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1.2 E TUDE EXPERIMENTALE SUR LA DIFFUSION DES CHLORURES DANS LES MATERIAUX CIMENTAIRES

1.2.3 E TUDE DU TRANSPORT DIFFUSIF EN REGIME STATIONNAIRE

1.2.3.1 L’essai de diffusion

Historiquement, les premiers essais de diffusion naturelle remontent au XIXesiècle. Lorsque Graham relia deux bouteilles contenant des solutions de sels diluées pendant quelques jours, il fut le premier à

observer que le flux provoqué par diffusion est proportionnel au gradient de concentration du sel [44]. Quelques années plus tard, Fick développa sa première loi qui est purement phénoménologique [45] :

𝐽𝑖= −𝐷𝑖𝜕𝑐𝑖

𝜕𝑥 [1.2-10]

où 𝐽𝑖 (mol.m-2.s-1) est la densité de flux de l’ion 𝑖, 𝐷𝑖 (m2/s) son coefficient de diffusion dans le milieu considéré [46] et 𝑐𝑖 (mol/m3) sa concentration. Cet essai est largement utilisé encore aujourd’hui dans le domaine des argiles afin d’étudier, par exemple, la diffusion naturelle d’eau tritiée (T2O) ou de radionucléides [47].

1.2.3.1.1 Principe de l’essai de diffusion

L’essai de diffusion consiste à placer un échantillon de béton saturé, ou un autre type de matériau poreux, entre deux compartiments amont et aval (Figure 7a). L’échantillon est considéré comme saturé si ses pores sont saturés de liquide.

En amont, le bac contient les ions traceurs à étudier. Dans le domaine du génie civil, ces traceurs sont principalement des ions chlorures responsables de la corrosion des armatures dans les structures en béton armé. Ils sont amenés sous forme de sel (𝑁𝑎𝐶𝑙, 𝐾𝐶𝑙 ou 𝐶𝑎𝐶𝑙2) [48]. Les cations (𝑁𝑎, 𝐾 et 𝐶𝑎) associés aux chlorures sont généralement choisis dans le but de simuler le sel présent dans l’eau de mer (constructions en béton armé en façade maritime) ou le sel de déverglaçage (ouvrages d’art en zones sujettes à des climats neigeux ou au verglas). Ils ont aussi la particularité de ne pas perturber le système puisqu’ils sont déjà présents de manière naturelle dans le matériau cimentaire. La solution du côté aval, quant à elle, est exempte de traceur. Ces deux compartiments contiennent, en outre, une solution basique, appelée aussi solution support, concentrée en alcalins (𝑁𝑎𝑂𝐻 et/ou 𝐾𝑂𝐻) [49]. Cette solution de pH semblable à la solution interstitielle du matériau cimentaire permet de ne pas agresser ce dernier [50, 51].

Figure 7 – a/Essai de diffusion naturelle – b/ Concentration du traceur en aval au cours du temps

La différence de concentration en chlorures entre les deux compartiments influence le transfert des ions chlorures à travers le matériau cimentaire. La mesure de l’augmentation de concentration ∆𝐶 (mol/m3) dans le compartiment aval est effectuée par titrage de la solution aval. On effectue ces mesures à des intervalles de temps réguliers notés ∆𝑡 (s).

L’évolution de la concentration du traceur dans le bac aval au cours du temps peut alors être tracée comme le montre l’exemple de la Figure 7b. Cette courbe peut être divisée en trois parties :

- Avant t1, on est au début du régime transitoire : les ions chlorures pénètrent dans l’échantillon mais n’atteignent pas encore le compartiment aval. Le flux est nul. La durée de cette phase dépend de la géométrie du matériau (épaisseur, porosité, tortuosité…) pour une espèce inerte (dans le cas des chlorures, elle dépend également des réactions chimiques).

- Entre t1 et t2, le régime transitoire se poursuit mais certains ions commencent à atteindre le compartiment aval de la cellule. Le flux augmente progressivement.

- Après t2 le flux devient constant. On atteint alors le régime stationnaire. On peut exploiter et obtenir le flux 𝐽 (mol.m-2.s-1) à partir de la pente de la droite :

𝐽 =𝑉𝐴𝑣𝑎𝑙 𝑆

∆𝐶

∆𝑡 [1.2-11]

où 𝑉𝐴𝑣𝑎𝑙(m3)est le volume du compartiment aval et 𝑆 (m2) la surface de l’échantillon.

Figure 8 - Influence de la fixation des chlorures dans le matériau

On observe un retard 𝜏 qui est liée à la capacité de fixation des chlorures dans le matériau (Figure 8). Ce retard est dû aux réactions des chlorures avec les monosulfoaluminates et les sels de Friedel et de Kuzel présents dans le matériau. 𝑐0 (mol/m3) est la concentration initiale de traceur mise dans le bac amont et 𝐿 (m) l’épaisseur de l’échantillon.

1.2.3.1.2 Obtention d’un coefficient de diffusion effectif

Dans la majorité des cas présentés dans la littérature, seul le régime stationnaire est exploité. En effet, la variation de la quantité d’ions cumulée dans le compartiment aval nous permet de calculer le coefficient de diffusion effectif 𝐷𝐸(m2/s) en utilisant la loi de Fick en milieu fini [1.2-10]. Le coefficient dit « effectif » prend en compte les effets de la géométrie du matériau comme la porosité, la tortuosité… En milieu fini, on a les conditions initiales et aux limites suivantes :

{𝐴 𝑡 > 0 ∶ 𝑐(0, 𝑡) = 𝑐0, 𝑐(𝐿, 𝑡) = 0 𝐴 𝑡 = 0 ∶ 𝑐(𝑥, 0) = 0,0 ≤ 𝑥 ≤ 𝐿 .

Il est important de noter que durant l’expérience, la concentration du traceur en amont 𝑐0 doit être maintenue constante afin de respecter les conditions aux limites. Il s’agit d’une simplification de l’équation de transport puisque le flux doit s’exprimer plus rigoureusement selon la loi de Nernst-Planck [52] [53] : 𝐽 = −𝐷𝐸(𝜕𝑐 𝜕𝑥± 𝑧𝐹𝑐0 𝑅𝑇 𝜕𝜓 𝜕𝑥). [1.2-12]

Pour utiliser cette équation, il faudrait cependant connaitre les interactions électriques liées au potentiel 𝜓 (V) crées par les autres ions de la solution. On obtient alors le coefficient de diffusion effectif, noté 𝐷𝐸 par mesure du flux 𝐽 dans la partie stationnaire lorsque celui-ci est constant :

𝐷𝐸 = 𝐽𝐿

𝑐0 [1.2-13]

𝐷𝐸=𝑉𝐴𝑣𝑎𝑙 𝐿 𝑆 𝑐0

∆𝐶

∆𝑡. [1.2-14]

1.2.3.1.3 Lien avec un coefficient de diffusion apparent

Lorsque l’on étudie le régime transitoire du transport diffusif, lors de l’essai d’immersion par exemple (§1.2.2.1), on obtient alors un coefficient de diffusion dit « apparent » 𝐷𝐴. Contrairement au précédent (qualifié d’effectif), ce coefficient prend en compte les interactions ioniques qui ont déjà lieu dans le matériau (et donc les chlorures liés à la matrice cimentaire). Il est possible de faire le lien entre les coefficients effectifs et apparent avec la relation empirique de Baroghel-Bouny [54]. Cette relation peut être intéressante pour comparer les résultats d’essais obtenus de différentes manières :

𝐷𝐸 = (∅ + 𝜌𝑚𝐶𝑙,𝑙𝑖é𝑠)𝐷𝐴. [1.2-15]

Dans cette expression, 𝑚𝐶𝑙,𝑙𝑖é𝑠désigne la masse de chlorures liés à la matrice par unité de masse de solide sec (m3/kg) et 𝜌 sa masse volumique (kg/m3).

1.2.3.1.4 Conclusion

Cette méthode reproduit très bien le processus de diffusion réel à l’état naturel. L’expérience est facile à mettre en place et l’équipement nécessaire à sa réalisation n’est pas très onéreux mais le principal inconvénient de ce type d’essai est le temps d’expérimentation. La durée du test dépend principalement de l’épaisseur de l’échantillon et des caractéristiques du béton : type de ciment utilisé, rapport E/C, taille des granulats... Le régime permanent, qui permet d’obtenir le coefficient de diffusion, est obtenu après un temps très long : plus d’un an pour un béton courant CEM I de 5 cm d’épaisseur. Il est, pour cette principale raison, nécessaire de trouver une méthode plus rapide dans l’obtention des résultats.

1.2.3.2 L’essai de diffusion accélérée ou électro-diffusion

Dans le but de réduire ces temps d’essai extrêmement longs et ainsi atteindre le régime stationnaire beaucoup plus rapidement, Whiting eut l’idée en 1981 [55] d’appliquer un champ électrique entre les bornes de l’échantillon. On parle alors, dans ce cas, d’essai de migration ou essai d’électro-diffusion. Le principal intérêt est, tout comme l’essai de diffusion, de pouvoir exploiter la totalité de l’essai, en stationnaire comme en transitoire.

1.2.3.2.1 Exemple de protocole d’essai de diffusion accélérée

Dans la version de l’essai adopté par la norme ASTM [56], les deux compartiments contiennent une solution basique d’hydroxyde de sodium (𝑁𝑎𝑂𝐻) à 0.3 mol/L. Les deux bacs sont séparés par un échantillon de béton d’épaisseur 5 cm (2,5 cm d’épaisseur pour un mortier). Notons que pour le béton et le mortier, il est nécessaire de respecter une épaisseur minimale qui est fonction du volume élémentaire représentatif de l’échantillon. Ce volume dépend de la taille des granulats. Dans le cas d’une pâte de ciment, une épaisseur de 1 cm sera suffisante puisqu’il n’y a aucun granulat dans le mélange.

L’échantillon est préalablement saturé de la solution alcaline utilisée dans les bacs afin d’éviter tout phénomène de lixiviation et conserver la microstructure du matériau. Les ions traceurs (chlorures) sont ensuite ajoutés dans le compartiment amont sous forme de chlorures de sodium (𝑁𝑎𝐶𝑙) à 0.5 mol/L. Leur mouvement est alors accéléré vers l’électrode de signe opposé en appliquant un champ électrique de 1200 V/m [56] (Figure 9).

Comme ces électrodes sont plongées dans les solutions à une certaine distance du matériau, on peut observer une chute du potentiel dans les solutions de l’ordre de 30% pour des électrodes à 15 cm de l’échantillon. Le champ électrique réellement subi par le matériau est donc moindre que celui pris en compte dans les calculs. Pour contrer ce phénomène, on place deux électrodes de référence au contact de

l’échantillon pour contrôler le potentiel aux bornes de ce dernier. On régularise de cette manière le champ électrique 𝐸 aux bornes du matériau à 1200 V/m.

Figure 9 – Principe de l'essai d'électro-diffusion

1.2.3.2.2 Obtention du coefficient de diffusion effectif par l’analyse de la concentration en traceur

En prélevant des échantillons de solution régulièrement dans le bac aval, on peut mesurer la concentration 𝑐 des ions traceurs qui parviennent à traverser le matériau. On obtient ainsi le coefficient de diffusion 𝐷𝐸. L’équation de diffusion s’exprime suivant la loi de Nernst-Planck en milieu fini [52, 53] :

𝜕𝑐 𝜕𝑡 = −𝐷𝐸 𝜕𝐽𝐸 𝜕𝑥 = −𝐷𝐸( 𝜕2𝑐 𝜕𝑥2±𝑧𝐹𝐸 𝑅𝑇 𝜕𝑐 𝜕𝑥). [1.2-16]

On considère souvent dans la littérature que le potentiel électrique naturel est négligeable en comparaison du potentiel électrique extérieur appliqué : 𝐸 = − 𝜕𝜓 𝜕𝑥⁄ [57]. Cette démarche est généralement utilisée afin de comparer les propriétés diffusives des matériaux entre eux. Les conditions initiales et aux limites, qui correspondent dans ce cas à un milieu fini, sont alors :

{𝐴 𝑡 > 0 ∶ 𝑐(0, 𝑡) = 𝑐0, 𝑐(0, 𝑡) = 0 𝐴 𝑡 = 0 ∶ 𝑐(𝑥, 0) = 0, 0 ≤ 𝑥 ≤ 𝐿

Lorsque le régime stationnaire est atteint, le flux effectif 𝐽𝐸 (mol.m-2.s-1) définit par [1.2-12] devient constant. En négligeant les interactions des ions avec la matrice cimentaire et en supposant que l’apport de la diffusion naturelle est négligeable devant celui de la migration, on obtient alors le coefficient de diffusion effectif 𝐷𝐸 grâce à la relation de C. Andrade [58] (qui a fait l’objet de nombreuses discussions [59, 60, 61, 62]) :

𝐷𝐸= 𝐽𝐸𝑅𝑇𝐿

|𝑧|𝐹𝑈𝑐0. [1.2-17]

En prenant en compte l’apport du transport naturel, dans le cas par exemple ou le champ électrique appliqué est assez faible, on peut utiliser l’expression plus complète du coefficient de diffusion suivante [50] :

𝐷𝐸= 𝐽𝐸 𝑅𝑇𝐿

𝑧𝐹𝑈𝑐0(1 − 𝑒𝑧𝐹𝑈𝑅𝑇). [1.2-18]

1.2.3.2.3 Obtention du coefficient de diffusion effectif par l’exploitation du courant électrique

Lors de l’essai d’électro-diffusion, C. Andrade proposa d’exploiter le courant enregistré en régime stationnaire [58, 59, 60, 61, 62]. Le courant induit par les chlorures 𝑖𝐶𝑙 (A) qui se déplacent est fonction du flux induit par les chlorures 𝐽𝐶𝑙 (mol.m-2.s-1) [58] :

𝑖𝐶𝑙= 𝑧𝐶𝑙𝐹𝐽𝐶𝑙 [1.2-19]

où 𝑧𝐶𝑙 représente la valence des ions chlorures. Le courant total 𝑖 dépend de 𝑖𝐶𝑙, C. Andrade introduit le nombre de transport des ions chlorures 𝑡𝐶𝑙 = 𝑖𝐶𝑙/𝑖. Le nombre de transport 𝑡𝐶𝑙 s’exprime par [58] :

𝑡𝐶𝑙= 𝑐𝐶𝑙𝜆𝐶𝑙

∑ |𝑧𝑖 𝑖|𝑐𝑖𝜆𝑖 [1.2-20]

où 𝜆𝑖 (S.m2.mol-1) est la conductivité ionique de l’espèce 𝑖 et 𝑐𝑖 (mol/m3) sa concentration. Le nombre de transport est toujours inférieur à un. Cette conductivité 𝜆𝑖 peut être reliée au coefficient de diffusion par la relation de Nernst-Einstein [63] :

𝐷𝑖 = 𝜆𝑖𝑅𝑇

|𝑧𝑖|𝐹2. [1.2-21]

On obtient ainsi le coefficient de diffusion effectif des chlorures : 𝐷𝐸,𝐶𝑙 = 𝑅𝑇

𝐹2𝑐𝐶𝑙𝐸𝑡𝐶𝑙𝑖. [1.2-22]

1.2.3.2.4 Conclusion

La méthode qualitative présentée précédemment (§1.2.3.2.2) permet donc de comparer les propriétés de diffusion de différents échantillons entre eux, ou par rapport à une échelle de référence grâce à l’étude du régime stationnaire mais elle revêt quelques inconvénients. Il a été montré par une analyse dimensionnelle que les réactions chimiques à l’intérieur du matériau peuvent être négligées si on applique un fort champ électrique [54]. Cependant, un champ électrique trop fort engendre une augmentation de la température du système, une dégradation progressive du matériau riche en portlandite et la formation possible d’hypochlorite [64]. Dans ce cas, une certaine quantité de chlorures ne serait pas prise en compte dans le calcul du flux : le coefficient de diffusion serait ainsi sous-estimé [65]. Il est donc nécessaire de diminuer ce potentiel pour les raisons évoquées ci-dessus, les réactions chimiques ne sont alors plus négligeables [66]. Des variations de coefficient de diffusion effectif 𝐷𝐸ont aussi été observées lorsqu’on fait varier la concentration de traceur en amont [67] et le champ électrique [68].

Malgré cela, parmi tous les essais présentés précédemment, il reste l’essai de choix afin d’étudier le transport diffusif dans son ensemble de manière simple et rapide. Il faut cependant apporter quelques modifications au protocole expérimental en diminuant la concentration 𝑐0en traceur dans le bac amont et le champ électrique appliqué afin de se rapprocher du comportement naturel tout en gardant une durée d’essai acceptable. Il est donc nécessaire de trouver un modèle numérique plus complet capable de simuler le phénomène dans sa globalité avec une prise en compte des réactions chimiques. L’étude pourrait alors être couplée à une exploitation du courant (§1.2.3.2.3) afin de mieux appréhender le phénomène de diffusion dans son ensemble (cf. §2.2).

En parallèle, des essais complémentaires seront réalisés afin de valider les profils de diffusion obtenus par électro-diffusion. Le choix s’est porté sur l’essai d’immersion vu précédemment (§1.2.2.1) et sur l’essai de lixiviation qui va maintenant être présenté (§1.2.4). Ils permettront d’obtenir des profils de diffusion simultanés d’anions et de cations.