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Chapitre VI. Disparités régionales et ces impactes sur le Bassin Minier de Gafsa

3. Hiérarchie urbaine des villes minières

La hiérarchie urbaine est le classement des villes et leurs aires d'influences les unes par rapport aux autres. Cette hiérarchie a été mise en évidence en 1933 par le géographe allemand Walter Christallier dans son ouvrage sur la théorie des places centrales en Allemagne du Sud (Pumain D., 1982 ; Rousseaux V., 1999). «Il est extrêmement dangereux de vouloir appliquer des modèles de hiérarchisation urbaine (métropole, ville relais, centre régional,…) à des régions de façon uniforme» (Damette F., 1970). Il ressort de cette citation qu’il est incorrecte, au niveau méthodologique, d’étudier la hiérarchie urbaine dans le seul gouvernorat de Gafsa amputée des autres influences des villes limitrophes, voisines ou lointaines.

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3.1. Structuration des villes minières et dépendance des villes portuaires

A l’échelle national, le sud-ouest tunisien (Tozeur et Gafsa) garde toujours une position de dépendance par rapport aux autres métropoles (Tunis, Sfax, Sousse-Monastir et plus récemment Gabès) comme nous montre la figure 24. Le BMG est directement lié au littoral, il se trouve à la base d’une pyramide à double sommet, le plus élevé étant représenté par Sfax, concurant économique mais de niveau supérieur de Gafsa ville de facon très spectaculaire. La liaison BMG-Sfax a eu d’énormes répercussions sur le fonctionnement de l’économie régionale de Gafsa; elle a provoqué l’écartèlement de la région et une certaine désarticulation interne. Cette désarticulation a persisté et le sera encore tant que l’activité minière est prépondérante dans la région de Gafsa.

La liaison ferroviaire entre le BMG et le port de Sfax avait pour but l’expédition du minerai et l’importation de produits manufacturés, dans une économie extravertie. Les mineurs, grâce à leurs salaires relativement réguliers et aux titres de transport gratuit qui leur sont accordés avec leur familles par la CPG, ont participé, entre autres, au développement des villes portuaires, surtout Sfax, par des activités traditionnelles comme les meubles et les petits métiers. Même pour les relations commerciales (habillement par exemple), les déplacements vers Sfax sont souvent plus importants que ceux vers Gafsa. Par conséquent, la valeur ajoutée brute régionale est expédié hors de la région de Gafsa.

Par récurrence, le développement du gouvernorat de Gafsa est entravé par la perte importante des revenus titrés de son arrière-pays, le BMG. Ainsi, le domaine minier se comporte comme un corps exogène que le gouvernorat n’a pas pu intégrer pour favoriser son développement régional. Le BMG n’a pu ni imposer sa propre capitale en tant qu’une région minière, ni promouvoir le rôle de la capitale traditionnelle, Gafsa ville. De ce fait, en matière de développement régional, la mine n’a pratiquement induit aucune activité, ni de plus valeur régionale : rien en val.

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Figure 24: Variation de la hiérarchie urbaine des villes minières entre, 1970 et 2016 (Source : Groupe Huit, 1970 ; Chandoul S., 2010 et MEHAT/DGAT, 2012) modifié par l’auteur

Direction minière

Moularès

Cité minière maintenue

Rdeyef

Cité en déclin maintenu

Mdhilla

Cité en déclin

Séhib

Petite localité minière

Sfax

Tunis

Gafsa

Centre Régional Forte dépendance Moyenne dépendance Faible dépendance Nafta-Tozeur

Localité (hors espace minier) Main d’œuvre pour Métlaoui et

Rdeyef

Moularès

Cité manière maintenue

Rdeyef

Mdhilla

Cité en déclin

Métlaoui

Centre Minier important (Direction minière)

Sfax

Tunis

Gafsa

Direction régional Forte dépendance Moyenne dépendance Faible dépendance Nafta- Tozeur Guetter

Gabès

Métlaoui

Centre Minier important en expansion industrielle

(Sans rôle régional)

Guettar

Main d’œuvre pour Mdhilla-Séhib

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3.2. Un niveau hiérarchique déséquilibré

Sur le plan hiérarchique, depuis leur création, les villes minières sont très loin derrière de la ville de Gafsa. Mais, elles ne jouissent pas pour autant de la même position : Rdeyef55, Moularès puis Mdhilla sont presque au même niveau, et, à une distance derrière, Métlaoui. En effet, Mdhilla, trop proche de Gafsa, n’a pas pu acquérir assez d’autonomie pour avoir un équipement satisfaisant. Il existe des embryons de relations commerciales; très fortes entre Gafsa et Mdhilla ; beaucoup plus faible entre les trois autre villes minières. Cependant, si les villes ont vécu en s’ignorant presque les unes les autres, il serait faux de dire qu’elles n’ont aucune relation avec le reste de la région et bien sur les autres métropoles (Sfax et Tunis).

Carte 45 : Evolution de la circulation routière (1987-2012) (Source : MEHAT DGAT, 2012)

55 Dans les années 1950 la position de Rdeyef devance Métlaoui ; c’est son arrière-pays relativement peuplé qui a permis un développement non négligeable, vue la taille de la ville, du secteur non-minier (principalement agricole) (Despois J., 1961).

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En 2012, le débit journalier moyen a atteint son apogée au niveau de la ville de Gafsa (carrefour du gouvernorat) avec 22238 véhicules/jour. Au niveau du BMG, la RN3 reliant Gafsa à Métlaoui est très loin des autres débits de circulation avec 6481V/J (carte 45). Donc, Gafsa est très bien relié à Métlaoui et Tozeur, drainant ainsi l’ensemble de son arrière-pays Ouest. Dans la principale ville minière (Métlaoui) et en allant vers le gouvernorat de Tozeur, le débit chute en moitié (3964V/J.), ce qui montre que Métlaoui est une ville de transit entre le littoral et Tozeur. La ville de Mdhilla est isolée des autres villes minières, l’unique reliant est la ville de Gafsa-Gsar avec 2944V/J recenser, dont plus de ¾ sont des légers véhicules.

Nous pouvons distinguer quatre niveaux à subdiviser en sous-groupes : niveau supérieur ; niveau régional, niveau local ; niveau de base (carte 46).

Carte 46 : Classification des villes minières (Source : Belhedi A., 1992)

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Dans le tableau 8, la pente négative indique une tendance de tassement qui montre que le système sur-urbain du BMG est classé comme modéré. Les mouvements sociaux de 2008, 2012 et 2013 montrent qu’on est encore devant un état de déséquilibre social, politique et économique. Selon le concept de dynamique régionale, le BMG est classé aujourd’hui comme une région non dynamique, en stagnation économique, voire même en crise. Dans ce sens, Haydar A., (2006) a eu raison la décrire comme : « une région-problème 56».

Tableau 8 : Variation des paramètres de la loi de Rang-taille des systèmes urbains régionaux dans le BMG (Source : Belhedi A., 2004 ; INS, 2014)

Année Pente (a) Constante (b) Corrélation (r)

1956 -1.2031 21.633 -0.9464

1984 -1.3949 78.895 -0.9789

1994 -1.1671 91.531 -0.9443

2004 -1.3224 89.782 -0.9510

2014 -1.3129 87.136 -0.9418

3.2.1. Niveau hiérarchique de Gafsa ville

Rappelons que jusqu’aux années 1960, la ville de Gafsa était un simple couloir où rien ne s'arrête. Elle n'a jamais réussi à s'imposer comme capitale régionale, mais était un simple relai intermédiaire de Sfax et de Tunis, et aujourd'hui progressivement de Gabès. Depuis le changement initié en 1987 par l’ancien président Ben Ali, la ville de Gafsa, fait l’objet d’investissements économiques importants de la part du gouvernement. Un aéroport international, un centre d’affaires et un pôle universitaire appuyé par un rectorat, ont vu le jour dans cette ville moyenne marginalisée depuis de longues années. En revanche, la ville de Gafsa est classée comme un système urbain sans une base économique fournie ou un centre régional incomplet bien qu’elle regroupe 53,4% des établissements et 61,6% des emplois du gouvernorat avec une position plus marquée (pour le non-alimentaire). Les potentialités de la ville de Gafsa sont limitées aux services publics d’encadrement qui ne sont plus capables d’attirer les populations du centre-ouest et du sud-ouest. Le manque d’opportunités d’emplois et d’insertion économique a donc fortement restreint leur pouvoir d’attraction sur les populations locales et régionales.

56 Même l’agglomération urbaine de Gafsa-Gsar ne présente qu’un seul mécanisme sur trois qui doivent exister, à la fois, pour susciter le processus de métropolisation « stade suprême du développement urbain» (Belhedi A., 1992) et pour attirer les entreprises, surtout internationales.

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Malgré ces inconvénients la ville de Gafsa est la seule qui peut jouer le rôle de capitale régionale du "Sud intérieur". En effet, elle est classée comme autant un niveau supérieur de l’armature urbain : relais régional de second rang qui joue un rôle régional bien qu’elle est moins bien équipée (Belhedi A., 2012b). La construction du siège social de la CPG à Gafsa et de rassemblement de ses différentes directions qui ont migré de Tunis et de Métlaoui en 1986, sert à renforcer le rôle de Gafsa dans sa région. Ainsi, Gafsa a amputée la ville de Métlaoui d’une partie de son pouvoir comme une direction minière. En revanche, elle n’avait pratiquement aucun rôle de direction dans l’économie extravertie de sa région ; les effets induits l’extraction et l’enrichissement de phosphate lui échappent à la faveur de Sfax et des villes littorales. La centralité industrielle a empêché les intérêts commerciaux dans la capitale tels que le siège de la CPG ou le GCT.

3.2.2. Niveau hiérarchique de la ville de Métlaoui

Bien que son dynamisme démographique soit considérablement essoufflé, comme les autres villes minières, Métlaoui représente incontestablement le principal centre minier en terme de services ou en terme des centres administratifs miniers (tableau 9). Métlaoui a certes un avantage comme garant d’environ la moitié de production de phosphates dans le BMG, mais aussi le siège de quelques services centraux de la CPG.

Aussi, sa situation géographique au cœur du BMG lui a donné un avantage appréciable sur les autres villes minières. En revanche, la ville de Métlaoui n’a pas pu créer des flux à son bénéficie entre elle et les autres sièges. Elle n’est pas considérée comme une vraie capitale minière puisque le siège central se localise à Tunis et Sfax par l’intermédiaire de Gafsa ville. Métlaoui est classée comme ayant un niveau moyen de l’armature urbain : centre secondaire ou « centre régional à fonction multiple » (DGAT, 2012). Le rôle confié à Métlaoui dans cette structure régionale est nettement plus important que celui confié aux trois autres villes minières. Les activités industrielles représenteront environ 1/3 des emplois totaux en 2014.

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Tableau 9 : localisation des principales administrations minières (Source : CPG, 2016)

Ville Administration minière

Gafsa ville

- Direction des affaires administratives et juridiques - Direction Organisation et méthodes de travail - Direction Centrale de gestion

- Direction du développement

- Direction de la planification minière

- Direction de Suivi de production et d'extraction - Direction d’informatique industrielle

-Direction de comptabilité - Direction du budget

Métlaoui

- Direction secteur minier Métlaoui -Centre géologique et de recherche -Centre de formation

- Direction des achats

-Direction d’environnement et de sécurité -Direction central de production

- Direction Matériel et Maintenance - Centre de gestion de stocks

Mdhilla - Direction secteur minier Mdhilla - Groupe Chimique Tunisien (GCT) Rdeyef - Direction secteur minier Rdeyef Moularès - Direction secteur minier Moularès

3.2.3. Niveau hiérarchique des autres villes minières

Les autres villes minières (Rdeyef, Moularès et Mdhilla) sont classées comme un niveau de base de l’armature urbaine : Centres locaux dont le poids de l’équipement urbain est le plus déterminant. Ces villes minières présentent le dernier niveau de l’armature urbaine dont l’impact sur le milieu rural et sur l’espace environnant est très limité. Alors que ce niveau hiérarchique présente le point de passage entre la ville et la campagne. A titre d’exemple, la ville de Moularès, par sa position centrale, joue un certain rôle commercial pour son

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environnement rural, et draine une partie des populations rurales des régions agricoles Douara et Tebedditt. En outre, sa situation géographique lui donne un second rôle ; assurer le transit des produits commerciales régional et international (avec l’Algérie).

La position en cul de sac de Rdeyef contribue, entre autres, à en minimiser l’importance commerciale comparativement à Métlaoui. La place de Rdeyef s’explique par la présence d’une considérable population rurale, et également par des liaisons plus étroites entre la ville et son arrière-pays. Par ailleurs, Rdeyef s’est imposée comme "centre commercial rural" (DGAT, 2014). Elle constitue un relais régional accusant un déséquilibre marqué entre la fonction minière et les services, un déséquilibre déjà remédié en partie ces dernières années. Cette ville devrait être encore beaucoup plus équipée de manière à assurer un certain nombre de services à sa population. Malgré ces problèmes, nous pouvons dire que la ville de Rdeyef est la moins désordonnée dans le BMG, elle arrive à polariser sa petite région en étant un lieu d’échanges ; son souk hebdomadaire est parmi les plus dynamiques dans le gouvernorat de Gafsa. La zone d’attraction peut atteindre la région de Djérid et Tozeur.

Finalement, la ville de Mdhilla n’a pas pu se développer suffisamment. La raison essentielle est sa proximité de Gafsa ville, classée une banlieue éloignée de Gafsa, caractérisée par la grande fréquence des lignes de louages et d’autobus entre Gafsa et Mdhilla. Déduction, son sous-équipement évident s’explique justement en grande partie par ce fait. La ville ne permet aucun rayonnement même sur la région immédiate. Mais, il est une raison autre peut-être plus importante, tout au moins chronologiquement : Mdhilla n’a pas réussi à s’urbaniser. Ses habitants eux-mêmes ne veulent pas y rester (migration des tribus Ouled Maâmer vers la ville de Gsar précisément). C’est une région répulsive où la pollution générée principalement par le GCT est le principal facteur d’immigration. Seule la population de classe défavorisée occupe cette ville.

La désarticulation entre le BMG et le reste du gouvernorat est liée au déséquilibre hiérarchique interne de la région minière elle-même mais aussi par rapport à l’agglomération Gafsa-Gsar. La mise en exploitation des mines a peu à peu créée, sur le plan local, un secteur à revenus relativement fixes, plus élevés que dans le reste du gouvernorat.

La mono-activité d’extraction et d’enrichissement de phosphate se traduit par une sortie de flux financiers contre une entrée de biens et services, ce qui engendre des effets d’entraînement dans les régions les plus dynamiques. De ce fait, la diversité des activités dans la région de Gafsa devient une nécessité pour assurer la pérennité des activités économiques et, peut-être, permettre à Gafsa de jouer le rôle de pôle de développement régional. Ce

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développement est tributaire aussi du renforcement des communications entre Gafsa et ses villes minières, considérées comme des villes satellites.

Bien que l’activité minière soit à l’origine de toutes les transformations hiérarchiques dans notre région d’étude, la question qui se pose est de savoir dans quelle mesure l’activité minière joue encore son rôle dans développement économiques dans le BMG?

Chapitre VII. Situation économique de la région