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Partie I – Archives sédimentaires dans le bassin Levantin : biogéochimie et historique de

8. Étude des contaminants organiques : les HAP

8.2.2. Niveaux de référence préindustriels

Dans la recherche environnementale, les niveaux de références permettent de déterminer des facteurs d’enrichissements dans une carotte sédimentaire et sur un site donné (tel que présenté

plus haut pour le Hg et le Pb) et fournissent des indicateurs valables pour jauger la pression anthropique en milieu marin. Les notions de concentrations préindustrielles et naturelles pour les HAP, comme pour le Pb et le Hg, sont relativement peu décrites dans la littérature scientifique et elles sont délicates à développer. Ces contaminants sont présents naturellement mais ont également été produits et émis par l’activité humaine bien avant l’ère industrielle, période pendant laquelle leurs émissions ont considérablement augmenté. De plus, la comparaison des niveaux de référence d’un site à l’autre n’est pas aisée, car les concentrations peuvent varier en fonction des conditions du milieu. Pour les métaux, présents naturellement dans la croûte terrestre, ce type de références est ainsi habituellement spécifique à chaque zone géographique. Les HAP ont aussi des origines naturelles (feux de forets et éruptions volcaniques) et diagénétiques (transformation de précurseurs biogéniques, formation du pétrole) bien établies (Laflamme et Hites 1978; Wakeham et al. 1979; Lipiatou et Saliot 1991a).

Cependant, pour les HAP, cette notion est encore moins développée, d’autant plus que ces composés sont multiples et leurs concentrations sont souvent rapportées pour différents groupes des composés analysés. Dans le compartiment sédimentaire marin géologiquement récent, la distinction entre le « vrai » fond géochimique et une éventuelle influence anthropique préindustrielle peut généralement se faire par l’analyse de composés individuels ou de ratios spécifiques. Nous tenterons donc de situer les niveaux en HAP du fond de la carotte C1 dans le contexte de quelques données publiées dans la littérature scientifique et d’un examen des signatures chimiques diverses.

Les niveaux préindustriels ont été estimés à partir de l’ensemble des couches datant d’avant 1852. Des concentrations moyennes très faibles et relativement constantes sont enregistrées : 10,4 ± 2,8 µg kg-1 et 5,7 ± 1,6 µg kg-1 (n = 23) pour la somme des HAP parents et alkylés respectivement. Dans les trois dernières couches de la carotte sédimentaire, différenciées par la part des composés alkylés plus importante, les niveaux moyens sont légèrement inférieurs (5,8 ± 2,8 µg kg-1 et 4,6 ± 2,2 µg kg-1 pour les ΣHAP16 et ΣC-HAP respectivement). Ces concentrations peuvent éventuellement être considérées comme une référence naturelle pour notre carotte sédimentaire. Les niveaux de HAP parents déterminés dans le fond de la carotte C1, avant 1850, sont inférieurs à la moyenne de référence préindustrielle déterminée pour la période 1800 1833 dans la carotte sédimentaire de l’étang de Thau situé sur le littoral Méditerranéen français ; (64,7 ± 7,6 µg kg-1 ; Léaute 2008), ainsi qu’à celle du plateau continental du Rhône (132 µg kg-1 ; Tolosa et al. 1996). Si on intègre les couches jusqu’en 1920 dans notre calcul, les concentrations moyennes pour la somme des HAP (ΣHAP16 + ΣC-HAP) sont du même ordre de grandeur dans les sédiments de la carotte C1 (34,4 ± 8,8 µg kg-1) que celles du plateau continental de l’Èbre (27 µg kg-1 ;Tolosa et al. 1996), ainsi que dans le fond des carottes de lacs alpins (entre 20 et 100 µg kg-1 ; Fernandez et al. 2000). Toutefois, calculés ainsi, ces niveaux intègrent les premières décennies de l’industrialisation en Europe

Étude des contaminants organiques : les HAP

de sédiments du Golfe du Lion en Méditerranée occidentale (il s’agit d’échantillons d’une carotte sédimentaire de plus de 7,5 mètres de longueur prélevée dans le pro-delta du Rhône au cours de la campagne Rhosos et de quelques échantillons de surface présentés plus loin). Les résultats sur les couches profondes de cette carotte RO-KS57 sont également apportés dans le Tableau 19. Il s’avère que la concentration pour la somme des HAP parents et alkylés dans le fond de cette carotte (148 µg kg-1) est relativement élevée. Nous ne disposons pas de la datation précise de cette carotte, cependant les forts taux de sédimentation dans le prodelta du Rhône (10 à 50 cm a-1 à faible profondeur de 20 m ; Charmasson et al. 1998; Radakovitch et al. 1999) suggèrent que ce niveau n’est pas purement préindustriel. Il est en effet comparable à ceux déterminés par Tolosa et al. 1996 dans le fond de la carotte sédimentaire prélevée sur le plateau continental intégrant toutefois une partie des niveaux post-1850.

Tableau 19 – Niveaux préindustriels mesurés dans des carottes sédimentaires marines et lacustres exprimés en concentrations (µg kg-1 p.s.) et en flux annuels (µg m-2 a-1) dans la présente étude ainsi que dans d’autres zones de la Méditerranée et de l’hémisphère Nord en général ; le nombre de HAP considérés est donné à titre indicatif puisqu’il comprend les HAP parents et les séries d’homologues alkylés qui peuvent inclure un ensemble d’isomères

Site concentration µg kg-1 flux µg m-2 a-1 nb HAP Référence

Liban, marge du plateau continental (pré-1852)

16,1 ± 4,3 11 ± 3 25* Cette étude Liban, marge du plateau

continental (pré-1920)

34,4 ± 8,8 16 ± 8 25* Cette étude Rhône prodelta

(bas de la colonne RO-KS57)

148,0 25* Cette étude

Rhône plateau continental (pré-1920)

132,0 280 20* Tolosa et al. 1996 Èbre plateau continental

(pré-1920)

27,0 70 20* Tolosa et al. 1996

Lacs de Montagnes Europe (pré-1900)

20,0 – 100,0 5 – 30 23 Fernandez et al. 2000 France, Étang de Thau

(1800-1833)

64,7 ± 7,6 93 13* Léaute 2008

Mer Baltique (préindustriel) <100,0 35 Ricking et Schulz 2002 NE des États-Unis (1900) 24 10 Gschwend et Hites 1981 NE des États-Unis

(1822-1842)

2,3 ± 0,2 15* Lima et al. 2003 Stockholm, lac éloigné 6 – 9 12* Elmquist et al. 2007 * pérylène et rétène non inclus, ** rétène non inclus

Le flux moyen annuel de la somme des HAP parents et alkylés (ΣHAP16 + ΣC-HAP) sur la période préindustrielle dans la carotte C1 (11 µg m-2 a-1) est comparable aux flux rapportés dans les lacs situés en zones éloignées de sources d’émissions de HAP et dans les lacs de hautes montages en Europe recevant principalement les HAP via les retombées atmosphériques (5 – 30 µg m-2 a-1) (Tableau 19 ; Fernandez et al. 2000; Elmquist et al. 2007). Le flux moyen (2,3 µg m-2 a-1 ; corrigé par un facteur de « focusing » de 1,3) enregistré entre 1822 et 1842 dans la rivière du Pettaquamscutt aux États-Unis (Atlantique Nord-Ouest ; Lima et al. 2003) est nettement inférieur au flux pré-1850 dans la carotte C1. Même si ce flux ne compte que la somme de 15 HAP, il reste parmi les plus faibles (Tableau 19). Une des

explications peut être que le continent Européen était beaucoup plus densément peuplé que l’Amérique du Nord à cette époque (Elmquist et al. 2007). Les flux moyens (ΣHAP9 + C1-Phen) calculés pour l’année 1900 par Gschwend et Hites 1981 dans des lacs du NO des États-Unis est déjà un ordre de grandeur plus fort que celui de Lima et al. 2003 et se trouvent dans la fourchette de valeurs des zones reculées d’Europe.

Ainsi, on peut retenir une certaine consistance des flux de HAP du fond préindustriel dans les différents sites du monde. Il apparaît que les flux mesurés dans le bassin Levantin sont plus proches des valeurs mesurées dans les zones soumises seulement aux apports atmosphériques (ex. lacs de hautes montages) et éloignées des sources urbaines et industrielles. En zones sous influence directe des apports fluviatiles (ex. de l’Èbre et du Rhône), en Méditerranée occidentale, les flux préindustriels de HAP sont nettement plus forts.