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Partie I – Archives sédimentaires dans le bassin Levantin : biogéochimie et historique de

6. Étude des contaminants métalliques : le Hg

6.2.2. Niveaux préindustriels et niveaux anthropiques

Il convient d’abord de souligner une précision relative à la notion de concentration préindustrielle dans la carotte C1 ; elle est considérée comme la concentration pré-1852 qui est constante, demeure faible et ne semble pas affectée par l’activité humaine. La portée

temporelle de la carotte C1, à priori, ne permet pas de parler de fond géochimique naturel dans le plein sens du terme mais, étant donné l’absence du signal d’enrichissement, il est possible de considérer ces niveaux préindustriels comme correspondant au fond géochimique naturel du Hg en Méditerranée orientale.

La concentration préindustrielle moyenne en Hg déterminée dans les sédiments de la carotte C1 est de 0,013 ± 0,002 mg kg-1, (n = 39) (Tableau 8). Ce niveau se trouve dans la fourchette rapportée dans les couches profondes des quelques carottes de sédiments littoraux d’Israël et du Liban (0,01 – 0,02 mg kg-1 ; Herut et al. 1993; Abi-Ghanem et al. 2011) et dans les minima déterminées en zones plus profondes du bassin Levantin (0,01 – 0,04 mg kg-1 ; Ogrinc et al. 2007). Le niveau de Hg dans le fond de C1 est également très proche du niveau préindustriel mesuré en Méditerranée occidentale, en mer Ligurienne profonde (0,018 mg kg-1 ; Heimbürger et al. 2012), ainsi que de la concentration moyenne déterminée dans les couches profondes (pré-900) d’une carotte sédimentaire de l’étang de Pierre-Blanche (0,017 mg kg-1 ± 0,003, n = 54 ; Elbaz-Poulichet et al. 2011).

Tableau 8 – Comparaison des concentrations de Hg (mg.kg-1) dans les sédiments préindustriels de la Méditerranée de l’Est (ME) et de l’Ouest (MO)

Site d’échantillonnage Date de

prélèvement

HgT

(mg kg-1)

Référence

Méditerranée de l’Est (ME)

Concentrations préindustrielles

Liban (marge continentale) 2007 0,013 ± 0,02 Cette étude

Liban (littoral) 2006-2009 0,01 – 0,02 Abi-Ghanem et al. 2011 Israël (littoral) 0,01 – 0,02 Herut et al. 1993 ME (mer ouverte) 2003 0,01 – 0,04 Ogrinc et al. 2007

Méditerranée de l’Ouest (MO)

Concentrations préindustrielles

Détroit de Sicile (marge) 2001-2003 0,038 Di Leonardo et al. 2006 Mer Ligurienne profonde 2006 0,018 Heimbürger et al. 2012 MO (mer ouverte) 2003 0,016 – 0,04 Ogrinc et al. 2007

Lagune de Pierre-Blanche 2006 0,017 ± 0,03 Elbaz-Poulichet et al. 2011

Par ailleurs, on note qu’un niveau de base nettement supérieur à celui de C1 (ainsi que ceux des autres sites précités) est rapporté dans le Canal de Sicile (0,038 mg kg-1 ; Di Leonardo et al. 2006). Bien que plus faible que le niveau moyen de Hg dans la croûte terrestre (0,08 mg kg-1 ; Li et Schoonmaker 2003), cette concentration est tout de même relativement élevée. Selon les auteurs, ce niveau peut être expliqué par des phénomènes naturels tels que l’activité volcanique et géothermale intense dans la région, ainsi que l’activité minière très importante en Europe (Di Leonardo et al. 2006). Ce dernier point disqualifierait ces données en tant que référence préindustrielle (c.-à-d. sans influence anthropique marquée).

pré-Étude des contaminants métalliques : le Hg

été relevé. Ce même constat est souligné par d’autres études, par exemple dans les lacs éloignés au Canada (Lamborg et al. 2002). Les niveaux du mercure déterminés au fond de notre carotte sédimentaire pourraient donc raisonnablement être considérés comme une référence préindustrielle et probablement aussi comme une référence naturelle du bassin Levantin. Nous allons pouvoir utiliser la concentration moyenne déterminée dans les couches pré-1852 dans la carotte C1 pour isoler la fraction du Hg anthropique dans la région et pour apprécier ainsi l’échelle d’anthropisation dans cette zone d’étude.

Quant aux concentrations contemporaines du Hg dans les couches de surface de la carotte C1, elles varient entre 0,051 et 0,061 mg kg-1 (Tableau 9). Ces niveaux peuvent être qualifiés de faibles et plutôt caractéristiques de sédiments méditerranéens où des apports atmosphériques dominent (Tableau 9). Pour les sites faiblement contaminés de sédiments en Méditerranée de l’Est (Liban, Israël et bassin ouvert), on relève des concentrations en Hg variant entre 0,04 et 0,05 mg kg-1 (Herut et al. 1993; Ogrinc et al. 2007; Abi-Ghanem et al. 2011). Cette fourchette est plus étendue en Méditerranée de l’Ouest, où les niveaux de Hg dans les sédiments de surface faiblement contaminés varient entre 0,040 et 0,100 mg kg-1 (Tableau 9). Sur le site DYFAMED, en mer Ligurienne à une profondeur de 3000 m, Heimbürger et al. 2012 ont communiqué une concentration de mercure de 0,049 mg kg-1, valeur proche de notre site d’étude, pourtant situé à la marge de la pente continentale de la côte libanaise à une profondeur de 300 m. La valeur, déjà quelque peu ancienne, fournie par Baldi et al. 1983, de la moyenne du Hg dans les sédiments en Méditerranée profonde était de 0,1 mg kg-1. On mentionne également que cette moyenne en Méditerranée est le double de la moyenne mondiale, et ce, à cause de l’activité géothermique et volcanique et de la présence de grandes mines de cinabre dans le bassin méditerranéen (Baldi et al. 1983). Au regard des données actuelles, il semble que les concentrations de Hg dans les sédiments profonds en Méditerranée sont inférieures à 0,1 mg kg-1.

Enfin, les concentrations de Hg sur les sites plus fortement contaminés varient entre 0,37 à 0,66 mg kg-1 sur les côtes du Liban et d’Israël (Krom et al. 1994; Nassif 2004; Abi-Ghanem et al. 2011), soit jusqu’à un ordre de grandeur plus élevées que les niveaux dans les sédiments faiblement contaminés. Des niveaux du même ordre ont été déterminés dans les sédiments de surface dans l’étang de Pierre-Blanche (0,323 mg kg-1; Elbaz-Poulichet et al. 2011). Ces données, bien qu’encore peu nombreuses, suggèrent l’existence des plusieurs sites fortement contaminés (dits « points chauds ») en Méditerranée orientale.

Enfin, il convient de préciser qu’une comparaison de niveaux de Hg aussi variés dans les sédiments de surface en Méditerranée est relativement limitée et ne permet pas de juger correctement le degré de la pression anthropique liée à la contamination chimique. Pour une meilleure appréciation des niveaux de Hg dans différents sites marins, un examen plus approfondi serait nécessaire, incluant par exemple des variables normatives (granulométrie, Li, Al…). Un tel examen n’est pas toujours possible en l’absence des données brutes comprenant ces variables pour l’ensemble des études considérées et dépasse les objectifs de cette discussion.

Tableau 9 – Comparaison des concentrations de HgT (mg kg-1) dans les sédiments de surface de la Méditerranée de l’Est et de l’Ouest

Site d’échantillonnage Date de

prélèvement

HgT

(mg kg-1)

Référence

Méditerranée de l’Est (ME)

Sédiments de surface

Liban (marge continentale) 2007 0,051 Cette étude

Liban (littoral)* 2006 0,37 Abi-Ghanem et al. 2011

Liban (littoral)** 2006 0,04 Abi-Ghanem et al. 2011

Liban (littoral)* 0,02 – 0,46 Nassif 2004

Israël, baie de Haifa * 1989 0,04 – 0,66 Krom et al. 1994

Sud d’Israël ** 1992 0,006 Herut et al. 1993

ME (mer ouverte) 2003 0,04 – 0,044 Ogrinc et al. 2007

Méditerranée de l’Ouest (MO)

Sédiments de surface

Détroit de Sicile (marge) 2001 – 2003 0,015 – 0,07 Di Leonardo et al. 2006 Détroit de Sicile (marge)* 2001 – 2003 ~ 0,15 Di Leonardo et al. 2006 MO (mer ouverte) 2003 0,040 – 0,060 Ogrinc et al. 2007 Mer Ligurienne profonde 2006 0,049 Heimbürger et al. 2012

Mer Méditerranée** 0,05 – 0,1 UNEP/FAO/WHO 1987

Lagune de Pierre-Blanche* 2006 0,323 Elbaz-Poulichet et al. 2011 *sites fortement contaminés, ** sites faiblement contaminés

En admettant un niveau préindustriel constant pré-1852 dans la carotte sédimentaire C1 du bassin Levantin, la fraction du mercure anthropique peut être estimée pour chaque couche sédimentaire par soustraction de la concentration moyenne préindustrielle. Cette estimation montre une forte fraction du mercure anthropique (entre 70 et 79 %) dans les sédiments post-1980 jusqu’à nos jours. Cette contribution du Hg anthropique dans les sédiments récents de C1 est légèrement plus importante que celle obtenue par les concentrations normalisées par rapport à la teneur en carbone organique (60 %) en mer Ligurienne profonde (Heimbürger et al. 2012). Il est à noter que ce type de normalisation ne convenait pas pour la carotte C1. Dans le paragraphe suivant, nous examinerons les tendances temporelles du Hg qui ont conduit à un tel enrichissement dans le bassin Levantin.