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Chapitre 3. Revue de la littérature

3.5. Cerveau, fonctions neurologiques du fer et audition

3.5.2. Myélinisation et transmission cérébrale (PEATC)

Chez l’humain comme chez les rongeurs, les cellules contenant du fer et prédominantes dans le cerveau sont les oligodendrocytes (246), responsables du processus de myélinisation et de la synthèse des acides gras (247) et du cholestérol de la myéline, processus requérant dans les 2 cas la présence de fer. L’hypothèse a été émise que les premiers oligodendrocytes matures, producteurs de myéline apparaîtraient actifs aux alentours de la naissance (248). Des altérations fonctionnelles de ces cellules sont associées à une hypomyélinisation et il a été suggéré que lorsque les oligodendrocytes sont immatures du fait de la déficience en fer (199), des retards moteurs et des altérations

comportementales pourraient apparaître chez de jeunes humains déficients en fer (249). Cette hypothèse a été émise notamment par l’utilisation des PEATC chez l’humain et étudiée par

En effet, plusieurs études utilisant les PEATC chez l’humain ont mis en évidence des allongements des temps de transmission de l’information neurale (latences) le long des voies auditives, associés à la déficience en fer (20-22). Toutes ces études ont émis l’hypothèse que l’origine de cet accroissement de la vélocité le long des voies auditives aurait pour origine une hypo- ou une démyélinisation des voies nerveuses. Ces données correspondent à une déficience en fer postnatale ; les études portant sur des modèles animaux apparaissent plus révélatrices. Toutefois, il réside encore des opinions controversées quant à la sévérité des diètes utilisées, quant au stade de développement où la déficience intervient, ainsi qu’aux origines et localisations exactes où les effets sont observés. Depuis récemment, et à juste titre, une nouvelle voie de recherche s’est portée sur la déficience en fer gestationnelle (prénatale) modérée à faible, reflétant ainsi davantage ce qui apparaît chez l’humain, dans les pays industrialisés ; la quantité d’études est toutefois très limitée. Seront donc abordés ci-après les résultats de recherches portant sur la déficience en fer postnatale et prénatale, tant chez l’humain que parmi les modèles animaux.

3.5.2.1. Déficience en fer postnatale

Une étude longitudinale portant sur des nourrissons chiliens de 6 mois présentant une anémie ferriprive (Hb ≤ 100 g/L) a évalué leur neuroconduction le long des voies auditives dès leur entrée (âge : 6 mois) dans le protocole (21). Durant 1 an de traitement réplétif effectif avec 15 mg de fer élémentaire / jour, les enfants étaient successivement évalués par PEATC à l’âge de 12 et 18 mois. À l’âge de 6 mois, leurs temps de conduction centrale (aussi appelés Temps de Latences Inter-Pics I-IV, ou I-IV IPL, en anglais) étaient allongés comparativement au groupe de nourrissons témoins, et montraient une aggravation plus prononcée au cours du traitement réplétif en fer (i.e. à 12 et 18 mois) ayant corrigé l’anémie. Les latences absolues du Pic V montraient également des allongements pour le groupe déficient à 12 et 18 mois. Ces mêmes sujets anciennement anémiques ont été ré-évalués par les PEATC à l’âge de 4 ans (20), sans pouvoir montrer d’amélioration de la conduction centrale. L’ensemble des latences absolues des pics I, III et V révélait des temps d’apparition plus tardifs chez les enfants anciennement anémiques, ainsi que des IPL III-V et I-V prolongées. Bien qu’il n’y ait pas eu d’évaluation directe possible de la myélinisation, les auteurs supportent l’hypothèse d’une hypo- myélinisation. Cette hypothèse sera également reprise dans une autre étude (22) révélant, à différents stades de développement d’enfants anémiques (Groupe 1 : 12 mois, Groupe 2 : 13-36 mois et Groupe 3 : 37-60 mois) des retards dans les IPL I-V, puis dans les latences absolues du pic V, puis du pic I. La très forte variabilité dans les stades de développement, ainsi que les critères de définition de l’anémie (< 120 mg/L) pourraient néanmoins ici remettre en question les résultats. L’étude de Shankar et al. portant sur des enfants anémiques (7 ans ½, pas de réplétion en fer) ne détectera qu’un

modification de la vélocité de la conduction chez des enfants déficients en fer ou anémiques, testés par les PEATC en début et fin de réplétion (24,25) ; on peut toutefois s’interroger ici également quant à la validité des mesures réalisées, considérant la très forte variation d’âge (6 mois < âge < 24 mois) présente au sein des populations à l’étude, ainsi que l’utilisation de sédation et une absence de contrôle de la température corporelle, voire une forte disparité entre les mesures de PEATC.

3.5.2.2. Déficience en fer prénatale

Au delà de l’intérêt que peut porter la déficience en fer postnatale, la déficience prénatale reflète davantage et plus précisément ce qui peut être rencontré chez la femme en gestation et détermine également les impacts sur la descendance. Ainsi, Amin et al. ont pu déterminer, chez des nourrissons prématurés (âge gestationnel moyen: 29 semaines), présentant un statut en fer altéré in utero (évalué par la mesure de la concentration de la ferritine du cordon : 11 < Fc < 75 ng/mL) mais étant non-

anémiques au moment de l’évaluation des PEATC, que les latences absolues des pics III et V présentaient des retards (même tendance sur le pic I, Ptendance = 0.06) en comparaison avec les

prématurés ayant un statut en fer normal in utero (250). Aucune des mères ne présentait une déficience en fer gestationnelle. Les auteurs concluent cette étude en soulignant l’importance du retard de la maturation des voies auditives et de la potentialité d’un effet à long terme. Ultérieurement, ces mêmes auteurs reproduiront cette étude, mais chez des sujets d’âge gestationnel > à 35 semaines (moyenne : 38 semaines) et détermineront là encore, au sein du groupe ayant des réserves en fer basses, des allongements des temps de transmissions (IPL III-V et I-V), imputant ces résultats à de potentielles altérations de la myélinisation (251). L’intérêt de cette étude porte également sur le fait que des tests d’oto-émissions acoustiques (en anglais, DPOAE, Distortion Product OtoAcoustic Emissions) ont été instaurés en parallèle, évinçant ainsi une potentielle dysfonction des cellules ciliées externes (CCE ; OHC, Outer Hair Cell en anglais) de la cochlée (251). L’étude de Cetin et al. l’a par ailleurs confirmé chez des adultes anémiques (87). Sur des modèles de rats ayant subi une restriction en fer durant le développement embryologique et jusqu’au jour postnatal 45, aucune altération des DPOAE n’a pu être par ailleurs démontrée (248).

Sur des modèles animaux, une première étude (248) a porté sur la déficience en fer (sans anémie) durant la gestation et la lactation chez des rates nourries avec une diète déficiente en fer (2-6 μg Fe/g de diète) à divers stades (Groupe 1 : 2 semaines avant, Groupe 2 : au moment et Groupe 3 : 1 semaine après et Groupe 4 : 2 semaines après la conception) et jusqu’au jour postnatal 45 (JPN 45) des petits. Au JPN 7, les niveaux de fer sérique (- 63 %) et du cerebellum, l’hématocrite (- 40 %), ainsi que les poids embryologiques étaient particulièrement affectés chez la progéniture ; des valeurs semblables étaient observées au JPN 45. À ce titre, les statuts hématologiques de l’ensemble des

petits issus de mères déficientes reflétaient tous une anémie sévère au moment des tests de PEATC (JPN 45). Les IPL I-II et I-IV des petits issus de mères des groupes 1, 2 et 3 présentaient toutes des allongements (retards de maturation) en comparaison avec leur groupe témoin respectif, à l’exception du groupe 4. Les auteurs précisent donc que les déficiences en fer induites avant conception et aux équivalents trimestriels 1 et 2 de la gestation chez le rat seraient une fenêtre de vulnérabilité majeure pour le fœtus. Considérant l’absence de contrôle de la température corporelle de ces animaux durant les procédures de PEATC et les fortes variations observées en post-analyses, les effets observés d’allongements des latences pourraient avoir été amplifiés dans cette étude. Une autre étude du même groupe de recherche (252) a couplé cette fois les PEATC (aux JPN 14, 21 et 40) à des mesures histologiques et morphologiques (microscopie électronique) du nerf auditif (pic I), chez des petits issus de mères déficientes en fer (2-6 μg Fe/g de diète, 2 semaines avant la reproduction, jusqu’aux tests de PEATC). Cette déficience gestationnelle modérée n’a pas induit d’anémie postnatale chez les petits, mais a provoqué une réduction importante et significative des concentrations en fer (- 50 %) et ferritine dans le système nerveux central. Les résultats observés chez la progéniture ont montré une diminution transitoire des latences du Pic I (JPN 14), suivie par une élévation de celles-ci (JPN 40). Morphologiquement, des différences dans les diamètres des axones du nerf auditif corrélaient précisément avec les variations des PEATC du Pic I, où un diamètre plus faible était observé sur les axones des petits issus de mères modérément déficientes par rapport au groupe témoin, au JPN 14 ; inversement, au JPN 40, un diamètre plus important était visualisé chez ces animaux. La dispersion du diamètre de ces mêmes axones était par ailleurs perturbée chez ces animaux, sans que le nombre d’axones myélinisés ne diffère pour autant. L’épaisseur des feuillets de myéline était identique parmi les 2 groupes. Par ailleurs, aucun changement au sein de ces derniers n’était caractérisé quant au nombre d’oligodendrocytes matures (via la mesure de la Mbp, Myelin basic protein). Cette dernière étude révèle que le soupçon porté quant à une hypo-, voire une démyélinisation, induite par la déficience en fer pré- et/ou postnatale, pourrait en fait être remis en question ; cette étude pourrait bien plus refléter une perturbation de la maturation des axones, qu’une altération du processus myélogénique.

Enfin, il a été démontré que l’intégrité de la gaine de myéline conditionnait aussi le maintien de la survie des neurones. Une corrélation significative entre l’épaisseur de la myéline, le nombre de dendrites et la densité des corps cellulaires des ganglions spiraux supporterait l’hypothèse que les cellules de Schawnn et les neurones sont interdépendants (253). A différents degrés de démyélinisation périphérique du nerf auditif (PI) induits génétiquement, 2 types de souris révélaient un ralentissement de la vitesse de conduction sur les PI, II, et III (253).

Peu d’investigations ont été entreprises quant à l’analyse des potentiels évoqués des latences longues, ou des potentiels évoqués corticaux (P1, N1, P2) dans le contexte direct de la déficience en fer et/ou de

l’anémie ferriprive. Hassaan et al. démontreront que chez des enfants âgés de 1 à 3 ans présentant une malnutrition protéino-énergétique (MPE) associée à une anémie ferriprive, les temps de latences corticales (N1, P2) étaient amplifiés et leurs amplitudes diminuées, par rapport au groupe témoin

d’enfants non-anémiques (MPE), et ceci, en dépit de seuils auditifs normaux (254). De manière surprenante, les analyses corticales des latences étaient allongées chez les enfants anémiques, alors que les analyses des temps de latences du tronc cérébral (PI, III, V et IPL I-III et III-V) étaient inchangées. Stuart et Mills (255) se sont intéressés à une étude de cas d’une patiente asiatique de 64 ans atteinte d’une neuropathie audiologique unilatérale (oreille droite ; étiologie inconnue) ; cette patiente était parallèlement traitée pour un rapport d’hypertension, hypercholestérolémie (traitement par aspirine), ainsi que d’anémie. Les analyses de la microphonie cochléaire et par DPOAE étaient normales chez cette patiente et ne révélaient pas d’altération des cellules ciliées externes. À l’inverse, l’absence totale de réponse audiologique aux PEATC (fenêtre temporelle : 10 ms) de l’oreille droite signait la neuropathie unilatérale. L’intérêt porté sur les réponses de potentiels évoqués auditifs (PEA) sur les latences moyennes (Pa/P41 : fenêtre temporelle : 100 ms) et longues

(potentiels corticaux : P1, N1, P2 ; fenêtre temporelle : 1000 ms) ne signait pas de différences

significatives quant aux temps de transit des PEA. À l’inverse, une diminution des amplitudes était présente sur ces deux derniers paramètres d’analyses. Bien que l’étiologie de la neurophathie de cette patiente n’ait pu être déterminée avec exactitude, les auteurs de cette étude de cas n’en soulignent pas moins l’importance de surveiller attentivement tout patient traité par aspirine et/ou présentant un cas d’anémie. Chez des primates non-humains (macaques), Golub et al. démontreront que la déficience en fer durant la gestation induit un allongement des temps de latences du PVII chez les jeunes primates âgés de 8 mois et ayant reçu une alimentation normale en fer durant la lactation et le sevrage (256). Parallèlement, l’analyse de la substance blanche cérébrale par imagerie par résonnance magnétique (IRM) n’a pu déterminer de différence significative entre les groupes expérimentaux et témoin à cet âge. Bien que leurs concentrations étaient réduites (non-signifcativement), une conclusion similaire était également établie quant aux niveaux de catécholamines (métabolites dérivés de la DO et SER) du liquide cérébrospinal.