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B. Méthodes de la recherche

II. Nature du régime communiste de la RDA

1. Monopole légitimatoire du Parti communiste. Déviation de l'Etat de droit

La Cour de Berlin (s'appuyant certainement sur l'organigramme détaillé du système politique de la RDA, fourni par le Ministère public) dégage le profil normatif spécifique du régime communiste de la RDA. A la différence de l'Etat de droit, dans l’ex RDA, la source principale de l'ordre normatif, par conséquent le fondement de l'activité étatique, n'est pas la volonté du peuple, promulguée pour la durée dans une constitution, mais la volonté du parti

communiste, conditionnée par la vérité du parti.

"Les accusés - conclut le tribunal -, en tant que représentants haut placés de l'Etat, ont cru ne pas devoir mesurer leur comportement aux normes juridiques, mais poser des étalons politiques. Tandis que l'Etat de droit se caractérise, entre autres, par l'exigence d'imposer la conformité au droit comme critère suprême pour l'appréciation de l'acte d'Etat, auquel devraient être subordonnées toutes considérations d'opportunité politique, les dirigeants de l'Etat et du Parti en RDA prenaient pour maxime suprême ce que le Parti croyait juste." (traduction propre).252

2. Primauté des considérations politiques (le bien de l'Etat) sur des biens juridiques (les droits des citoyens)

La source indiquée de l'ordre normatif de l'ex RDA - la volonté et la vérité du Parti - permet une envergure singulière de l'activité politique des autorités, non retenue par les contraintes et restrictions de prescriptions juridiques strictes et formelles, ni par un catalogue obligatoire de droits des citoyens. Le pouvoir est exempté du devoir de rendre des comptes, devant les tribunaux et sur la base de la loi formelle, pour son activité politique; il n'est soumis qu'à la "raison du Parti". De cette manière la marge de l'autorité discrétionnaire est élargie jusqu'aux allures du volontarisme politique, non entravé par les contraintes d'un juridisme pointilleux. Dans ce système normatif les objectifs de droit cèdent systématiquement le pas devant des considérations d'ordre politique; les droits des citoyens sont systématiquement subordonnés au bien suprême - le bien présumé de l'Etat, qui est censé coïncider avec celui du parti étatique.

"L'instruction a montré - résume le Ministère public dans l'Acte d'accusation - que ce ne sont pas des catégories juridiques, mais exclusivement des objectifs politiques qui avaient déterminé le comportement des inculpés dans le Conseil national de la défense. Le recours aux armes à feu était effectué en accomplissement de

la "mission de classe", qualifiée comme "profondément humaniste", et pour éviter des dommages politiques et moraux, causés à la RDA par les passages de la frontière." (traduction propre).253

Qui plus est, l'exercice du pouvoir judiciaire lui aussi devait céder le pas devant les considérations d'opportunité politique, d’après les constats de l'Acte d'accusation:

"Selon la volonté explicite ou présumée de la direction du Parti et de l'Etat des délits sont restés sans poursuite pour des raisons politiques, contraires à l'Etat de droit." (traduction propre).254

3. Clivage entre loi écrite et pratique étatique

Aussi bien le Ministère public que les tribunaux saisis pour le procès Honecker font état d'une particularité du système normatif de l'ex RDA: notamment l'écart entre la loi écrite

et la pratique étatique. Un système juridique formel, tel que connu dans les vieilles

démocraties de l'Europe, n'a jamais cessé d'exister en RDA. La loi fondamentale a bien été la Constitution, les lois ordinaires ont été votées par le Parlement d'après des règles formelles identiques à celles des pays occidentaux. A ce système juridique classique incombe pourtant le rôle de paravent de l'activité étatique. En réalité, le quotidien juridique se déroule à côté des lois fixées dans les textes, dans une sorte de pratique juridique parallèle. La pratique étatique est régie par un système de consignes et d'ordres, émanant du sommet de l'Etat (qui coïncide avec celui du Parti) et transmis jusqu'aux étages subalternes de la hiérarchie du pouvoir. Dans ce système réglementaire parallèle le mot d'ordre est normalement transmis sous forme orale. L'instruction orale se superpose aux textes écrits.

En ce qui concerne concrètement la Loi sur la surveillance de la frontière (posant les bases juridiques de l'activité de protection de la frontière interallemande), d'une part, et d'autre part la pratique juridique réelle en la matière, la Cour Fédérale de Justice croit avoir démasqué le caractère démagogique de cette loi, dont la prédestination serait de créer les apparences de droit:

"L'art 27 de la Loi sur la surveillance de la frontière255 - considère la Cour Fédérale de Justice (d'après la référence de la Cour Constitutionnelle) - ne devrait pas être pris en considération en tant que fait justificatif à l'égard des membres du Conseil national de la défense, et cela à plus forte raison qu'à l'égard des tireurs. Tandis que pour les tireurs il pourrait ne pas être complètement clair, pour les requérants, par contre, il serait tout à fait évident que ce paragraphe avait pour but de créer simplement l'apparence que l'usage des armes à feu reposait sur des règles internationales strictes." (traduction propre).256

L'existence d'un parallélisme juridique, composé d'une virtualité juridique, contenue dans les textes de lois, et d'une pratique juridique, opérant par un système de commandements, est articulée dans le jugement de la Cour de Berlin:

"Dans l'ensemble des commandements adressés aux troupes stationnées à la frontière une importance primordiale fut accordée à l'empêchement de toute tentative d'évasion. A cette maxime était subordonnée la vie du réfugié particulier. (…) Le tribunal ne part pas, dans ce cas, de l'existence d'un ordre formel écrit, qui aurait prescrit explicitement la mise à mort des réfugiés. (…) La fixation écrite d'une telle instruction aurait été contraire à la pratique juridique en RDA. La mise à mort des réfugiés n'a jamais été l'objectif propre du régime de surveillance de la frontière, le but principal était surtout l'empêchement de toute tentative d'évasion. Dans l'accomplissement de cet objectif on devait, certes, éviter tout homicide, en même temps on envisageait la mort du réfugié, en cas de nécessité. Cela a été transmis aux soldats par leurs supérieurs, et sous forme orale. Les lois, ordres et instructions écrits étaient ainsi sciemment falsifiés et élargis.

Il ne s'agit décidément pas, dans ce procès, du texte des dispositions sur l'usage des armes à feu, pour la raison que ce n'était pas le texte écrit qui primait pour les soldats, mais ce qui leur était transmis par leurs supérieurs pendant la formation, l'enseignement politique et le service quotidien." (c'est moi qui souligne)

III. Base juridique de l'accusation