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1.3 Cas des écoulement gazeux : effet de raréfaction

2.1.3 Nanobulles et film lubrifiant

En parallèle aux efforts visant à la caractérisation du glissement hydrodynamique, la question a priori tout aussi simple de la nature de l’interface eau—surface hydrophobe a récemment provoqué de nombreux travaux3.

L’existence ou non de structures microscopiques gazeuses (nanobulles), ou au moins d’une forte réduction de la densité de l’eau près d’une paroi hydrophobe est une question encore ouverte. Or une telle couche serait le moteur d’une lubrification permettant d’ex- pliquer d’une part les forts glissements observés (dans le cas hydrophobe), d’autre part les disparités des différents résultats expérimentaux si les nanobulles sont dépendantes du détail des propriétés de la paroi hydrophobe.

De telles nanobulles ont été observées (en l’absence d’écoulement) par AFM, par Ishida [68] et Tyrrell [155,156]. La figure 2.3 montre la topologie des objets, des «bulles»

Fig. 2.3: Image AFM d’une surface hydrophobe immergée. d’après [155]

aplaties d’une dizaine de nanomètres de hauteur pour un diamètre de l’ordre de 100 nm,

30 Chapitre 2. État de l’art : phénomènes en jeu et caractérisations expérimentales

et un taux de couverture de la surface très important. La géométrie aplatie atténue un peu l’instabilité de telles structures en augmentant le rayon de courbure ; mais un rayon de 50 nm correspond tout de même à une surpression de Laplace 2γ/R de l’ordre de 10 bars, la dissolution des bulles devrait être très rapide4.

Certaines équipes qui ont étudié ce phénomène ont conclu à la présence de nanobulles ou d’une couche de moindre densité de l’eau sur un solide hydrophobe, mesurées par d’autres méthodes (réflectivité des neutrons ou des rayons X, cavitation optique) [20,26, 70,135,142,159]. D’autres infirment l’existence de structures submicrométriques, comme les expériences en ellipsométrie de Mao et al. [92], ou proposent d’interpréter les données AFM par la présence d’un polymère contaminant les surfaces, dont l’adsorption sur une paroi hydrophobe est favorable [55].

Remarque – On peut noter l’existence d’un débat parallèle sur l’origine de l’in- teraction hydrophobe : sa longue portée et son amplitude étant inexplicable par une théorie de type DLVO. Une interprétation proposée est un pontage capillaire de nanobulles (en particulier la dépendance de la force attractive mesurée avec la quantité de gaz dissout ou de tensioactif, mesurée par Lin et Meyer [87, 103]). At- tard propose une analyse thermodynamique de ce phénomène [9,10] et suppose que les nanobulles préexistent, bien que leur stabilité reste difficilement explicable. Par une approche de champ moyen, Andrienko et collaborateurs démontrent la possi- bilité d’un pontage, les nanobulles ne se formant selon leur modèle qu’à l’approche de deux surfaces hydrophobes [7].

Le rôle de ce film sur le glissement hydrodynamique peut être vu, selon une image un peu naïve, comme celui d’une couche lubrifiante. Ce type de comportement était déja invoqué en 1987 par Derjaguin et Churaev [47] ou plus récemment par Lum et al. [88] ; Vinogradova propose un modèle à deux couches [158], explicité sur la figure 2.4 (repris par Granick en 2003 [60]). Si le film contre le solide a une épaisseur δ et une viscosité ηf contre ηs pour le solvant, on obtient immédiatement :

b = δ ηs ηf

− 1 

(2.5)

b peut être très grand devant l’épaisseur du film si le rapport des viscosités est impor-

Fig. 2.4: Couche lubrifiante correspondant aux nanobulles sur une paroi hydrophobe (d’après [158]).

tant.

4

Pour une discussion sur la stabilité des nanobulles, on pourra consulter [10], où Attard défend de façon détaillée leur existence.

2.1. Dépendance avec les paramètres physiques 31

Andrienko et al. montrent qu’une transition de prémouillage peut amener au-delà d’une température critique à l’existence d’un film lubrifiant près d’un mur, dépendant des propriétés de mouillage [6].

De Gennes [45] suppose l’existence d’un film de gaz à l’interface liquide—solide, d’épaisseur h petite5 devant le libre parcours moyen λ, le film se trouve dans un régime moléculaire libre (de Knudsen). Le transfert de quantité de mouvement (contrainte tangentielle) du gaz au solide vaut ρvsvz. ρ est la densité du gaz, vs la vitesse de

glissement, et vzla vitesse des molécules de distribution gaussienne et de valeur moyenne

vth/(2π)1/2, où vth = (kT /m)1/2 est la vitesse d’agitation thermique (m est la masse

moléculaire). Il donne accès au coefficient de frottement α (défini selon σ = αvs), lui-

même lié au glissement par σ = η∂v∂z. On obtient ainsi si h est petite devant λ :

b ≈ η

ρvth/(2π)1/2.

(2.6)

L’ordre de grandeur typique est de quelques microns, et est indépendant de l’épaisseur h du film.

En mesurant la sédimentation de billes dans l’eau, Boehnke et al. observent un glis- sement de l’ordre du micron, qui disparait si l’expérience est réalisée à pression réduite, ce qui pourrait traduire la nécessité de gaz dissout à l’existence de nanobulles [20].

Lauga et Brenner invoquent la dissolution et compression dynamiques des nanobulles pour expliquer les résultats obtenus en machine de force par Zhu et Granick [177], qui obtiennent à la fois un fort glissement et une dépendance avec le taux de cisaillement [80]. Notons enfin une approche mésoscopique par une discrétisation minimale de l’équa- tion de Boltzmann (discrétisée à la fois dans l’espace physique et pour la quantité de mouvement, méthode dite de «Lattice-Boltzmann» ou LB). Succi a ainsi montré l’in- fluence de la nature de la réflectivité du mur solide (transfert de quantité de mouvement diffus ou spéculaire) sur le glissement donné par ce type de modèle [145]. En introdui- sant des interactions liquide—solide et liquide—liquide non-idéales, Benzi et collabo- rateurs [15] montrent (résultats non encore publiés) la possibilité d’une transition de phase du liquide près du mur, signe d’un film lubrifiant. Ils obtiennent ainsi le profil de vitesse présenté sur la figure 2.5(a), dont l’ajustement parabolique loin des parois améne à un fort glissement apparent. Zhang et collaborateurs arrivent selon une démarche du même type à un glissement fonction d’un paramètre d’interaction liquide—solide, le cas non-mouillant amène à un glissement substantiel (figure 2.5(b)).