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Chapitre 3. Revue de la littérature

3.5. Cerveau, fonctions neurologiques du fer et audition

3.5.3. Neurotransmetteurs

3.5.3.1. Notions générales

Comme évoqué précédemment, le fer agit comme cofacteur enzymatique de nombreuses réactions, parmi lesquelles la synthèse des neurotransmetteurs durant le développement fœtal et postnatal ou la dégradation de ces derniers (via la monoamine oxydase) revêtent une importance particulière. Bien que toutes les enzymes ne puissent être abordées en détails ici, certains composés spécifiques issus de celles-ci seront présentés ici et reliés à la déficience en fer. Seront notamment évoquées la sérotonine (tryptophane hydroxylase), ainsi que la dopamine et norépinéphrine (tyrosine hydroxylase) (257,258).

Ainsi, le système dopaminergique se développe rapidement et précocement durant le développement postnatal avec une augmentation rapide du nombre et de la densité des transporteurs de la dopamine (DA) et ses récepteurs (rD) (29), jusqu’à une puberté précoce. Durant cette même période, d’autres transporteurs et leurs récepteurs sont également activement exprimés dans les zones neuronales en développement et des modifications de leur densité se perpétuent jusqu’à l’adolescence, voire l’âge adulte (29). Ces neurotransmetteurs jouent un rôle particulièrement important dans l’organisation de la croissance axonale et la formation de l’architecture synaptique durant les stades d’initiation de la croissance cérébrale, puis leur rôle évolue progressivement avec le développement vers une activité reliée à la neurotransmission. Une série d’études particulièrement intéressantes, conduites par Bonnin et al. (259-262), a mis en valeur l’importance de la sérotonine (SER) dans la modulation des processus cérébraux de développement que sont la prolifération, la migration et les connexions neuronales au stade fœtal. Cette équipe de recherche a par ailleurs démontré que la source de sérotonine synthétisée durant l’embryogenèse n’était pas majoritairement d’origine maternelle, mais qu’une voie de synthèse exogène (placenta) influençait particulièrement le développement cérébral du fœtus (261,262).

La synthèse des neurotransmetteurs apparaît donc à des périodes clés du développement. De fortes concentrations en catécholamines (dopamine, noradrénaline et adrénaline) sont détectées dans la notochorde9 des embryons de mammifères, ainsi qu’au sein du nodule primitif organisant la

gastrulation10 chez les vertébrés. Les neurones catécholaminergiques sont générés au moment de la

formation des vésicules télencéphaliques, chez les rongeurs comme chez les primates, soit dès la 5ème

semaine embryonnaire (263). Ainsi, les neurones noradrénergiques apparaissent dès le 12ème – 14ème

jour embryonnaire chez le rat et dès la 5ème – 6ème semaine embryonnaire chez l’humain (264) ; ils

régulent le développement des premiers neurones au sein du cortex et sont considérés comme des instruments essentiels à la migration neurale et l’organisation laminaire primitive cérébrale (265) ; les neurones adrénergiques semblent évoluer à une période concomitante. Les neurones dopaminergiques, quant à eux, apparaissent dès le 10ème – 15ème jour embryonnaire chez le rat (266) et

dès la 6ème – 8ème semaine embryonnaire chez l’humain (264). Enfin, les neurones sérotoninergiques

ont des projections très étendues rendant possible la coordination de complexes phénomènes sensoriels et moteurs. La sérotonine affecte la prolifération, la différenciation et la migration cellulaires de même que la synaptogenèse.(267) et apparaît dès la fertilisation de l’ovocyte. Les cellules sérotoninergiques au sein du raphé11 sont parmi les premières à être générées dans le cerveau (jour

embryologique 10 – 12 chez la souris). Après leur génération, elles irradient de manière diffuse dans la corde spinale et le cortex. Elles apparaissent dès la 5ème – 12ème semaine de gestation chez l’humain

(267). Tel que précédemment visé (261,262), la sérotonine n’en reste pas moins le 1er

neurotransmetteur à apparaître dans le système circulatoire fœtal et placentaire, la rendant particulièrement déterminante lors du développement embryonnaire.

3.5.3.2. Neurotransmetteurs et déficience en fer

Par ailleurs, vis à vis de la déficience en fer, il convient de souligner que le fer est colocalisé avec les neurones dopaminergiques (257,268) et que la DA et norépinéphrine (NE) extracellulaires sont élevées dans le cerveau de rats déficients en fer durant la période postnatale (269-271). Certaines zones du cerveau (le striatum, notamment) montrent également une chute de la densité des récepteurs dopaminergiques D1 (rD1) et D2 (rD2) chez ces mêmes animaux, où la concentration cellulaire de fer est

réduite (269). De même, toujours chez des modèles de rongeurs déficients en fer durant la période postnatale, la densité des transporteurs de la sérotonine (272), ainsi que la recapture de la NE étaient diminuées dans le cerveau (271).

Au delà d’effets directs sur le métabolisme des neuromédiateurs, des effets indirects peuvent également apparaître dans le cadre de la déficience en fer. Ainsi, une diminution des protéines de surface (THy1, thymocyte differentiation antigen 1, une protéine d’adhésion intervenant dans le largage des neurotransmetteurs) a été constatée tant au niveau de cultures cellulaires où le fer était chélaté, que sur des rats adultes allaités par des mères déficientes en fer, ou encore au niveau d’homogénat de cerveaux humains ayant été diagnostiqués avec un faible statut en fer (191,273). In fine, il n’est pas impossible de penser que ces modifications pourraient induire des relargages anormaux de neuromédiateurs. À ce titre également, et de manière plus intéressante puisqu’il s’agit d’une déficience

en fer gestationnelle et néonatale, les structures apicales des dendrites de neurones de l’hippocampe ont subi des altérations chez les rats adultes, et ceci, malgré une thérapie réplétive en fer (274). De même, la densité de transporteurs de neuromédiateurs (DA, SER, NE) s’est vue diminuée chez des rats soumis à une diète déficiente en fer durant le sevrage et jusqu’à l’âge adulte ; de manière intéressante, un effet du genre est apparu dans cette étude (275), corroboré par d’autres (276-278). Ainsi, le métabolisme de la dopamine (DA) semble effectivement sous la dépendance d’un effet lié au

genre des animaux en présence de la déficience en fer prénatale (41) ou non (41,279-286). Des réponses dimorphiques existent quant à la DA, où l’hormone œstradiol, par exemple, induit une

augmentation de la synthèse et du relargage de la DA et des rD2 (41,279-286). Par ailleurs, il est à

souligner que la progestérone et les œstrogènes peuvent également induire respectivement la transcription d’ARNm de la ferritine (287) et de la lactoferrine (288). Enfin, la déficience en fer pourrait être impliquée dans des modifications épigénétiques et subséquemment, dans des désordres liés au développement cérébral de nouveau-nés, tels qu’ils ont déjà été caractérisés au sein de l’hippocampe du rat (289-291). Ke et al. (290) ont pu ainsi mettre en évidence que 2 jours ½ d’insuffisance utéroplacentaire chez des rates en fin de gestation étaient caractérisés par une diminution des concentrations cérébrales en fer chez la progéniture au JPN 0. Une hypométhylation de l’ADN, combinée à une hyperacétylation des histones de la chromatine, ainsi qu’une diminution de l’expression, de la traduction et de l’activité de leurs enzymes respectives (DNMT1, DNA methyltransferase 1 ; MeCP2, methyl-CpG binding protein 2 et HDAC1, histone deacetylase 1) étaient caractérisées au sein de l’hippocampe et de la substance blanche. À l’inverse de la progéniture mâle, les femelles présentaient encore des déterminants épigénétiques altérés au JPN 21, mettant en évidence à nouveau un effet important du genre. Il n’est pas impossible que de telles modifications épigénétiques puissent également influencer les voies de synthèse relatives aux neurotransmetteurs, au vu de l’expression réduite de la MeCP2 (290), dont il est établi que cette protéine est un intervenant majeur dans la maturation neurale, la formation des arborisations dendritiques (292,293) et le développement des contacts synaptiques (294,295).

Cette courte revue non exhaustive des effets de la déficience en fer sur certains principaux neurotransmetteurs cérébraux que sont la SER, DA et NE (auxquels la plupart des études reliées à la déficience en fer se sont intéressées) ne détaille pas néanmoins l’ensemble des autres neurotransmetteurs pouvant être affectés par cette déficience, parmi lesquels l’acide γ-aminobutyrique (GABA) (32) et/ou le métabolisme de la phénylalanine et tyrosine pourraient être entre autres cités (9).

3.5.3.3. Neurotransmetteurs et système auditif (PEATC)

Il apparaît intéressant de porter son attention sur le système auditif, considérant que son développement embryologique est prématuré (maturité atteinte à 18-20 semaines de gestation pour l’humain (296)) et que la maturation de la transmission apparaît de manière centripète, c’est à dire en initiant les parties nerveuses les plus anciennes du système nerveux (i.e., parties distales et périphériques) pour séquentiellement accéder au cortex cérébral (297). Toutefois, aucune investigation n’a couplé à ce jour la déficience en fer, la neurophysiologie de l’appareil auditif et les neurotransmetteurs. Certes, la chimie reliée à la transmission synaptique cochléaire a été extensivement détaillée (33), mais aucune étude n’est venue faire la lumière sur les effets directs de la déficience en fer (pré-, comme postnatale) sur la neurophysiologie auditive, associée au métabolisme des neurotransmetteurs.

Bien qu’ancienne, une première investigation (34) a démontré une élévation des amplitudes électriques (μVolts) des noyaux relais des PIII et PIV sur des enregistrements de PEATC, reliée à une déplétion induite de la sérotonine chez le rat. Ce neurotransmetteur intervient en de multiples relais neurologiques du système auditif, faisant intervenir l’activation de multiples et différents types de récepteurs du système neuromodulateur (298). Cette complexité s’étend même à des spécificités

d’espèces relatives à la nature des fibres conductrices des noyaux du tronc cérébral (298). Plus particulièrement (puisqu’il s’agit partiellement des noyaux des PIII et IV chez le cochon d’Inde),

l’innervation des noyaux olivaires supérieurs médians et latéraux varient dans leur densité de fibres conductrices, mais aussi dans l’organisation tonotopique de ces dernières. Chez le cochon d’Inde, les fibres sérotonergiques sont plus particulièrement denses dans les régions périolivaires que dans les principaux noyaux (299-301). Bien qu’étant spéculatif, il n’apparaît pas impossible que l’observation d’amplitudes des PEATC élevées initialement faite par Bhargava et al. (34) puisse s’étendre au modèle du cochon d’Inde déficient en fer. De multiples études ont souligné par ailleurs que le processus régulateur sérotoninergique pouvait jouer un rôle important dans les dysfonctions auditives. Il a été ainsi avancé que la sérotonine serait un facteur de causalité dans les troubles auditifs, tel que l’hyperacousie (96-98), un phénomène décrit par une perte d’audition périphérique, principalement induite par une diminution de l’inhibition neurale (15,16,95,302-304). Enfin, il reste à rappeler que dans le cadre de la déficience en fer gestationnelle, une diminution des concentrations en transporteurs de la sérotonine a été constatée au niveau cérébral de la progéniture, et ceci de manière persistante chez l’adulte, malgré une réplétion nutritionnelle (278). En tout état de cause, aucun lien direct n’est encore avéré quant au système auditif, tant sur des modèles animaux que chez des humains. On soulignera par ailleurs, l’incidence du genre dans la variabilité des réponses des voies sérotoninergiques (305).

Comme le montre cette dernière étude, l’intérêt porté sur ce chapitre vis-à-vis de la sérotonine est important et s’illustre par le fait qu’elle apparaît très précocement après la fécondation et lors du développement embryologique (259-262,306).