Chapitre 1 : La fabrique narrative du Grenelle
3. L’énonciation de deux lignes
3.3. L’émergence de récits normatifs
Les débats qui ont eu lieu dans le cadre des travaux parlementaires sur la phase
de consultation du Grenelle ne s’en sont cependant pas tenues à l’opportunité d’un
moratoire, ni encore à la priorité accordée aux modes alternatifs à la route comme cela a
pu être le cas dans le cadre du groupe de travail n°1 Grenelle. Ces discussions ont
également fait émerger des récits relatifs aux choix des projets routiers que l’on peut
qualifier de « normatifs », en référence à la notion de « norme » que l’on peut définir
comme des « valeurs dont il faudrait assurer le respect »
238pour le traitement des
problèmes, ou comme des éléments de la définition des « écarts entre le réel perçu et le
réel souhaité »
239.
Les débats qui ont suivi cette intervention, ainsi que les travaux en commission
parlementaire sur le Grenelle au moment des concertations, montrent cependant
l’émergence d’un récit sur le développement routier porté par les parlementaires. Nous
pouvons évoquer pour cela la seule intervention mentionnant le cas d’un projet
autoroutier précis et l’impact potentiel du Grenelle sur celui-ci :
« D’abord, ne faisons pas de la route le bouc émissaire du développement
durable. […] Mais je voudrais faire passer un message fort aux acteurs du
Grenelle de l’environnement et au Gouvernement : certains secteurs du
territoire ne sont pas à la hauteur en matière d’infrastructures de transport.
[…] Faut-il rappeler que la croissance de l’économie est directement liée à la
mobilité des personnes et des biens et que toute décision d’arrêt de
développement des infrastructures conduirait à aggraver le retard de
croissance de la France ? C’est pourquoi je me bats, avec l’ensemble des élus
et socioprofessionnels du sud du département du Tarn, pour que l’autoroute
Castres-Toulouse, projet décidé par l’État, donc en cours, soit réalisée selon
le calendrier prévu, c’est-à-dire d’ici à 2013, et que le Grenelle de
l’environnement n’ait pas d’impact négatif sur celui-ci. »
240Le positionnement des parlementaires dans les débats du 3 et 4 octobre 2007 fait
apparaître que les interventions faites au sujet de la route ont esquissé un récit
238 Jobert, B., Représentations sociales, controverses et débats dans la conduite des politiques publiques, Revue française de science politique, vol. 42 (n° 2), 1992, pp. 219-234.
239 Muller, 1995, op. cit.
normatif. Dans cet extrait, un député du Tarn met en relation un projet d’autoroute
entre Castres et Toulouse, pour lequel il se mobilisait, et les décisions à venir du
« Gouvernement » et des « acteurs du Grenelle ». En évoquant des critères
d’aménagement du territoire et un lien entre croissance économique et développement
des infrastructures de transport, l’acteur pose des critères permettant la continuation
d’un certain nombre de projet autoroutiers, critères que, selon lui, les acteurs du
Grenelle devraient prendre en compte. De surcroît, en appelant à ce que le Grenelle n’ait
pas d’impact négatif sur le calendrier du projet, il confère également une force de
contrainte à ces mêmes acteurs sur le choix des projets et participe ainsi à faire du
Grenelle un cadre normatif, alors que les premiers travaux du Grenelle ne
mentionnaient jusque là aucun critère de restriction des projets autoroutiers.
En ce sens, les premières conclusions du Grenelle ont participé à construire un
cadre contraignant pour les nouveaux projets autoroutiers, non pas par des
propositions, mais par la volonté de certains acteurs de les contourner et de les tordre,
afin par exemple d’afficher une compatibilité avec un projet particulier.
En référence aux extraits de l’audition du Directeur Général des Routes que nous
avons cité dans la partie précédente, on peut ajouter que le Directeur des Routes prônait
une « attitude raisonnable et équilibrée » vis-à-vis de la route, qu’il opposait à la
perspective d’un moratoire. Il évoquait également le fait qu’il s’agissait d’un chantier à
ouvrir et pour lequel il avait déjà un certain nombre de propositions :
« Toujours dans l’optique d’exercer une contrainte raisonnable, une
sélectivité plus grande pourrait être appliquée dans la réalisation des
projets. […] Ensuite, devraient être réalisés en priorité les projets
permettant de remédier aux situations de congestion ou d’encombrement
les plus graves, situations qui sont déjà identifiées, ainsi que les projets de
contournement de certaines grandes agglomérations. »
241Nous retrouvons tout d’abord dans cet extrait une expression que nous venons de
remarquer, à savoir celle d’une « contrainte raisonnable ». A ce titre, le directeur des
routes évoque la possibilité d’une « sélectivité plus grande » et d’une priorisation des
241 Délégation À L’aménagement Et Au Développement Durable Du Territoire De L' Assemblée Nationale, le 9 octobre 2007, op. cit.