• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3. Revue de la littérature

3.5. Cerveau, fonctions neurologiques du fer et audition

3.5.1. Homéostasie cérébrale du fer et conséquences de la déficience

Les mécanismes opérant dans la plupart des organes (Tf, rTf , DMT1, ...) se retrouvent également au niveau cérébral (191). Toutefois, le métabolisme cérébral du fer fait encore l’objet de très nombreuses zones d’ombre. Le Tableau 3 (Cf. pages 36-37) tente de résumer les sites et mécanismes mis en jeu notamment au niveau des entrées et sorties de fer dans le cerveau. Un cerveau adulte sain a une forte concentration en fer (± 60 mg), distribué dans des régions spécifiques et plus ou moins riches dans le cerveau, telles le globus pallidus, le nucleus rouge, la substancia negria et le putamen. ; viennent ensuite le dentate nucleus, caudate nucleus et la substance blanche frontale (192). À la naissance, le contenu en fer cérébral est faible dans toutes les régions du cerveau et augmente de manière constante jusqu’à l’âge de 40 ans. Bien que la référence à cette étude nous soit très éloignée (1958), elle fut confirmée 36 ans plus tard par imagerie par résonance magnétique (IRM) (193).

Le cerveau acquiert le fer essentiellement via des rTf exprimés sur l’endothélium de la vascularisation cérébrale (194). Un processus régulateur adjacent lié à la présence d’astrocytes (cellules gliales

étoilées, de support et protection des neurones) intervient par ailleurs dans cette capture du fer au niveau de leurs pseudopodes (191). La régulation des mouvements du fer à travers la barrière encéphalique n’est pas complètement comprise, mais il est établi que le taux de capture en ce minéral est augmenté lorsque le statut ferrique du sujet est faible (195). C’est un processus particulièrement sélectif (196) où l’absorption du fer est initialement homogène, puis est suivie d’une redistribution dans des localisations spécifiques du cerveau (197,198); cette redistribution varie au cours des cycles de développement (199). Ces différents besoins régionaux de fer cérébral, aux différentes étapes du développement neurologique, pourraient ainsi conférer une sensibilité variable des régions du cerveau au manque nutritionnel de fer. Ainsi, lorsqu’une diète faible en fer est attribuée à des rongeurs dès la 2ème moitié de la période de la lactation, pour une courte période de 2 semaines, une réduction notable

de 25 % du fer est constatée dans 3 zones spécifiques du cerveau (cortex, striatum et lobe postérieur), ainsi que - 5 % dans le thalamus de la progéniture. Lorsqu’induite dès la fin du sevrage, la déficience en fer a occasionné une réduction de la concentration en fer voisine également de 20 à 30 % pour ces 3 mêmes zones, mais le thalamus devint plus sensible à la déficience en fer (- 20 %) (199,200). Il est à souligner que la Tf sérique peut transiter à travers la barrière endothéliale cérébrale et prend part ainsi au pool circulant de Tf du fluide cérébrospinal (201,202). La ferritine, quant à elle, est élevée à la naissance, puis diminue progressivement chez les nouveau-nés de rongeurs ; elle reflète adéquatement les niveaux de fer du cerveau (203) et suit une localisation régionale et cellulaire semblable à celle du fer (39). Là encore, toutes les régions cérébrales ne semblent pas identiques, quant à leur sensibilité à des altérations du statut en fer de l’organisme (172,199). D’un point de vue cellulaire, la plupart du fer et de la Tf se retrouve au niveau des oligodendrocytes (cellules responsables de la synthèse de la myéline) (39). Les rTf sont retrouvés sur les neurones, ainsi que sur la paroi des vaisseaux sanguins au sein du cortex, du striatum et de l’hippocampe (204), mais pas au niveau oligodendrocytaire, même sous des conditions de privation en fer, durant laquelle la Tf cérébrale est élevée (205). Cette hypothèse de la présence de rTf ayant été pourtant suggérée précédemment, la capture cellulaire du fer dans les oligodendrocytes semble davantage être influencée par la ferritine (206,207), que l’on retrouve également exprimée sur les neurones et sur la microglie (ensemble de macrophages responsables de la défense immunitaire du système nerveux central) (208,209). La présence de récepteurs de la ferritine (rF) à la surface des oligodendrocytes ayant été caractérisée (207,210), les mécanismes moléculaires de l’absorption du fer requièrent encore de nombreuses investigations.

Durant le développement, le cerveau est donc particulièrement vulnérable aux restrictions ferriques (195), considérant qu’il est requis lors du processus de myélinisation, et intervient aussi dans la

Tableau 3 : sites et mécanismes mis en jeu dans le métabolisme du fer

Localisation Destination et/ou cellule cible Transporteur et/ou site

d’action Cofacteur Mode d’action Références

1. Transports vers le cerveau :

1.1. ... à travers la barrière Hémato-Encéphalique (BH-E)

- endothélium (PL) endothélium (cytoplasme) Tf-Fe / rTf DMT1 endocytose (211) - endothélium (PL) fluide interstitiel Tf-Fe / rTf - transcytose (212) - endothélium (PL) fluide interstitiel Lf-Fe / rLf - transcytose (213) - endothélium (PL) fluide interstitiel GPI-MTf sMTf-Fe transcytose (211,214-216) - endothélium (PL) fluide interstitiel NTBI-DMT1 - protéine transmembranaire (215-217) - endothélium (PL) astrocytes population cellulaire)(sous CP - - enzyme - transport protéique (218) - endothélium (PB)

- neurones

- astrocytes fluide interstitiel

FP1-Hp

et/ou Hp - protéine transmembranaire (219-223) - endothélium (PB) astrocytes (pseudopodes) DMT1 - protéine transmembranaire (224)

1.2. ... à travers la barrière Sang-Fluide Cérébro-Spinal (BS-FCS)

- endothélium (PB) épith. plexus choroïdes Tf-Fe / rTf - endocytose (225) - endothélium (PB) épith. plexus choroïdes DMT1 - protéine transmembranaire (226)

1.3. ... autres (mécanismes incertains, dépourvus de système sanguin / fluide cérébrospinal) - organe

circumventriculaire7 cerveau ? ? ? (225)

- neurones moteurs

(org. périphérique) cerveau ? / rTf ? ? (227,228)

2. Transports dans le cerveau :

- oligodendrocytes - épith. plexus choroïdes

- neurones - astrocytes

- oligodendrocytes Tf-Fe / rTf - transport protéique (229,230) - fluide interstitiel

- FCS - neurones - microglie

- Lf-Fe / rLf

- GPI-MTf sMTf-Fe- transport protéique (231) ou - neurones - astrocytes DMT1 TCT - - Fer non-lié à Tf : citrate, ascorbate de

Fe, albumine-Fe (232,233) - neurones

- oligodendrocytes F / rF - - endocytose ? (206,207,210)

7Zones du cerveau n’ayant pas de BH-E : neurohypophyse, épiphyse, area postrema, organes subcommissural,

Localisation Destination et/ou cellule cible Transporteur et/ou site

d’action Cofacteur Mode d’action Références

3. Transports hors de certaines cellules du cerveau :

- astrocytes

- cell. gliales endothélium (PL) (microvasculature) CP - - enzyme - transport protéique (234,235) - cell. endothéliales

- neurones - oligodendrocytes - astrocytes - cell. des plexus

choroïdes

BH-E FP1 - protéine transmembranaire (220,236)

Cellules du/de : - cortex cérébral - hippocampe - striatum - substancia negria

BH-E Hp - protéine transmembranaire (222)

- épith. choroïde - neurones - astrocytes - endothélium - fluide interstitiel DMT1 (216,221,237) - certains neurones

- neuroglie - fluide interstitiel HO18 - enzyme (238)

4. Transports hors du cerveau :

- cell. endothéliales

(BH-E) circulation systémique Tf-Fe - transport protéique (239)

Abréviations : BH-E, barrière hémato-encéphalique ; BS-FCS, barrière sang-fluide cérébro-spinal ; cell., cellules ;

CP, céruloplasmine ; DMT1, transporteur de métal divalent (divalent metal transporter) ; épith., épithélium ; F / rF, ferritine / récepteur de la ferritine ; FCS, fluide cérébrospinal ; Fe, fer ; FP1, ferroportine 1 ; GPI-MTf, glycosyl-phosphatidylinositol-mélanotransferrine ; Hp, héphæstine ; HO1, héme-oxygénase 1 ; Lf-Fe / rLf, Lactoferrine-fer /

récepteur de la lactoferrine ; NTBI, fer non-lié à la transferrine (non-transferrin bound iron) ; org., organe ; PB, pôle basal ; PL, pôle luminal ; sMTf-Fe, mélanotransferrine soluble ; TCT, transporteur de cation spécifiques trivalent ; Tf-Fe, transferrine-fer.

Ces 40 dernières années, de nombreuses études animales se sont intéressées aux conséquences neurologiques de la déficience en fer nutritionnelle, essentiellement postnatale. Chez certains rongeurs (jeunes rats) déficients en fer, un retour à une alimentation normale en fer semblait maintenir des niveaux de fer et ferritine du cerveau diminués, et ceci malgré un régime adéquat en fer (240). Ces mêmes rongeurs, exposés plus tôt à la déficience sévère en fer (28 premiers jours postnataux)

révélaient aussi un déficit persistant en fer cérébral, ainsi que des changements comportementaux encore présents au stade adulte, et ceci, malgré un retour à une diète normale en fer (241). Les régions les plus affectées par cette déficience en fer postnatale sont l’hippocampe, la substancia negria et le striatum (30), dont il semble acquis qu’elles soient impliquées dans les déficits d’apprentissage, une faible réponse aux stimulations extérieures de l’environnement et une diminution des capacités exploratoires. D’autres effets comportementaux sont soulignés parmi lesquels sont retrouvés une diminution de la motricité et une inversion du rythme circadien de la thermorégulation, expliquées par des fonctions dopaminergiques cérébrales altérées (242). Chez l’humain, les enfants déficients en fer montrent des déficits similaires dans l’apprentissage, la mémorisation, l’acuité visuelle et la rapidité d’exécution de tâches (243). On rapporte également des cas de dépression, d’anxiété, de difficultés sociales et d’attention (12), malgré des thérapies réplétives en fer.

Lorsque la déficience en fer apparaît durant la période suivant le sevrage, la réplétion par le fer alimentaire apparaît rapidement dans le cerveau et semble effective (199,201,244,245), mais à l’inverse, lorsqu’elle apparaît in utero, ou en période périnatale (avant le sevrage) (30,245), ses effets semblent irréversibles, en dépit de la réplétion en fer (30). Ces données apparaissent être vraies pour les modèles animaux de rongeurs, mais le manque d’études comparatives avec les primates ou les humains laissent encore planer une part d’incertitude quant à de telles informations chez les hominidés, malgré des statuts hématologiques relatifs au fer restaurés (21,23). Nous verrons dans les chapitres ultérieurs, les études neurologiques et effets relatifs à la déficience en fer prénatale.