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Chapitre 1 : La fabrique narrative du Grenelle

1. Premiers jalons : le Grenelle vers un moratoire autoroutier ?

1.3. Un « moratoire » et un motif de fâcherie

Les caractéristiques du Grenelle qui viennent d’être décrites, à savoir la

« gouvernance à cinq », la présence importante du politique et la volonté affichée

d’obtenir un consensus, fixent un cadre particulier pour les discussions qui ont eu lieu,

et en particulier pour celles relatives au développement routier et autoroutier, d’autant

plus que les enjeux environnementaux constituent une porte d’entrée synonyme de

contraintes pour les transports routiers. Abordés dans le cadre des réflexions relatives à

la lutte contre les changements climatiques et la maîtrise de l’énergie, les transports ont

été associés tout au long du Grenelle à un secteur hautement émetteur de gaz à effet de

serre. Ils ont ainsi souvent été considérés, et en particulier les transports routiers,

comme « particulièrement visés »

175

.

De ce fait, très tôt dans la genèse du Grenelle, la question du développement

routier et autoroutier est apparue comme un enjeu risquant de mettre à mal son image

consensuelle. Les premiers témoins en ont été des articles de presse publiés à la suite de

la première réunion qui s’est tenue à l’Elysée en mai 2007 avec les représentants des

O.N.G. environnementales, dans lesquels les autoroutes étaient qualifiées de sujet « très

polémique »

176

ou encore de possible « motif de fâcherie »

177

entre les

parties-prenantes.

Le point d’achoppement s’établissait autour de l’idée d’un moratoire autoroutier

qui était une proposition particulièrement défendue par les représentants des O.N.G.

environnementales. A titre d’exemple, dès le lancement des groupes de travail, une

O.N.G. publiait sur son site internet et par voie de presse

178

la plateforme de

propositions qu’elle souhaitait défendre durant le Grenelle, parmi lesquelles un gel des

projets autoroutiers :

175 NI, Grenelle de l'environnement : la révolution verte en marche, Le Progrès, le 28 septembre 2007.

176 Janin, R., Ecologie ; Un contrat sur cinq ans pour l'environnement se profile, La Tribune, le 22 mai 2007.

177 Sarkozy consacre à l'écologie sa première réunion de travail à l'Elysée, Agence France Presse, 21 mai 2007, op. cit.

178 N I, Grenelle: FNE pour un triple moratoire sur les OGM, le nucléaire et les autoroutes, Agence France Presse, le 23 juillet 2007.

« Groupe 1 : Lutter contre les changements climatiques et maîtriser

l’énergie.

Mesure 1 : Construire enfin, pour la France, une politique des transports

réellement soutenable […]

Traduction opérationnelle de la mesure

1. Suspendre les projets autoroutiers/routiers et les projets d’aéroports afin

de permettre la définition d'une politique globale, cohérente et soutenable

des transports appuyée sur un choix rationnel des investissements - ce qui

suppose un changement radical de paradigme […]

Calendrier de la mise en œuvre

L'arrêt des projets autoroutiers/routiers et aéroports : fin 2007. »

179

Dans cet extrait tiré des propositions de la fédération France Nature Environnement sur

le thème de la lutte contre le changement climatique, une politique des transports

« soutenable » est présentée comme un objectif à atteindre. L’usage de l’expression

« changement radical de paradigme » indique, de plus, un constat sur la politique des

transports, c'est-à-dire que la priorité des investissements était, selon eux, jusqu’alors

portée sur les infrastructures autoroutières. La place du développement routier et

autoroutier dans la politique des transports était donc présentée comme l’un des

problèmes pour lequel le moratoire autoroutier apparaissait comme une solution aux

enjeux de limitation des émissions de gaz à effet de serre.

Cette proposition d’un moratoire autoroutier a été également défendue par

l’ensemble des organisations membres de l’« Alliance pour la Planète », et par voie de

conséquences, par l’ensemble des O.N.G. représentées dans le cadre du Grenelle

180

. Au

regard des enjeux politiques du Grenelle et de la présence très médiatisée de ces

« nouveaux acteurs » dans le processus, on comprend que le traitement de la question

des autoroutes devait revêtir une importance toute particulière.

179 France Nature Environnement, Grenelle de l'Environnement. Notre cahier de propositions, Paris: Fédération française des associations de protection de la nature et de l'environnement, 22 juillet 2007.

Le fait que les acteurs participant au Grenelle aient eu à concilier l’énonciation de

la qualité de la concertation qui a eu lieu, à l’expression d’un désaccord marqué sur la

question du développement autoroutier, prête à penser que le choix des mots employés

a constitué un enjeu important. On retrouve cette idée dans l’exemple de la rencontre

qui s’est tenue à l’Elysée en mai 2007 que nous avons déjà mentionnée. Outre

l’organisation du Grenelle, cette rencontre aurait également été l’occasion de

discussions sur certains sujets comme celui des O.G.M ou encore des autoroutes. Pour

ces deux questions, le principe que « aucune décision lourde ne [soit] prise »

181

par le

gouvernement d'ici au Grenelle de l'environnement a été affiché à l’issue de cette

rencontre.

Dans le même temps, Nicolas Hulot prenait le soin d’insister auprès de la presse

sur le fait que ces sujets avaient été abordés « sans dogmatisme »

182

, dans une « grande

écoute réciproque »

183

et en mettant de côté les « petits préjugés »

184

. Tout cela sans que

le terme de « moratoire » ne soit évoqué dans les diverses interviews qui ont été faites à

cette occasion. Toutes ces précautions oratoires ont constitué selon nous une

illustration des contraintes induites par le cadre particulier du Grenelle sur les

discussions qui ont eu lieu, notamment au moment des groupes de travail.

181 N I, Nicolas Hulot satisfait des préparatifs du "Grenelle de l'environnement", Le Monde.Fr, le 22 mai 2007.

182 Ibid.

183 NI, Nicolas Hulot à l'Elysée: "enfin on met de côté nos petits préjugés", Agence France Presse, le 21 mai 2007.