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La déficience en fer (DF) est une préoccupation de santé majeure, considérée comme étant le plus commun et répandu des troubles alimentaires à l’échelle mondiale (1), avec 1 à 2 milliards de personnes affectées (2). C’est, par ailleurs, un problème de santé particulièrement important et prévalent pour les femmes enceintes, considérant la hausse de la demande alimentaire en réponse au développement fœtal. La vulnérabilité à la déficience en fer varie donc grandement selon les différents stades d’évolution des individus. Cette variation est due aux changements des capacités de stockage en fer, aux niveaux des apports alimentaires, et aux besoins relatifs à la croissance et aux pertes en fer. Les groupes les plus à risque de présenter une déficience en ce minéral sont les enfants en forte période de croissance (âgés de 6 mois, jusqu’à 5 ans) (3), les femmes en âge de procréer (4) et plus particulièrement les femmes enceintes. C’est à ce stade critique, de fort anabolisme tant maternel que fœtal, que la requête en fer s’avère essentielle ; le développement placentaire et ombilical, l’entretien et augmentation de la masse érythrocytaire, la synthèse embryologique, la lactation induisent autant de besoins qu’il convient de combler. Malheureusement, les régimes alimentaires de beaucoup de femmes enceintes ne répondent pas à cette augmentation des exigences en fer, avec pour conséquence, un risque élevé de développer une déficience en fer.

Bien que l’étiologie de cette dernière soit multiple, l’Organisation Mondiale de la Santé estime que 50 % de l’ensemble des cas d'anémies liées à la grossesse sont le résultat d'une déficience en fer, principalement d’origine alimentaire (5). On retrouve des valeurs proportionnelles, voire supérieures, dans les pays émergeants (6), mais de manière plus surprenante encore, 18 % des femmes enceintes dans les pays industrialisés sont diagnostiquées déficientes en fer (7). L'anémie ferriprive (qui résulte de la détérioration progressive et avancée du statut en fer, altérant ultimement le niveau d’hémoglobine) liée à la grossesse n'est donc pas seulement un problème associé au statut économique de pays pauvres.

La déficience en fer maternelle a des conséquences néonatales majeures pour la santé et le développement du fœtus et du nourrisson. Elle est associée à un risque accru de naissances prématurées, de bébés de faibles poids de naissance et de mortalités infantiles (7). Par ailleurs, à long terme, entre 25 % et 85 % des prématurés de faible poids de naissance (≤ 1500 g) ont une carence en

Par ailleurs, la déficience en fer associée à la petite enfance est également une préoccupation clinique importante. Parmi la population pédiatrique globale des États-Unis, 9 % des enfants de 1-2 ans et de 3 % des enfants de 3-5 ans sont déficients en fer (9). Dans des travaux antérieurs sur un échantillon d'enfants canadiens (9 mois), issus de classes moyennes à supérieures, 2,7 % souffraient d'anémie ferriprive et 27 % avaient une hémoglobine basse (10).

La déficience en fer fœtale ou infantile est également un problème majeur dû aux rôles et implications majeurs du fer dans le développement cérébral. Les effets cliniques de la déficience sévère durant l’enfance sont bien documentés ; ceux associés à une déficience plus modérée semblent moins bien définis. Durant le développement, la déficience en fer est également associée à des altérations comportementales à long terme (11), des déficits cognitifs, moteurs et du langage, et ceci, malgré une thérapie subséquente en fer (12). Cependant, l'impact de la déficience en fer (notamment lorsqu’elle est modérée) au cours de la période prénatale sur le développement du système nerveux central de l'enfant est moins bien compris. Les fonctions neurophysiologiques et biochimiques du cerveau de l'enfant en réponse à cette déficience maternelle n'ont pas été extensivement étudiées et sont d'intérêt évident.

Ainsi, pour mieux évaluer les impacts neurophysiologiques de l’anémie ferriprive gestationnelle sur la descendance, la technique clinique d’étude des réponses du tronc cérébral à des stimulations auditives (en anglais : ABR, auditory brainstem responses ou PEATC : potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral) a été utilisée et a permis d’évaluer la maturation du cerveau et l’une de ses fonctions sensorielles, la fonction auditive. Cette technique non-invasive est basée sur les potentiels sensoriels évoqués extraits de l'électroencéphalogramme. Les PEATC fournissent ainsi une mesure objective du temps de transmission neural le long de la partie périphérique du tronc cérébral et de la voie auditive (13). Il est également utilisé pour évaluer la maturation du cerveau après la naissance (14), et permet de détecter et de différencier les altérations auditives périphériques et centrales (15-19). En tant que tels, les PEATC (tant chez des enfants, que chez des progénitures de modèles animaux) peuvent aider à déterminer si une déficience nutritionnelle maternelle a des effets nocifs sur la maturation du cerveau des nourrissons, l'intégrité neurale et la fonction auditive (20,21).

De fait, plusieurs études ont examiné l’impact de la déficience en fer durant la période postnatale chez les humains et des modèles animaux, en utilisant cette technique d’investigation. Chez l'homme, une augmentation des temps de latence neuronale (20-22) et des amplitudes réduites (23) ont été rapportées, alors qu'aucun symptôme neurologique n’a été constaté dans d'autres études (24,25). Les conclusions de ces deux dernières pourraient montrer quelques résultats confondants, au vu de

données imprécises concernant l’âge des sujets, mais aussi la sédation qui leur a été attribuée et/ou l’absence d’information relative au contrôle de la température corporelle. Sur de jeunes rongeurs en développement, nourris avec une diète déficiente en fer, une équipe de chercheurs a décrit des altérations de l'acuité auditive et des dommages cellulaires (26), ainsi qu’une perte auditive neurosensorielle (27), tandis qu'une autre équipe n'a signalé aucun effet associé à la déficience en fer postnatale (28). Néanmoins, il y a de fortes raisons de penser que les fonctions des neurones sont lésées par cette déficience. Le fer est en effet impliqué dans la synthèse des neurotransmetteurs tels que la sérotonine, la dopamine et l'acide γ-amino butyrique (29-32) ; ces derniers étant impliqués dans la transmission synaptique de la cochlée (oreille interne) (33) et les noyaux auditifs du tronc cérébral (34). Enfin, chez les rongeurs, la déficience en fer durant l’initiation du développement (période prénatale) semble résulter en une diminution de la myélinisation cérébrale et en une modification de sa composition dans le tronc cérébral (35,36), ainsi que dans d'autres régions du cerveau (29,37-43). Une déficience en fer induit par ailleurs une réduction de la teneur en protéines cérébrales (29- 31,42,44), réduit la prolifération des cellules précurseurs des cellules gliales et perturbe la production d'oligodendrocytes (44). Il semble établi que la DF postnatale et bien souvent sévère est impliquée dans de nombreux processus altératifs de la neurophysiologie auditive, mais les études relatives à la déficience en fer prénatale (gestationnelle) et modérée restent éparses et parfois contradictoires quant aux PEATC. Il n’est pas sans rappeler l’importance de l’audition durant le développement et qu’une perte en cette dernière, si elle n’est pas diagnostiquée précocement, représente un réel handicap d’apprentissage chez l’enfant. Par ailleurs, une acuité auditive altérée à un jeune âge peut se répercuter à un âge avancé (phénomène de presbyacousie : une perte d’audition de type neurosensorielle, reliée à l’âge (16)). Enfin, la perception auditive et son traitement par le cerveau sont sujets à de très rapides phénomènes de coordination d’une oreille à l’autre et permettent la géolocalisation de l’individu dans l’espace. En effet, l’oreille humaine est capable de détecter des sources sonores avec une précision de l’ordre de 2°, ce qui représente un délai de perception inter- aural de 11 μs ! De fait, une incoordination dans le traitement des informations des voies auditives peut mettre en péril l’individu, notamment face à des mesures d’évitements quotidiens.

En outre, durant le développement, la déficience en fer pourrait également avoir des incidences sur le métabolisme lipidique et ses dérivés. En effet, au stade fœtal, l'absorption du fer par le cerveau est maximale et directement impliquée dans le processus de production de myéline du cerveau par les oligodendrocytes (45-47). Par ailleurs, la déficience en fer maternelle peut altérer le métabolisme des acides gras et des eicosanoïdes cérébraux de la progéniture (48), altérations qui semblent s’avérer durables (49), induisant possiblement une détérioration des fonctions du système nerveux central.

impliquant la ∆-6-désaturase (Cf. Figure 1) dans le métabolisme des acides α-linolénique (C18:3 n-3) et linoléique (C18:2 n-6). Ces 2 acides gras essentiels chez l’homme, entrent en compétition avec l’enzyme ∆6-désaturase dont l’activité de conversion en acides gras à longue chaîne et plus insaturés (AA, acide arachidonique; AEP, acide eϊcosapentaenoïque; ADH, acide docosahexaenoïque) semblerait altérée chez le rat DF (54,55). Chez ce dernier, des études ont révélé des modifications cérébrales (54) et hématologiques (55,56) du profil des acides gras (élévation des acides gras essentiels initiaux, au détriment des produits de désaturation ultérieurs) suggérant une diminution de l’activité de l’enzyme ∆6-désaturase.

Figure 1 : voie biochimique de la conversion des acides gras essentiels

Chez le cochon d’Inde, il a été démontré qu’une déficience en fer modérée au cours du développement modifie également le profil en acides gras du cerveau (non pas d’un point de vue quantitatif, mais qualitatif), ainsi que le métabolisme des eicosanoïdes (48) ; effets qui semblent persister jusqu’à l’âge adulte (49). Durant le développement fœtal et jusqu’à une semaine postnatale chez le rat, l’activité enzymatique de la ∆6-désaturase est particulièrement accrue au niveau cérébral, puis diminue progressivement au profit de l’activité hépatique (51,52). Par ailleurs, des études cliniques semblent également démontrer chez des adultes déficients en fer, une diminution apparente des capacités de désaturation de cette enzyme dépendante du fer comme cofacteur (57). Chez de jeunes enfants déficients en fer, de fortes diminutions en acides gras polyinsaturés totaux (AEP, ADP et ADH) étaient caractérisées au niveau érythrocytaire ; la fraction phosphatidyléthanolamine présentait quant à elle,

une diminution du pourcentage d’acide α-linolénique, EPA et DHA. La réplétion en fer ayant normalisé ces données (58). L’hypothèse a donc été émise que la déficience en fer pourrait affecter indirectement le métabolisme lipidique tel qu’observé dans les études susvisées, via une modification de l’expression de l’enzyme et/ou de son activité (56). Actuellement, aucune étude n’est venue faire la lumière sur ce point.

La présence de ces acides gras polyinsaturés à longue chaîne (AGPI-LC), définis comme ayant une chaîne carbonée supérieure ou égale à 20 carbones (59,60) durant le stade fœtal est, par ailleurs, primordiale au développement cérébral. L’ADH est un composant majeur des membranes

phospholipidiques des photorécepteurs rétiniens et corps cellulaires de la substance grise (61). Les AGPI-LC sont hautement incorporés par le cerveau durant la croissance fœtale pour la synthèse

membranaire des phospholipides, dont la fluidité est augmentée par la présence d’ADH (62). AA et ADH sont également impliqués dans la neurogenèse, la plasticité synaptique et le maintien de la maturité neuronale au travers de leurs associations avec des récepteurs nucléaires (63,64). Les AGPI sont également impliqués dans la neurotransmission (65) et la fonction immunitaire (66).

De plus, les AA, ADH et AEP sont les précurseurs des eïcosanoïdes (leukotriènes, prostaglandines et thromboxanes), considérés agir comme des « hormones » paracrines et autocrines, impliqués dans de multiples fonctions biologiques. Les prostaglandines (PG) notamment, qui sont les principaux dérivés de l’AA, semblent jouer un rôle important dans le cerveau en développement. Elles participent aux ajustements du flux sanguin (67) et peuvent réguler l’expression de l’enzyme Oxyde Nitrique Synthétase (ONS) (68). L’ONS se retrouve dans différentes localisations de l’organisme. Au niveau endothélial, la synthèse d’oxyde nitrique (ON) induit la vasodilatation. D’un point de vue neural, l’ON aurait une activité de neurotransmetteur (participation à la recapture et au relargage de ces derniers) et participerait à la plasticité synaptique (68).

La concentration des PG (particulièrement PGE2) est élevée en période péri-natale dans le sang et le

cerveau (68) ; leurs récepteurs sont retrouvés dans les astrocytes et cellules oligodendrogliales impliquées dans le processus de myélinisation ; il a été suggéré que les prostanoïdes interviendraient dans la régulation et la différenciation des oligodendrocytes (69). Ces « pseudo-hormones » que sont les prostaglandines sont synthétisées par un complexe enzymatique à partir de l’AA : la prostaglandine synthétase. Elle est constituée d’une isoenzyme Cyclo-Oxygénase (COX) et d’une peroxydase, requérant un atome de fer. L’isoenzyme COX I est constitutive de l’organisme et se retrouve dans la majorité des cellules; elle est faiblement exprimée chez le nouveau-né, à l’inverse du stade adulte. La COX II, quant à elle, est fortement exprimée au niveau cérébral, en période périnatale (69,70) ; une

Enfin, puisque la majorité des études ont reproduit des déficiences sévères, et considérant qu’encore 18 % des femmes enceintes sont diagnostiquées avec une déficience en fer modérée dans les pays industrialisés, l’induction d’une déficience gestationnelle en fer légère à modérée permet de refléter davantage les processus de gestation et de développement actuellement rencontrés chez l’humain. De fait, deux objectifs généraux ont été instaurés pour cette étude, par l’entremise de 2 protocoles : le 1er étant d’évaluer, chez la progéniture issue de la femelle cochon d’Inde gestante, les effets

néfastes et délétères induits par une déficience en fer modérée durant la grossesse et la lactation, en analysant des données tant neurophysiologiques, que biochimiques. Par ailleurs, considérant que la

diète utilisée pour ce 1er volet d’étude était particulièrement riche en AGPI de la famille n-6

(ratio n-6:n-3 = 59:1) et dépourvue d’AGPI-LC, un 2ème volet d’étude a été instauré en utilisant une diète

également déficiente en fer, mais au profil modifié en acides gras (semblable au profil nord-américain), composée notamment d’AA, EPA, DHA et ayant un ratio n-6:n-3 de 11:1. Notre objectif s’est alors orienté vers la réplication potentielle ou non des résultats obtenus lors de notre 1er protocole.

Cette thèse s’articulera autour de plusieurs chapitres, le 1er étant la présente introduction.

Le 2ème expliquera les principes de fonctionnement de l’appareil auditif nécessaires à la compréhension

des mesures réalisées au moyen des potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral (PEATC), dans le contexte de la déficience en fer maternelle. Un 3ème chapitre décrira une revue non exhaustive de la

littérature en rapport avec la déficience en fer, les PEATC et la biochimie. Un 4ème chapitre définira

précisément les hypothèses et objectifs relatifs au présent projet. Les chapitres 5, 6, 7 et 8 intégreront respectivement les articles publiés et en voie de soumission. Une discussion générale synthétisera l’ensemble des résultats et apportera un regard critique sur les forces et faiblesses du présent protocole de recherche. Elle sera complétée par les retombées potentielles qu’un tel projet pourrait avoir, ainsi que par les perspectives de recherche. Enfin, une conclusion viendra clore cette thèse.

Chapitre 2. Anatomophysiologie de l’appareil