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Chapitre 1 : La fabrique narrative du Grenelle

2. Les groupes de travail

2.2. La naissance d’une ligne narrative

Si l’on continue la référence aux travaux de Philippe Lamotte concernant les

règles des espaces de discussion, on peut également mentionner qu’il a montré dans son

article de la RFSP

203

que l’espace de discussion de la réforme des retraites de 2003

« entretenait deux mouvements complémentaires », à savoir la construction d’un

« discours de synthèse », fruit de la convergence des principaux protagonistes, et le

développement d’« arguments distinctifs » par lesquels se « reconstruisaient » l’identité

des acteurs.

Si la question du moratoire autoroutier constitue une proposition distinctive,

notamment pour certains acteurs des O.N.G., on peut également penser qu’un « discours

de synthèse » sur la question des infrastructures de transport a émergé lors des débats

du groupe. Cette sous-partie montre que cela a été le cas, et même que l’on peut

considérer qu’une ligne narrative au sujet du développement routier et autoroutier a

émergé parmi les acteurs du groupe.

Le rapport du groupe 1, « Lutter contre les changements climatiques et maîtriser

la demande d’énergie »

204

, évoque trois « propositions consensuelles » en lien avec la

question de la programmation des nouvelles infrastructures de transports. Nous

pouvons citer l’établissement d’un « schéma national des infrastructures nouvelles de

transport » (encadré 1), l’évaluation environnementale globale de ce schéma (encadré

2), et l’affectation des « mesures fiscales incitatives mises en place au regard du

changement climatique » au « projet de transports alternatifs à la route et à l’aérien »

(encadré 3).

203 Lamothe, 2006, op. cit.

204 Le Grenelle Environnement. Groupe 1 : « Lutter Contre Les Changements Climatiques Et Maîtriser La Demande D’ Énergie », Rapport du groupe 1 du Grenelle de l’environnement, Paris: Le Grenelle Environnement. République Française, 26 septembre 2009.

Proposition : le groupe recommande que soit établi un schéma national des

infrastructures nouvelles de transport qui constitue une révision des dispositions du

CIADT de 2003 et garantisse la cohérence de la programmation. Il recommande

également que soient établis au plan régional les schémas régionaux d’aménagement et

de développement du territoire (SRADT) prévus par la loi. Il recommande également

que la France appelle sur le même modèle à un schéma européen des infrastructures de

transport.

Il suggère que la notion de service offert à l’usager (ou au client pour les

marchandises) soit mise en avant dans le volet transport de ces schémas (SRIT) aussi

bien pour les voyageurs que pour le fret. Ces schémas doivent intégrer des politiques et

mesures en accord avec les objectifs nationaux et internationaux de réduction des

émissions de gaz à effet de serre.

Encadré 2 : Proposition du groupe 1 du Grenelle de l’Environnement – Programme n°1 : Programmation et gestion des infrastructures de transport - Programmation des infrastructures de

transport : les schémas national et régionaux de transport

Proposition : le groupe recommande que l'évaluation environnementale des

infrastructures de transport ne se fasse plus seulement au cas par cas, mais aussi de

manière globale sur l'ensemble de la programmation, dans le cadre du schéma national

et des schémas régionaux cités plus haut. Plus généralement, l’évaluation préalable aux

décisions devra mettre en exergue globalement les bénéfices économiques et sociaux

attendus, les coûts d'investissements, de maintenance et d’exploitation, les émissions de

gaz à effet de serre et d'autres polluants et la variation de consommation d’énergie

estimées ainsi que les autres impacts environnementaux.

Il s’agit réellement d’une évaluation au sens du développement durable.

Encadré 3 : Proposition du groupe 1 du Grenelle de l’Environnement – Programmation et gestion des infrastructures de transport – L'évaluation des schémas d’infrastructures de transport

Proposition : le groupe recommande qu’une partie importante des ressources

provenant des mesures fiscales incitatives mises en place au regard du changement

climatique (voir propositions ci-dessous) soient affectées à l’AFITF pour le financement

des projets de transports alternatifs à la route et à l’aérien, et aux collectivités

territoriales pour le financement des actions des plans climat-énergie territoriaux,

notamment le développement des transports en commun.

Encadré 4 : Proposition du groupe 1 du Grenelle de l’Environnement – Programmation et gestion des infrastructures de transport – Le financement des infrastructures de transport

A l’image des mots employés dans ces trois propositions, le développement des

infrastructures routières et autoroutières n’est quasiment jamais mentionné dans ce

rapport, sauf pour donner des éléments de contexte ou avec les deux remarques

suivantes consignées au rang des propositions non consensuelles :

« La CGPME souligne que le développement et l'amélioration des

infrastructures routières est une condition nécessaire à la réduction des

émissions de CO2 et des coûts externes. Elle souligne également que tous les

économistes s'accordent sur le fait que […] toute décision d'arrêt de

développement des infrastructures conduirait à aggraver le retard de

croissance de la France.

À cette occasion, plusieurs associations de protection de l’environnement

demandent l’abandon des projets autoroutiers et aéroportuaires. »

205

On retrouve dans le rapport du groupe la proposition d’un moratoire autoroutier

défendue par les O.N.G., ainsi qu’une proposition antagoniste formulée par la CGPME

pour répondre au même problème, à savoir les émissions de CO2. Mais, mis à part ces

deux des assertions, la question du développement des routes et des autoroutes n'est

pas mentionnée. Les termes du débat au sein du groupe de travail étaient ceux du

développement des infrastructures alternatives à la route, comme le montrent les deux

extraits d’entretiens suivants :

« Alors le terme moratoire nous a été… Enfin donc, nous, on a pas osé… C'est

pas qu'on n’a pas osé l’aborder, mais nous il nous paraissait plus intéressant

d'aborder les modes de transport, pour nous les infrastructures ne sont

qu'une des solutions. Donc, nous avons beaucoup plus parlé de report

modal, d'abandon du tout routier. »

206

« Elles n’ont pas insisté parce qu’elles ont vu que tout le monde était

d’accord sur le fait que la priorité là était de remettre en état le réseau

ferroviaire, de le développer pour le fret là on en a besoin, pour les LGV on

en a besoin, voir pour le fluvial… et donc, là dessus, il y avait un certain

consensus. »

207

205 Ibid.

206 Entretien avec un responsable "transport" à France Nature Environnement, le 18 novembre 2009, op. cit.

Ces deux citations illustrent le fait que les acteurs employaient les termes de « report

modal » (premier extrait), ou le développement des alternatives au mode routier

(second extrait), plutôt que celui de moratoire autoroutier. En parlant d' « abandon du

tout routier », il s'agit à la place de décrire un contexte qui met en exergue l'importance

des changements promus par les propositions du groupe.

Ces discussions sur le rééquilibrage entre les modes de transport et la

construction de nouvelles infrastructures se sont articulées autour de la proposition de

recourir à un outil assez classique en matière de planification, notamment pour les

routes nationales, à savoir la création d'un nouveau schéma des infrastructures :

« Non, on n’a pas abordé le problème des autoroutes si ce n'est que ceci a été

confié… Pardon… Enfin c'est une autre… Un autre engagement que l'on a

obtenu, c'est d'avoir un schéma national des infrastructures de transport. »

208

« Les routes sont venues essentiellement un peu en fond de tableau pour

dire : on est déjà assez bien équipés et donc voilà… dans le nouveau schéma

directeur des infrastructures, la priorité doit être aux infrastructures

alternatives à la routes. Bon. Et… pour ce qui concerne les nouvelles routes

et autoroutes à construire, éventuellement, là on n’en a pas vraiment parlé. »

209

Au travers ces deux extraits, il est possible de voir que la création d'un nouveau schéma

national des infrastructures de transport

210

– ou schéma directeur – constitue l'une des

propositions sur lesquelles se sont accordés et membres du groupes. Cet outil est

présenté, dans le premier extrait, comme un élément par lequel il est possible d'acter le

changement promu par le groupe de donner la priorité aux infrastructures alternatives

à la route. Finalement, l'opportunité de la construction d'un tel schéma semble s'être

substituée à des discussions sur l'opportunité des projets routiers et autoroutiers ou

d'un moratoire.

208 Entretien avec un responsable "transport" à France Nature Environnement, le 18 novembre 2009, op. cit.

209 Entretien avec un responsable de section au CGPC, le 15 novembre 2007, op. cit.

210 En référence à l’encadré 2 cité plus haut, extrait de Le Grenelle Environnement. Groupe 1 : « Lutter Contre Les Changements Climatiques Et Maîtriser La Demande D’ Énergie », 26 septembre 2009, op. cit.

Pour venir compléter cette proposition de création d'un nouveau schéma des

infrastructures de transport, il est à noter que l'encadré 2, mentionné plus haut, en

prévoit une évaluation environnementale globale. C'est une idée que nous avons

retrouvé dans les entretiens qui ont été menés :

« Nous, notre proposition c'était de remettre à plat le CIADT de décembre

2003. Et donc, pour répondre… Alors, on avait une demande qui était de le

remettre à plat et de prendre en compte la partie environnementale. Et c'est

donc par rapport à ça que le gouvernement nous a proposé la mise en place

d'un schéma national »

211

.

« Il faut revoir, après le Grenelle, le référentiel de choix de l’ensemble des

infrastructures et notamment des infrastructures routières. »

212

« Ca sera effectivement, dans le cadre de l’établissement du futur schéma

directeur qu’il faudra trouver les critères […]. »

213

« Donc regarder quels sont les « bons », en guillemets, critères permettant de

laisser tomber… de différé sine die ou d’abandonner complètement un

certain nombre de projets autoroutiers, et peut-être d’en retenir certains

autres.. »

214

Au regard de ces deux extraits d’entretien, il semble qu’il y ait eu dans le groupe un

accord sur l'idée de refonder la façon de choisir les infrastructures de transport, y

compris les infrastructures routières et autoroutières. Comme le suggère l’idée de la

création un nouveau « référentiel », cette proposition peut être interprétée comme un

changement important dans les pratiques à venir, notamment au profit d'une meilleure

prise en compte de l'environnement. Pour autant, les critères à retenir ne semblent ni

avoir été choisis, ni abordés, tout comme la procédure à mettre en œuvre, ceci étant

reporté à l’établissement du « futur schéma directeur ». Le laps de temps relativement

restreint sur lequel s'est déroulé ce groupe de travail et l'ensemble des thématiques que

les acteurs ont abordées à cette occasion sont, à ce titre, des raisons souvent mobilisées

pour expliquer que le groupe en soit resté là.

211 Entretien avec un responsable "transport" à France Nature Environnement, le 18 novembre 2009, op. cit.

212 Entretien avec un responsable de section au CGPC, le 15 novembre 2007, op. cit.

213 Ibid.

On peut finalement retenir de ce groupe de travail l’émergence d’une ligne

narrative sur le développement des infrastructures routières et autoroutières qui, au

regard des mots employés par les acteurs, aborde ce sujet sans en parler explicitement

en élargissant le débat à l’ensemble des infrastructures de transport.