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Chapitre 1 : La fabrique narrative du Grenelle

2. Les groupes de travail

2.3. Le Grenelle et les autoroutes dans la presse

Les deux parties précédentes reconstruisent la manière dont a été abordée la

question des autoroutes dans le cadre du groupe de travail du Grenelle sur le thème du

changement climatique. Elle s’appuie sur les documents produits dans ce cadre et sur

des entretiens menés auprès des acteurs du groupe. Compte tenu de la médiatisation

importante du Grenelle et de sa dimension politique, il apparaît également de

s’intéresser aux articles de presse publiés sur la période des groupes de travail pour

compléter cette analyse. L’idée est de reconstruire la façon dont la question de

l’interaction entre le développement autoroutier et le Grenelle a été traitée dans les

médias, et ainsi, en dehors des frontières du groupe de travail.

Depuis le lancement du Grenelle, les cas des projets autoroutiers a été présenté

assez systématiquement dans la presse comme un « motif de dispute »

215

entre les

participants du Grenelle, comme pouvait l’être également celui des O.G.M. par exemple.

Un article du Monde daté du 28 septembre 2007 parlait ainsi de « divergences sur de

grands dossiers »

216

en prenant l’exemple de la « construction des autoroutes ». En

faisant de ce cas particulier l’un des dossiers importants du Grenelle, et en mettant

l’accent sur le fait qu’il n’a pas fait l’objet d’un consensus dans le cadre des groupes de

travail, cet exemple pouvait en quelque sorte mettre à mal l’ensemble des descriptions

de cette première phase qui l’assimilait à une réussite du point de vue du consensus

obtenu.

De plus, alors que nous avons décrit l’idée d’un moratoire autoroutier comme une

proposition ayant peu fait débat dans le groupe, il est à noter que cette idée a tout de

même été assez fortement évoquée dans la presse lors du déroulement du groupe et

après la publication du rapport produit à cette occasion. Pour étayer cette observation,

un comptage des articles évoquant cette question du moratoire autoroutier a été réalisé

parmi une base d’articles de presse constituée sur le thème du Grenelle de

l’Environnement.

215 Kempf, H., Jean-Louis Borloo lance le " Grenelle environnement " avec l'aval des Verts, Le Monde, le 8 juillet 2007.

Figure 1 : Proportions d’articles de presse abordant les questions des transports, du développement autoroutier et l’idée d’un moratoire autoroutier parmi un ensemble d'articles recueillis et publiés sur

le thème du Grenelle de l'Environnement.

Ce graphique a été obtenu à partir d'une revue de presse constituée grâce à la base de

données Factiva

217

. La liste des sources sélectionnées est composée des journaux Le

Monde, Le Figaro, Libération, L’Humanité, Les Echos, La Tribune, Le Progrès, Le Midi

Libre, et de l’AFP. Un corpus de 1930 articles de presse sur le thème du Grenelle a ainsi

été constitué sur l’année 2007. Ce graphique affiche quatre types d’informations

relatives au nombre d’articles de presse publiés sur le thème du Grenelle, semaine par

semaine, et sur la durée de la première phase des groupes de travail : le pourcentage

d’articles parlant des transports ; celui des articles abordant la question du

développement routier et autoroutier ; celui des articles mentionnant le terme de

« moratoire » s’appliquant aux autoroutes ; et enfin, la proportion d’articles abordant

l’idée d’un moratoire autoroutier, sans forcément employer précisément ce terme, ces

articles pouvant mentionner par exemple « l'arrêt de tout nouveau programme

autoroutier »

218

en France.

217 Factiva est une base mondiale d’actualités générales et spécialisées. Elle compte plus de 10 000 sources, sur 152 pays et dans 22 langues. http://global.factiva.com. L’usage de cette base de données était offert aux étudiants de la région Rhône Alpes au moment de cette thèse.

218 Caramel, L., Le consensus fait défaut sur de grands dossiers, Le Monde, le 28 septembre 2007.

0% 10% 20% 30% 40% 50% 04/07 11/07 18/07 25/07 01/08 08/08 15/08 22/08 29/08 05/09 12/09 19/09 26/09

Pourcentage d'articles abordant le thème des transports Pourcentage d'articles abordant la question des autoroutes

Pourcentage d'articles mentionnant le terme de "moratoire" appliqué aux autoroutes

Pourcentage d'articles évoquant l'idée d'un moratoire ou d'un arrêt du programme autoroutier Semaine du

Le pourcentage d’articles évoquant les transports sert d’étalon. Il permet de voir

que la question des autoroutes occupe une place relativement restreinte au sein des

articles abordant la question des transports. En effet, certaines des mesures à l’étude

dans le cadre du groupe de travail, comme l’idée d’une diminution de 10 km/h de la

vitesse sur routes et autoroutes, ou encore l’éco-redevance poids-lourds, ont largement

pu être commentées dans la presse à ce moment-là. A l’approche de la publication du

rapport du groupe de travail, le cas des infrastructures autoroutières a donc été assez

peu abordé par rapport à l’ensemble des questions sur les transports.

Au sujet du pourcentage d’articles mentionnant explicitement l’idée d’un

« moratoire » autoroutier, ce graphique indique que leur part est significative parmi

ceux qui ont évoqué la question du développement autoroutier. Mais le quatrième

pourcentage constitue une observation encore plus explicite. On constate des

pourcentages très proches entre la part d’articles mentionnant la question des

autoroutes et ceux qui évoquant l’idée d’un moratoire ou de l’arrêt du programme

autoroutier. Cela signifie que l’ensemble des articles de presse recueillis sur le thème du

Grenelle et évoquant le cas du développement autoroutier l’ont fait, quasiment tous en

mentionnant l’idée d’un moratoire. Cela a été le cas dans des articles reprenant

explicitement la proposition d’un moratoire portée par des O.N.G., comme avec France

Nature Environnement qui proposait « un triple moratoire sur le nucléaire, les OGM et le

développement autoroutier […] »

219

; ou encore l’Alliance pour la planète, collectif

d’O.N.G. qui regroupait la totalité de celles représentés dans le cadre du Grenelle, qui

portait un moratoire sur « les nouveaux incinérateurs, les autoroutes, les aéroports

[…] »

220

parmi ses « mesures phares ». Le moratoire était aussi sous-tendu dans les

articles décrivant les autoroutes comme une source de conflit entre les acteurs : des

articles pouvaient ainsi mentionner la « poursuite du programme autoroutier »

221

comme un sujet n’ayant pas « trouvé de consensus ».

Outre le fait que cette question du moratoire ou non sur les autoroutes semble

avoir été quasiment la seule façon de parler dans la presse du développement

219 NI, Grenelle : FNE pour un triple moratoire sur les OGM, le nucléaire et les autoroutes, Agence France Presse, le 23 juillet 2007.

220 Launay, G., et Noualhat, L., Les ONG attendent Borloo au départ et à l'arrivée, Libération, le 12 septembre 2007.

221 Janin, R., Environnement ; Le Grenelle de l'environnement entre dans une phase politique, La Tribune, le 28 septembre 2007.

autoroutier, c’est la quasi-absence des reprises dans la presse des propositions du

groupe 1 englobant la question autoroutière qui pose selon nous question. Dans la

partie précédente, nous avons remarqué que la question du moratoire autoroutier a été

peu abordée, au profit d’un questionnement plus général sur le développement de

l’ensemble des infrastructures de transport. La mise à jour du CIADT de 2003 au profit

d’un nouveau schéma national des infrastructures de transport faisait partie de ces

propositions. La publication du rapport du groupe du Grenelle en charge de la question

de la lutte contre le changement climatique semble s’être accompagnée de quelques

articles dans la presse décrivant certaines mesures. Il a ainsi été présenté que les

propositions pour le domaine des transports avaient pour ambition de « favoriser le

transfert de la route vers des modes alternatifs »

222

. Des perspectives en termes de

financement sont également évoquées, mais sans pour autant mentionner la proposition

de schéma national des infrastructures de transport faite dans le cadre du groupe. Une

interview de Dominique Bussereau alors Secrétaire d’Etat aux Transports en fait

mention, dans un article du 14 septembre 2007, soit une quinzaine de jours avant que

les conclusions du groupe un du Grenelle ne soient rendues.

« Le développement des nouvelles infrastructures de transport occupe une

large place dans les débats. […] J'ai pour ma part suggéré au Premier

ministre, François Fillon, que le Grenelle soit suivi d'un Comité

interministériel à l'aménagement du territoire (CIADT). Après celui de

décembre 2003, il permettrait de faire le point et d'adapter les

infrastructures aux choix du Grenelle. »

223

Dans cet extrait, a été énoncée la proposition d’un nouveau « CIADT » qui viendrait

remplacer celui de 2003 et qui adapterait les « infrastructures aux choix du Grenelle ».

Cependant, cette proposition étant présentée comme une initiative de sa part et énoncée

bien avant la remise des rapports des groupes de travail, un lien clair avec les travaux

du Grenelle peut difficilement être établi.

Dans un autre contexte et une dizaine de jours avant la publication du rapport du

groupe de travail n°1 du Grenelle, un autre article évoquait cette question des

222 Chauveau, J., et Chevallard, L., Les experts du Grenelle veulent ponctionner les usagers de la route, Les Echos, le 26 septembre 2007.

223 Chevallard, L., « Il n'y a aucune raison pour que le fret ferroviaire ne se redresse pas » - Dominique Bussereau, Les Echos, le 14 septembre 2007.

infrastructures de transport, sans pour autant éviter le cas des infrastructures routières.

Il s’agit là encore de propos tenus par le Secrétaire d’Etat au Transports :

« Le secrétaire d'Etat a néanmoins tenu à préciser que selon lui, il fallait

"toujours construire des routes, parce qu'il y a beaucoup de pays dans le

monde qui voudraient avoir un réseau routier pour accéder à un minimum

de développement économique". "Dans des pays comme le nôtre, il faut finir

notre réseau autoroutier, le rendre plus sûr, tenir naturellement compte des

pollutions", a-t-il déclaré, alors que s'est ouvert aujourd'hui à Paris le

Congrès mondial de la route. »

224

Dans cet extrait reprenant une déclaration en marge de l’ouverture du Congrès Mondial

de la Route de 2007, D. Bussereau fait part de sa position sur l’intérêt du développement

routier dans une perspective de développement économique et précise que dans le cas

de la France, l’enjeu était selon lui de « finir le réseau autoroutier », notamment au

regard des questions de sécurité, et en tenant compte « naturellement »

225

des

pollutions. Alors que nous avons vu que le groupe de travail n°1 n’évoquait pas

directement la question du développement routier, cet article constitue l’une des rares

traces dans les médias et sur la période des groupes de travail du Grenelle mentionnant

explicitement le cas du développement routier sans parler de moratoire.

Finalement, après avoir vu que la figure n°1 laisse entrevoir que la question des

autoroutes a été en majorité abordée dans la presse sous l’angle du moratoire, ces

différents éléments prêtent à penser qu’à ce stade le moratoire constituait une façon

prépondérante de parler des autoroutes dans l’espace médiatique, que ce soit pour le

défendre, ou bien dire qu’il n’était pas souhaitable, alors que les règles de l’espace de

discussion du Grenelle ne le permettaient pas en son sein.

224 NI, Dominique Bussereau prudent sur un abaissement de la vitesse des automobiles, La Tribune.Fr, le 17 septembre 2007.

225 Dans le contexte de l’extrait, l’usage de cet adverbe peut se comprendre à la fois au regard de son discours d’ouverture du congrès dans lequel il mentionne des enjeux d’intégration de « la route dans une logique de développement durable », mais aussi au regard des travaux du Grenelle alors en cours.

Conclusion

L’objectif de cette seconde partie était de comprendre dans quelle mesure les

groupes de travail du Grenelle ont été le lieu de la fabrique d’une ligne narrative sur le

développement routier et autoroutier en France. Nous avons étudié pour cela dans un

premier temps les discussions qui ont eu lieu dans ce cadre. Les notions de « règles » et

d’ « espace de discussion »

226

développée par Philippe Lamothe nous ont permis de

comprendre que le groupe de travail n°1 du Grenelle sur la lutte contre le changement

climatique a été le lieu de l’émergence d’une ligne narrative sur le développement

routier et autoroutier utilisant les mots du développement des alternatives modales et

promouvant la création d’un nouveau schéma des infrastructures. Le recours à ce cadre

de lecture a également permis de dire que le moratoire autoroutier, proposition portée

par les O.N.G. environnementales, n’avait pas constitué une ligne narrative du groupe en

raison des règles de l’espace de discussion. Pour autant, notre analyse de la presse

réalisée dans un troisième temps suggère que la proposition d’un moratoire au regard

des enjeux de la lutte contre le changement climatique restait un récit porté par les

représentants des O.N.G. et pouvait même être érigé dans les médias comme un

indicateur du déroulement de la concertation.

226 Lamothe, 2006, op. cit.