la

cuve).(a) Coupe méridionale de l’écoulement, la ligne blanche correspond à h. (b) Composantes de vitesse au niveau de la surface libreu et v. Résultats de PIV (symboles) et théoriques à partir des équations (5.9) dans lesquelles le profil deh extrait de (a) est injecté (lignes). Pour r > ξ, la ligne épaisse continue correspond à l’évolution potentielle théoriquev∼ 1/r et est à comparer aux résultats de PIV pour la vitesse azimutale (cercles), la courbe pointillée correspond aux résultats théoriques obtenus pouru et pour cette composante les résultats de PIV sont matérialisés par des symboles carrés. Pour r < ξ, une fine couche fluide tourne à la même vitesse de rotation que le disque.

s’accumuler au centre6 , indiquant un écoulement centripète proche de la paroi du fond. Ce phé-

nomène est associé à l’effet centrifuge induite par la rotation qui communique une vitesse radiale aux particules fluides ainsi repoussées vers l’extérieur. La condition d’adhérence sur le fond induit quant à elle un gradient vertical de vitesse azimutale dans la couche limite proche du fond et donc une diminution de l’effet centrifuge dans cette zone. En conséquence, le fluide est repoussé sur les bords par effet centrifuge dans l’ensemble du recipient, mais de façon moins intense proche du fond. En conséquence, un écoulement retour de type centripète doit s’effectuer en raison de la conservation du volume et sera alors privilégié dans la couche limite proche du fond. De cette façon une zone de recirculation s’établit dans le plan méridional comme le montre la figure 5.2(c) et un état stationnaire est atteint si l’agitation est invariante dans le temps. La couche limite créée au fond du cylindre est parfois appelée couche limite d’Ekman et le phénomène d’aspiration induit au centre du récipient est parfois appelé succion d’Ekman (Ekman sucking).

Ce phénomène va nous permettre de comprendre de façon qualitative l’apparition et le sens des zones de recirculation principales apparaissant dans le cas de l’azote liquide en rotation (expérience de Tophøj et al. (2013) détaillée au chapitre 4) ainsi que dans le cas de l’expérience à fond tour- nant. Dans le premier cas, les arguments théoriques repris de Bergmann et al. (2011) ainsi que la discussion précédente sur l’expérience des feuilles de thé, nous permettront également de prédire la structure de l’écoulement axisymétrique.

L’expérience de l’azote liquide et celle des feuilles de thé sont très similaires dans le sens où toutes les parois sont fixes dans les deux cas. Par contre, dans le cas de l’azote liquide, la lubri- fication des parois due à l’ébullition de film réduit considérablement le frottement sur le fond du récipient et ainsi la recirculation décrite précédemment. Cependant, le glissement n’est pas parfait puisque l’écoulement ralentit tout de même de façon progressive. On en déduit donc qu’un faible frottement est présent et son existence au niveau du fond signifie qu’une recirculation similaire à celle de l’expérience des feuilles de thé est susceptible de s’établir. Selon l’équation (5.9b) la vitesse azimutale est donc nécessairement proche d’une rotation potentielle, ce qui semble cohérent avec les formes concaves de surface libre obtenues dans ce cas. La figure 5.2(b) permet de synthétiser la structure de l’écoulement obtenu dans l’expérience de l’azote liquide telle qu’on peut la prédire de cette façon. Il convient de préciser que cet écoulement est bien évidemment beaucoup plus complexe à cause de l’ébullition et de l’évaporation importantes mises en jeu, mais il est remarquable que ces considérations simples nous permettent d’accéder aux tendances principales d’une configuration si complexe.

En ce qui concerne l’expérience à fond tournant, les choses diffèrent notablement puisque dans ce cas le fluide dans le volume a en général une vitesse azimutale plus faible que le fluide directement

60 CHAPITRE 5. EQUATIONS GÉNÉRALES, MÉTHODE ET CHAMP DE BASE au contact de la plaque tournante. L’effet centrifuge est donc intensifié au niveau du fond puisque les vitesses azimutales sont plus importantes dans cette zone (couche limite d’Ekman) d’où la création de recirculations dans le sens opposé à celles obtenues dans l’expérience des feuilles de thé (voir les différents schémas de la figure 5.2). Ce type de phénomène est connu sous le nom de pompage d’Ekman (Ekman pumping).

Ainsi dans le cas de l’expérience à fond tournant, le pompage d’Ekman semble être à l’origine de la forme potentielle de la vitesse azimutale observée dans certaines régions de l’écoulement en raison des recirculations qu’il induit et via la conservation du moment angulaire.

5.5

Conclusion

Pour conclure, les équations générales associés à l’expérience à fond tournant ainsi qu’une méthode de stabilité globale qui sera utilisée en partie III, IV et V ont été présentées dans ce chapitre. Cependant, la méthode de stabilité globale introduite a été présentée dans l’hypothèse où un champ de base est connu, ce qui nous a conduit à une description de cet équilibre stationnaire et axisymétrique à partir de considérations sur la base d’études de la littérature. Les caractéris- tiques principales du champ de base associé à l’expérience à fond tournant correspondent à une zone interne en rotation solide, une zone externe en rotation potentielle et la présence de faibles recirculations dans le plan méridional. Le chapitre qui suit vise à utiliser ces considérations ainsi que les conclusions tirées de l’expérience de l’azote liquide (voir chapitre 4) de façon à proposer des modèles simples de champ de base représentatifs de l’expérience à fond tournant.

Chapitre 6

Modélisation du champ de base

Une élaboration de modèles simples de champ de base au vu des résultats discutés au chapitre précédent est l’objectif principal de ce chapitre. Voici les hypothèses effectuées lors de cette étape de modélisation :

(H1) L’écoulement méridional est négligé ; soitU0= V0(r, z)eθ.

(H2) Fluide non visqueux et couches limites négligées aux parois. (H3) Tension de surface nulle.

L’hypothèse (H1) découle des observations de Bergmann et al. (2011) discutées au chapitre pré- cédent. En effets nous avons vu que les recirculations méridionales qui peuvent apparaître dans la zone externe de l’écoulement sont essentielles pour expliquer la structure de l’écoulement azimutal, mais sont également de faible intensité comparées aux vitesses azimutales. Il semble alors légitime de les négliger en première approximation. L’hypothèse (H2) se justifie par les faibles nombres d’Ekman associés aux régimes étudiés ainsi que par les résultats de l’expérience de l’azote liquide qui indiquent que les couches limites ainsi que la singularité au niveau du coins en(r = R, z = 0) ne semblent pas essentiels pour capturer les motifs polygonaux. Enfin, l’hypothèse (H3) se justifie pour les nombres de Bond importants liés aux dispositifs expérimentaux existants (voir discussion au chapitre 3).

Ainsi les équations d’Euler en coordonnées cylindriques pour un écoulement de base stationnaire et axisymétrique s’écrivent ∂P0 ∂r = V2 0 r , (6.1a) ∂P0 ∂z = −g. (6.1b) A ces équations s’ajoutent alors des conditions de non pénétration sur les parois solides ainsi que la conditionP0(r, h0(r)) = 0 due à (H3) sur la surface libre. L’équation (6.1a) correspond à

un équilibre horizontal entre l’accélération centrifuge et le gradient de pression radial, tandis que (6.1b) correspond à l’équilibre hydrostatique. Ces deux équations montrent en particulier que la distribution azimutale de vitesse est invariante selonz et donc de la forme

U0= V0(r)eθ. (6.2)

Par la suite, nous modéliserons donc le champ de base en choisissant simplement un modèle de tourbillon possédant un champ de vitesse 2D du type (6.2) ce qui nous permettra de remonter ensuite à la forme de la surface libre en utilisant (6.1) ainsi que (H3). Le modèle de tourbillon de Rankine retiendra tout particulièrement notre attention lors de cette étude.

6.1

Description du modèle utilisé : le tourbillon de Rankine

Le tourbillon de Rankine est un modèle de tourbillon idéal correspondant à un coeur de vorticité constante localisé enr < x. La distribution de vitesse associée s’écrit alors

V0(r) =



Ωr pourξ < r < x,

Γ/(2πr) pourx < r < R, (6.3) avecΓ = 2πx2Ω la circulation de la zone potentielle et ξ le rayon de l’éventuelle zone démouillée

62 CHAPITRE 6. MODÉLISATION DU CHAMP DE BASE (b) DC (c) DP A X O C B B C X A C B (a) W

Figure 6.1 – Tourbillon de Rankine à surface libre dans les trois configurations considérées : (a) cas W (Wet) ; (b) cas DC (Dry-Composite) ; (c) cas DP (Dry-Potentiel ). Les figures du haut montrent les profils de surface libreh0(r) obtenus dans ces trois cas. O matérialise l’origine (0, 0),

A le point de démouillage (ξ, 0), X le point de transition (x, 0), C le coin (R, 0) et B la ligne triple supérieure(R, ζ). Les figures du bas correspondent aux vitesses azimutales associées (lignes bleues), la ligne discontinue rouge correspondant à la rotation de la plaque du fond (enΩr) et la courbe pointillée à la rotation potentielle (enΓ/(2πr) avec Γ = 2πΩx2). Le coeur du tourbillon est délimité par la ligne verticale pointillée enr = x.

correspond à la transition entre un écoulement à vorticité non nulle et un écoulement potentiel. Bien que cet écoulement présente une discontinuité de vorticité enr = x et surestime fortement les vitesses azimutales proche de cette singularité, sa simplicité et les bons accords qu’il fournit avec les résultats expérimentaux de Bergmann et al. (2011) sont deux arguments en faveur de son utilisation.

En suivant Fabre et Mougel (2014), trois cas différents seront considérés selon les valeurs re- latives dex et de ξ (voir figure 6.1). En augmentant le nombre de Froude, les régimes suivants seront obtenus. Un premier régime correspondant àξ = 0 qui sera nommé régime mouillé ou W pour Wet composé par une zone interne en rotation solide entourée d’une zone externe en rotation potentielle (figure 6.1(a)). Un second régime sera ensuite obtenu à partir du Froude de démouillage et tant que ξ < x, on le nommera DC pour Dry-Composite (figure 6.1 (b)). Enfin un troisième régime nommé DP pour Dry-Potentiel sera obtenu lorsque la zone en rotation solide disparait entièrement, c’est-à-dire lorsqueξ > x (figure 6.1 (c)).

Ces trois régimes sont associés à la distribution de vitesse (6.3) avecξ = 0 pour le cas W et la disparition de la zone en rotation solide pour le casDP . A partir de (6.1) et en utilisant l’hypothèse (H3) qui implique que la pression réduiteP0(r, h0(r)) est nulle pour toutes les valeurs de r (pas

de saut de contrainte normale lorsque la tension de surface est nulle), on en déduit les profils de surface libre correspondants aux différents régimes mis en évidence

Cas W : h0(r) = ( h0+Ω 2 2gr2 pour 0 < r < x h0+Ω 2 2gx 2+ 1 2g Γ 2π 2 1 x2 −r12  pour x < r < R. (6.4) Cas DC : h0(r) = ( 2 2g(r 2 − ξ2) pour ξ < r < x Ω2 2g(x2− ξ2) + 1 2g Γ 2π 2 1 x2 −r12  pour x < r < R. (6.5) Cas DP : h0(r) = 1 2g  Γ 2πR 2 R2 ξ2 − R2 r2  pour ξ < r < R. (6.6)

6.2. MODÈLE DE LA CONSERVATION DU MOMENT ANGULAIRE 63