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DE LA DIFFUSIVITE DE DIFFERENTS TRACEURS

4.2 A NALYSE DES RESULTATS OBTENUS DANS LES PATES DE CIMENT CEM V

Figure 88 – Comparaison des facteurs de formation des traceurs dans les trois états de dégradation (normalisés par la porosité de chaque pâte de ciment)

En comparant dans chaque état de dégradation le comportement des traceurs avec le neutre, on constate des comportements totalement différents dans les trois cas (Figure 88) :

- A l’état sain, l’espèce anionique (Cl-) est clairement moins rapide que l’espèce neutre (D2O) alors que l’espèce cationique (Cs+) est plus rapide. On a ainsi :

[𝐹𝑐𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛]𝑆𝑎𝑖𝑛> [𝐹𝑛𝑒𝑢𝑡𝑟𝑒]𝑆𝑎𝑖𝑛> [𝐹𝑎𝑛𝑖𝑜𝑛]𝑆𝑎𝑖𝑛. [4.2-1] - A l’état partiellement lixivié, toutes les espèces ont le même facteur de formation quel que soit

leur charge. Elles sont affectées de la même manière par la géométrie du matériau (porosité, tortuosité…) et les phénomènes microscopiques (comme les effets de DCE) peuvent être considéré comme négligeables :

[𝐹𝑐𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛]𝑃𝑎𝑟𝑡.𝑙𝑖𝑥= [𝐹𝑛𝑒𝑢𝑡𝑟𝑒]𝑃𝑎𝑟𝑡 .𝑙𝑖𝑥= [𝐹𝑎𝑛𝑖𝑜𝑛]𝑃𝑎𝑟𝑡.𝑙𝑖𝑥= ∅𝑃𝑎𝑟𝑡.𝑙𝑖𝑥𝐹𝑃𝑎𝑟𝑡 .𝑙𝑖𝑥. [4.2-2] - A l’état lixivié, au contraire de l’état sain, ce sont les espèces cationiques les moins rapides. Le

facteur de formation de l’espèce neutre semble entre ceux des traceurs anioniques et cationiques : [𝐹𝑐𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛]𝐿𝑖𝑥𝑖𝑣𝑖é< [𝐹𝑛𝑒𝑢𝑡𝑟𝑒]𝐿𝑖𝑥𝑖𝑣𝑖é< [𝐹𝑎𝑛𝑖𝑜𝑛]𝐿𝑖𝑥𝑖𝑣𝑖é. [4.2-3]

Entre ces trois états, la différence la plus importante est la composition de la solution porale, la différence de porosité est faible et a été prise en compte dans le calcul des facteurs de formation 𝐹𝑖. Les simulations effectuées avec PhreeqC montrent clairement des comportements diffusifs différents suivant les espèces, dans les pâtes de ciment à différents états. Il n’est donc pas raisonnable physiquement d’assigner un paramètre géométrique macroscopique global unique 𝐺 à toutes les espèces, ou un coefficient de tortuosité unique comme le font certains auteurs [89].

Afin d’analyser plus finement les résultats obtenus, il est important de revenir en détail sur les trois états de dégradations étudiés. Cela permettra de mieux comprendre les phénomènes microscopiques qui peuvent apparaitre durant la diffusion des traceurs à travers les différentes pâtes de ciment étudiées. Les trois états de dégradation du matériau, dont les solutions porales sont rappelées Tableau 33, sont identifiés sur la courbe expérimentale de Pointeau et al [175] sur la Figure 89 qui représente la charge de surface (ou potentiel zêta75) mesuré en fonction du pH de la solution porale d’une pâte de ciment CEM V. On remarque que la charge de surface est négative et s’approche de la valeur négative maximale lorsque le matériau est sain (à pH 13.35) et tend à devenir positive lorsque le pH de la solution interstitielle diminue. Lorsque le matériau se lixivie (à pH 12.94), la charge de surface devient neutre. Enfin, dans une pâte de ciment CEM V lixiviée à pH 12.59, la charge de surface est positive et s’approche de la valeur positive maximale.

Etat de la pâte CEMV pH

Sain 13.35

Partiellement lixivié 12.94

Lixivié 12.59

Tableau 33 – pH des solutions porales des pâtes de ciment CEM V étudiées dans ces travaux

Figure 89 - Charge de surface en fonction du pH de la solution porale d’une pâte de ciment CEM V mesurée par Pointeau et al. [175]. Référencement des différents états de dégradation de pâtes de ciment étudiés d’après le

Tableau 33.

Dans la littérature, des observations similaires ont été effectuées dans la pâte de ciment à l’état sain et dans les argiles [176]. D’importantes analogies ont été établies entre la structure des gels CSH présents dans les matériaux cimentaires et la structure d’une argile naturelle [1, 177]. On constate une répulsion des anions due à la charge négative de la surface interne des pores. En effet, dans la pâte de ciment, les gels CSH sont chargés négativement de manière intrinsèque [90, 175]. Comme cette surface chargée est

75 Le potentiel zêta correspond au potentiel électrique au niveau du plan de cisaillement (associé par hypothèse au plan de Helmholtz (cf. Figure 13).

en contact avec la solution porale du matériau, une double couche électrique [178] se forme76. Elle est composée d’une couche compacte, dans laquelle les cations (et principalement le calcium [12, 179]) sont adsorbés, et une couche diffuse. La charge intrinsèque des gels CSH et la charge de la couche compacte composent ainsi la charge globale de surface. La couche diffuse est la réponse de la solution à cette charge globale et son influence est caractérisée par la longueur de Debye 𝑙𝐷 [85]. Elle est plus importante pour des concentrations ioniques faibles dans la solution.

On se propose de représenter par un schéma77 à l’échelle macroscopique les effets observés dans la pâte de ciment à l’état sain (Figure 90). La concentration en calcium est, dans ce cas, très faible et n’est pas suffisante pour compenser la charge négative des CSH78. La charge globale de surface reste donc très négative [175]. Les espèces ioniques, quel que soit leur charge, peuvent diffuser dans la zone libre au centre du pore qui n’est pas affectée par la charge globale de surface [180]. Dans les pores les plus petits où la couche diffuse est très importante et occupe quasiment tout le pore (comme celui en haut de la Figure 90), les cations peuvent migrer vers l’intérieur, les anions sont en revanche repoussés. Ce phénomène est appelé dans les argiles « exclusion anionique » [181]. Le coefficient de diffusion des anions dans cet état de dégradation, sera alors plus faible que celui des cations, en plus de la différence qui existe déjà en milieu infiniment dilué.

Figure 90 – Influence des surfaces chargées dans la pâte à l’état sain

D’autre part, les cations vont, de façon évidente, diffuser plus rapidement qu’une espèce neutre. Ils vont être accélérés par la charge de surface car la couche diffuse présente de forts gradients de concentration et des chemins préférentiels de diffusion pour les espèces de charge positive. Cette différence de comportement diffusif entre le césium et les chlorures, observée dans la pâte de ciment à l’état sain semble encore plus visible du fait que l’on ait diminué la concentration en traceur à 50 mol/m³ (donc la force ionique, ce qui augmente la longueur de Debye et l’influence de la DCE).

Il a été observé dans les argiles que la capacité diffusive des ions diminue lorsque la salinité de la solution augmente car la force ionique augmente alors et l’épaisseur de la DCE diminue [182]. Plus récemment, il a été constaté dans des essais de diffusion dans de la roche du Callovo-Oxfordien, que la diffusion d’une espèce cationique comme le strontium diminuait drastiquement en augmentant la force ionique de la solution porale (et plus particulièrement la concentration en sodium dans les pores) [183]. Notons que le strontium se diffuse dans tous les cas plus rapidement que l’espèce neutre (HTO).

76 En contact avec l’eau, les phases solides du matériau développent une charge de surface qui est contrebalancée ou non par les ions dans la solution porale de charge opposée. Ces ions se situent dans la Double Couche Electrique (DCE).

77 Il est important de remarquer que, bien que la représentation proposée (Figure 86) soit statique, le phénomène est dynamique et les espèces ioniques sont constamment en mouvement.

Figure 91 - Influence des surfaces chargées dans la pâte à l’état partiellement lixivié

En s’intéressant maintenant au cas de la pâte de ciment partiellement lixiviée : on remarque que les espèces diffusent de la même manière indépendamment de leur charge. En lixiviant la solution porale du matériau, la concentration en alcalins a diminué très fortement ce qui a provoqué une augmentation de la concentration en calcium lors de la mise en équilibre de la solution porale avec la portlandite. La concentration en calcium est dans ce cas assez importante dans la couche compacte pour équilibrer la charge globale de surface qui devient alors quasiment neutre (Figure 91). La porosité n’exclue aucune espèce, elles se comportent toutes comme des éléments neutres. L’eau deutérée et les espèces chargées étudiées ont donc le même facteur de formation 𝐹𝑖= ∅𝐺.

Dans la pâte de ciment lixiviée, la solution porale riche en alcalins a été progressivement substituée à une solution fortement concentrée en calcium, or le calcium possède une grande affinité avec la matrice cimentaire et a la capacité de se fixer facilement sur les CSH de la pâte de ciment [90]. La charge de surface devient alors positive (Figure 92). Dans ce cas, au contraire de ce qui a été observé sur la pâte à l’état sain, les espèces cationiques sont bloquées dans les porosités les plus petites (exclusion cationique à cause de la couche diffuse), tandis que les espèces anioniques sont légèrement accélérées par les charges de surfaces (et diffusent donc plus rapidement qu’une espèce neutre).

Figure 92 - Influence des surfaces chargées dans la pâte à l’état lixivié

Le volume accessible pour la diffusion du césium et du lithium est ainsi plus petit que celui des chlorures (et du neutre). Une différence de comportement diffusif entre les deux traceurs cationiques est cependant visible sur la Figure 88 : le lithium semble moins affecté par les charges de surface que le césium. On observe un comportement diffusif similaire des alcalins à travers la roche du Callovo-Oxfordien : le

césium est plus affecté par la charge de surface que le lithium (rapport de 5) [184]. On observe d’autre part que le coefficient de diffusion du césium est très variable en fonction de la force ionique de la solution [185]. Cette différence de comportement peut s’expliquer par des propriétés d’hydratation différentes entre les deux cations [184, 173].

On observe ainsi des comportements diffusifs d’espèces ioniques très différents en fonction de l’état de lixiviation du matériau alors que sa microstructure reste inchangée. La solution porale de la pâte de ciment à un état de dégradation donné influence les charges de surface présentes et diminue la porosité accessible de certaines espèces dans les pores de taille nanométrique. On ne peut cependant pas conclure en l’état si les effets de charge observés sont seulement dus à la Double Couche Electrique, ou également à un blocage physique des ions.