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Chapitre IV. Naissance et formation des villes minières

3. Naissance et formation de la ville de Moularès

Moulares, littéralement : la mère des mariés, d’après la légende selon laquelle sept mariés dans leurs palanquins et leur cortège auraient disparu dans l’un des étangs de la gorge dominée par Djebel Stah ou "Stah Essaoudda".

Dernier né des trois grands sièges miniers42, Moularès possède des installations industrielles qui se sont implantées après la 1ère guerre mondiale bien que le gisement ait été pourtant acquis en 1906. Les objectifs commerciaux des autorités coloniales ont retardé l’exploitation. La ville était dépendante de Rdeyef, depuis sa création et jusqu’aux années 1950, elle fut érigée à la fois en commune et siège de délégation en 1956.

3.1. Localisation de la ville

À 50 km à Ouest de la ville de Gafsa, la ville de Moularès est placée sur le trajet Gafsa- Tozeur-Nafta en même temps que sur la route Tunisie-Sahara Algérien. On accède à la ville de Moularès par la RR201 qui intersecte la RN3 et relie Tozeur à Gafsa en passant par Métlaoui ou directement par la nouvelle voie nommée "Stah" qui relie la ville de Gafsa à Moularès en passant par les chainons de Djebel Ben Younes.

Le cadre physique est constitué essentiellement d’un glacis d’accumulation limité au nord par une barrière accidentée. Ce dernier est constitué, dans sa partie ouest, par des piémonts assez pentus et dans sa partie Est par un relief montagneux très accusé et inurbanisable (carte 26). La ville a été fondée sur le flanc sud de Djebel Stah (roches très meubles), appelé par la suite

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Djebel Moularès, à l’est de oued Tebedditt. La plaine alluviale de cet oued permet à la ville d’avoir une ouverture pour se développer, contrairement à Rdeyef qui est enclavée.

La ville de Moularès est à l’extérieur de l’arc de cercle formé par les affluents de phosphates et sa situation se présente dans de bonnes conditions d’accès (PAU Moularès, 1998). Le confluent est assez loin pour que ce dernier puisse reprendre l’érosion de ses berges, après avoir déposé son surplus de charge ; cela explique que les lits des oueds sont souvent entaillés assez profondément.

Carte 26 : Présentation de la ville de Moularès (Source : Google Earth, CPG 2015 et CRDA 2014)

3.2. Genèse de la ville

La ville de Moularès se singularise, par rapport aux autres villes minières, par la construction simultanée de la Cité européenne et les cités des mineurs, mais séparées l’une de l’autre. La Compagnie a pris sérieusement en compte les problèmes de l’instabilité de la main-d’œuvre.

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3.2.1. Avant 1930 : L’installation de la ville

L’installation de la ville est caractérisée par deux phases principales qui sont : l’acquisition du gisement (1902-1908) et la mise en réserve jusque 1918, suivie de l’installation d’un noyau urbain (1918-1930). L’implantation de l’aire industrielle a engendré l’installation des différents réseaux de base ; les circuits du phosphate des mines vers le siège dans le noyau urbain de la ville, ensuite vers Métlaoui. L’aire industrielle et le village sont implantés entre les recettes et la voie ferrée. Les installations industrielles commencent par l’aire de séchage en premier lieu, d’une dimension (450×800m). Puis, la cuve de stockage, qui emmagasine dans les années 1920, 17000 tonnes de phosphate marchand.

Bien que Moularès soit la première ville minière où le village d’ouvriers ait été implanté en même temps que le village des européens, le souci de ségrégation est flagrant. La zone réservée au village pour les cadres européens (130 logements) est une zone libre et encadrée où l’orthogonalité des trames et l’ordonnancement des logements sont stricts, suivant l’orientation des voies de l’aire industrielle et de la ligne de Tebedditt. Par contre, le village ouvrier a été implanté à l’écart entre l’aire industrielle, la voie ferrée de Henchir Souatir et les piémonts du Djebel Moularès. Quelques 20 à 30 logements, de l’autre côté de la voie ferrée, au nord, voient le jour sur les premiers contreforts du Djebel. La trame est alignée sur la voie ferrée en question : c’est le village ouvrier de Koceîla, bien séparé du village européen.

3.2.2. Entre 1930 et 1956 : l’implantation de l’habitat, un souci de ségrégation

Moularès a connu une faible transformation du point de vue industriel et urbain (quelques tentatives isolées) qui ne reflètent pas l’esprit d’organisation et le push de départ : à l’image de celles des autres sièges, ces derniers ont plutôt "un trait de laisser-aller". Cela est dû principalement à la période de crise mondiale de 1928-1930. Une urbanisation anarchique de type spontané et semi-traditionnel à caractère ethnique occupée en majorité des ouvriers non qualifiés de la compagnie (niveau tâcherons). En outre, les stocks de stériles apparaissent avec une certaine indécision et se trouvent déportés à l’ouest de "Douar Nesla"43. Une voie ferrée vient compléter l’installation en confinant les habitations par le sud.

La fermeture de la recette ouest en 1930 et l’ouverture d’une autre à Henchir Souatir, l’expédition du minerai par le port de Sfax à partir de 1941 au lieu de celui de Sousse, ont bouleversé l’organisation initiale des cités par rapport aux équipements miniers, aux voies ferrées et aux aires de séchage et de stockage (Chandoul S., 2010). En effet, la naissance de l’habitat spontané vient se greffer au nord, sur les logements ouvriers de Koceîla. Aussi

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l’extension spontannée de Nesla au sud de l’autre côté de l’aire de séchage, reste encore cantonnée en haut de la pente. Il s’agit d’un habitat spontané compact et groupé (photo 9), utilisant le minimum de terrain qui est strictement la propriété de la Compagnie.

Après la Seconde guerre mondiale, une autre forme d’habitat commence à se manifester. Ce sont des habitats épars, dans le Cité de Bou Yahya qui se prolongent au sud et à l’est de la ville, bien que la direction minière tende à limiter l’anarchie et améliorer les zones habitées (même procédure pour les autres villes minières).

Photo 9: Mine de Moularès, le village arabe ( 1937) (Source : Archives Nationales, 1949)

3.2.3. Période d’après l’indépendance (1956), la densification des cités anarchiques

Durant 30 ans (de 1956 à 1986), la ville a connu un véritable développement, un peu lent au début de l’indépendance mais nettement remarquable de 1965 jusqu’aux années 1980. La métamorphose est marquée essentiellement par la création d’un nouveau noyau urbain, plus ou moins planifié selon une trame orthogonale simple couplée avec la prolifération de l’habitat spontané qui n’arrive pas à s’enrayer au sud-est. Il s’étale essentiellement le long de la ligne ferroviaire et à l’ouest de l’oued Jmel. La nouvelle extension urbaine, réalisée au début des années 1980 et qui s’étend sur 62 ha, est équipée de quelques infrastructures de base mais qui ne prend pas en considération les besoins des habitants.

Après 1986, les extensions urbaines se rapprochent de plus en plus du domaine minier (carte 27), et même de certains centres miniers classés actuellement comme dangereux d’après l’ANPE. Les extensions se dirigent lentement vers le sud-ouest de la ville et vers le nord- ouest dans les élévations (gisement Table Nord). Environ 80% des voies projetées de PAU de

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1986 sont envahies par les constructions anarchiques. L’extension est contrariée par oued Tebedditt à l’ouest et par les domaines phosphatiers de la Compagnie au nord, outre la situation foncière. Le plan d’aménagement en cours (PAU Moularès, 2009) ne prévoit pas de zones d’extensions urbaines sous la contrainte du relief qui nécessite des coûts supplémentaires d’aménagement. Il a été interdit de construire en dehors des zones spécifiquement aménagées afin d’éviter tout risques d'inondation, de glissement de terrain ou d'éboulement. Une grande partie de ces zones ne peut être urbanisée vu son emplacement très proche des zones minières dangereuses. Alors quelques habitats s’étendent le long de la RR201 vers Rdeyef et vers Gafsa sont des signes du sens des extensions urbaines non planifiées et en dehors de limite de PAU actuel.

Carte 27 : Genèse de la ville de Moularès (Source : PAU (1986 ; 2009) et Google Earth 2016)

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3.3. Armature urbaine de la ville

La ville est composée de trois ensembles distincts l’un de l’autre : la zone industrielle au centre, le village (ou Cité Coloniale) couplé avec les cités ouvrières, et les habitats anarchiques à la périphérie de la ville. Le village et l’aire industrielle sont implantés dans une zone plus ou moins plane, alors que les premiers logements ouvriers et anarchiques grimpaient sur les pentes des piémonts. Les équipements dans leur ensemble sont groupés au centre qui se fait difficilement par trois rues d’accès sur la RR201 et par conséquent vers le centre-ville. La zone industrielle se décompose en quatre grandes parties qui bloquent la zone urbanisable. L’aire de stockage, est divisée en deux, au centre et à l’ouest de la ville. L’aire de séchage et les stocks de terrils occupent le plein centre (carte 28), chose qui complique encore plus l’inter relation avec les autres parties de la ville. Les cités composant cette entité ne sont liées entre elles que par des rues sans importance en largeur. L’habitat spontané et inorganisé a proliféré autour de la Cité Koceîla, puis il a gagné sur les espaces environnants avec des densités de plus en plus faibles en allant à la périphérie et sur les pentes. Il s’agit d’un habitat de niveau social très modeste puisque construit par des migrants en quête d’emplois dans la mine (niveau tâcherons). Les constructions se détériorent rapidement car elles ont été réalisées avec le moindre coût.

Les cités s’articulent en fonction des données de relief et de l’implantation industrielle formant trois grandes entités :

 Un triangle, au centre, groupe l’habitat organisé : Cité Village et son appendice au nord de logements ouvriers. L’espace est réservé entre la zone industrielle et le relief montagneux, le village européen est inséré entre des piémonts de la montagne et la voie ferrée;

 A proximité du centre-ville et au nord de la zone organisée de la ville se trouve la cité spontanée et compacte, Koceîla. C’est un groupement qui a été construit sur les piémonts par la Compagnie, mais très vite, un agglomérat de spontané-groupé a surgi l’étouffant littéralement, lui enlevant son caractère organisé. Toute la Cité de Koceîla peut être considérée comme spontané-compact. Une autre Cité spontanée et compacte d’origine Soufi est coincée entre les stocks de stériles et l’aire de séchage, et se trouve complètement isolée dans la zone industrielle : Nesla ;

 Au sud et sud-est, une large zone en arc de cercle, plus à l’extérieur, s’étendent les cités périphériques spontanées-éparses, Bou Yahya et Mabrouk Brahmi. Accrochée à cet ensemble, la Cité Loussayef commence, dans sa partie sud, bien groupée pour se terminer en semi groupée et éparse.

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Carte 28 : Armature urbaine de la ville de Moularès (Source : PAU (1986 ; 2009), CPG 2016 et Google Earth 2016)

La ville de Moularès s’avère fonctionner en deux parties : boucle du nord d’un côté, avec Koceîla, et le souk ; boucle de sud, avec le village et ses équipements. Le nouveau centre, qui tend peu à peu grouper le maximum d’équipements pourra jouer le rôle de charnière. En revanche, ce centre reste lui-même difficilement accessible par l’ensemble de l’agglomération. S’il est en liaison directe avec le village, il demeure complètement isolé des cités de Nesla et Bou Yahya à cause de la zone industrielle. En outre, les cités Koceîla et Mabrouk Brahmi sont isolées par les voies ferrées.

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