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Chapitre 6.   Discussion générale 170

3.   De la nécessité d’une approche plus large de la gestion des bioagresseurs 191

3.1. Échelles et critères de décision : de la nécessité d’une approche plus

systémique

3.1.1.

Adaptabilité des pratiques

Mahmoud et al. (2009) soulignent l’importance de considérer les échelles spatiale et temporelle de la prise de décision. Dans notre étude, les parcelles sont considérées de manière indépendante, ne prenant donc pas en compte l’échelle de l’exploitation agricole (EA). Or l’EA étant le lieu de la prise de décision (Stone et al., 1992), cette approche limite de fait l’exploration des déterminants de la composition du paysage agricole. D’une part, la combinaison des productions est décidée et mise en œuvre à l’échelle de l’EA (Aubry et al., 1998). D’autre part, la structure du parcellaire de l’EA est un facteur explicatif de l’allocation des cultures (Thenail et al., 2009), en lien avec l’organisation du travail et la disponibilité en matériel (Rounsevell et al., 2003). Coléno et al. (2005) soulignent également la nécessité de prendre en compte les objectifs des agriculteurs, notamment en termes productifs, pour évaluer des stratégies de gestion des terres. L’échelle de l’EA, du fait de son influence sur le paysage (Joannon et al., 2006), est donc une échelle importante pour considérer les pratiques agricoles. Sa prise en compte pourrait permettre de définir des facteurs de localisation des cultures et des pratiques. Intégrer les règles de décision génériques des agriculteurs et leurs déterminants pourrait contribuer à définir l’organisation spatiale et temporelle du paysage (Schaller et al., 2012). D’un point de vue économique, l’exploitation agricole interagit avec une hiérarchie de systèmes biophysiques (de la parcelle à la région) et sociaux (du marché et des réglementations locales à internationales) (Volk, 2011). L’intégration des échelles pertinentes de prise de décision et de réalisation des processus biophysiques sans perte de l’intégrité de l’information est ainsi nécessaire (Dumanski et al., 1998) et

192 requiert l’identification de critères d’organisation à ces différents niveaux (Hijmans et van Ittersum, 1996).

3.1.2.

Approche multicritère

Pour la gestion du phoma et de la durabilité des résistances, typer les exploitations agricoles vis-à-vis de leur gestion du colza pourrait également aider à la prise en compte de cette échelle d’organisation. Fargue-Lelièvre et al. (2012) ont ainsi identifié huit types principaux de gestion de cette culture, qui peuvent être discriminés en fonction de leur risque par rapport au phoma. Ces auteurs lient ce risque à l’importance de la culture au sein de l’EA (hectares cultivés), au niveau d’intrants pour cette culture et à son aspect économique. Ils pourraient également permettre de prendre en compte une notion absente de notre étude : la rentabilité de la culture au sein du système de culture. Par exemple, l’intégration des performances annuelles, ayant un effet sur l’année suivante, pourrait permettre d’intégrer cet aspect décisionnel de manière dynamique (Gibbons et Ramsden, 2008). L’ajout d’un critère économique pour l’évaluation des scénarios, souligné comme important par les acteurs de la région Centre et non- évaluable directement par l’outil de simulation, pourrait permettre de discriminer les systèmes de gestion par une analyse multicritère (Sadok et al., 2008). La prise en compte explicite de l’échelle du système de production pourrait également contribuer à une évaluation plus globale de la durabilité des scénarios d’organisation des systèmes de culture, en prenant en compte les trois aspects de la durabilité : environnemental, social et économique (Sadok et al., 2009 ; Wei et al., 2009).

Pour faire évoluer ces pratiques et diminuer le risque, Fargue-Lelièvre et al. (2012) identifient deux composantes de l’EA qui pourraient être modifiées : d’une part la complexité du système d’exploitation (i.e. diversité des rotations et/ou du choix variétal pour les variétés de colza), et d’autre part le travail et les ressources allouées au colza. Ces critères pourraient être utilisés pour identifier les adaptations possibles des pratiques des agriculteurs face au changement. La diversification des rotations pourrait en effet permettre une diminution de la pression globale de pathogènes et la mixité des variétés à l’échelle du territoire pourrait réduire la pression de sélection exercée sur la population pathogène (Aubertot et al., 2006b).

3.1.3.

Approche systémique

S’intéresser à une question locale requiert d’identifier les défis et thématiques clés du territoire en question, i.e. les priorités locales en termes d’enjeux et/ou de problèmes à résoudre (Dougill et al., 2006). Il peut ainsi être nécessaire d’étudier de manière simultanée plusieurs problèmes (Sterk et al., 2009), au lieu de se limiter à un seul. Il est alors nécessaire de réfléchir les stratégies de manière plus systémique, en incluant par exemple plusieurs pathosystèmes pour évaluer la durabilité de ces stratégies. En effet, certaines pratiques agricoles, favorables au contrôle d’un bioagresseur, peuvent au contraire nuire à la gestion d’un autre. Par exemple, si le labour est un moyen efficace de gérer le phoma du colza (Schneider et al., 2006), il peut affecter de manière négative le parasitisme des méligèthes par ses auxiliaires (Rusch et al., 2011). Pour analyser l’effet des pratiques agricoles sur plusieurs bioagresseurs, une approche modélisatrice pourrait être utilisée, l’expérimentation étant en effet difficilement accessible à cette échelle spatiale. Une possibilité serait de réaliser des modèles pluri-bioagresseurs (permettant de tenir compte de l’interaction entre bioagresseurs), ou de réaliser un couplage de modèles évaluant indépendamment un bioagresseur. Il pourrait également être intéressant d’évaluer l’effet de ces stratégies sur les performances de plusieurs cultures, en se plaçant à la fois à l’échelle du système de culture et de la région. Cependant, pour des modèles mécanistes définis à ces échelles, se pose la question des processus nécessaires et suffisants pour simuler de manière pertinente, mais non simpliste, l’effet de ces stratégies. L’acquisition de données pour paramétrer ces processus requiert des données sur plusieurs années et à une échelle large, certains de ces processus

193 pouvant en outre dépendre des conditions climatiques. Au vu de ces difficultés, une option pourrait être d’utiliser des modèles décisionnels qualitatifs, comme DEXiPM (Pelzer et al., 2012), pour évaluer les performances de ces systèmes sur plusieurs thématiques. Pour construire les systèmes de culture à évaluer, il serait alors nécessaire d’inclure les acteurs compétents pour chaque thématique, de manière à construire des systèmes de culture innovants et durables pour la gestion de diverses thématiques.

3.2. Approches individuelles vs. collectives

Bien qu’il soit difficile d’extrapoler des principes généraux des résultats des deux cas d’étude, la comparaison de multiples leviers au sein de chaque région pourrait permettre d’émettre des recommandations spécifiques de gestion face à des changements de contexte (Shea et al., 2000). Ces recommandations peuvent être à l’échelle de la parcelle (itinéraire technique par variété) ou à l’échelle pluri-parcellaire (fréquence du colza dans le paysage). Elles s’adressent ainsi à l’agriculteur de manière individuelle, ou nécessitent une coordination entre exploitations agricoles, qui pourrait par exemple être organisée par les organismes de collecte et de stockage. En adaptant leurs conseils, les acteurs du monde agricole pourraient favoriser la gestion de la maladie, Maton et al. (2005) soulignant une certaine uniformité comportementale entre les agriculteurs conseillés par les mêmes personnes. Comme souligné par les participants à notre étude, il est alors important que les recommandations soient cohérentes entre les différentes sources d’information (Dougill et al., 2006).

Pour coordonner les systèmes de culture à l’échelle pluri-parcellaire et maintenir un paysage favorable à la gestion d’une problématique donnée, la prise en compte d’échelles intermédiaires entre la parcelle et le territoire agricole peut être utile. Pour instaurer un isolement spatial par exemple, l’îlot cultural71 peut être pertinent pour la gestion individuelle à l’échelle de l’exploitation agricole. Cependant, selon la taille des îlots et le degré d’agrégation du parcellaire d’un exploitant, la mise en place de stratégies d’isolement peut nécessiter une coordination entre plusieurs exploitations agricoles. Ces stratégies « de séparation » nécessitent une allocation explicite des variétés par exemple, pour permettre la gestion d’une thématique spatialisée (Sausse et al., 2012). Ce type de stratégie peut être mis en place par des collectifs d’agriculteurs, créant une « mosaïque de gestion » à l’échelle du paysage pour gérer un problème donné (Melman et al., 2008), et pourrait être subventionné à la condition du maintien de l’effet bénéfique de cette organisation sur ce problème (Moreira et al., 2005). Une approche « bottom- up » pourrait alors être plus adéquate qu’une approche « top-down », permettant de mieux intégrer la faisabilité de telles stratégies (Melman et al., 2008). L’utilisation d’outil d’aide à la décision serait alors envisageable, sous réserve d’une connaissance suffisante des systèmes de culture locaux spatialement définis. Une approche intermédiaire pour la localisation des systèmes de culture pourrait être définie par les organismes de collecte et de stockage, reconnus comme des gestionnaires importants de l’organisation et de la structuration du territoire agricole (Coléno, 2008). La gestion du territoire pourrait ainsi être organisée, y compris spatialement, par ces porteurs d’enjeux, via la coordination ou la formalisation (ex. contrat à la variété) de certaines pratiques agricoles (Hannachi, 2011).

71

Un îlot cultural est « constitué par un ensemble de parcelles culturales exploitées par un même agriculteur, défini entre des limites pérennes » (ex. routes) (Covadis, 2009).

194

Conclusion et perspectives

Ce travail de thèse a permis de proposer et de tester une méthode de construction de scénarios d’organisation de systèmes de culture, à l’échelle d’une petite région, alliant démarche participative et modélisation. Cette démarche participative se compose de différentes étapes, avec l’identification des acteurs clés, la construction collective d’une vision commune de la maladie, puis la construction, l’évaluation numérique et la discussion des scénarios construits collectivement. L’approche scénario ici définie a permis de construire, avec des acteurs locaux, des scénarios quantitatifs sous hypothèses narratives, ensuite évalués à l’aide d’un modèle préconstruit. Son application sur deux terrains d’étude a permis de déterminer, avec les porteurs d’enjeux locaux impliqués dans la gestion des pratiques agricoles, des scénarios d’organisation de systèmes de culture possibles face à de possibles futurs changements de contexte. L’analyse pluri-échelle de ces scénarios a permis d’identifier les leviers mobilisables en fonction de ces contextes et les échelles pertinentes pour la gestion du phoma du colza et des résistances.

La durabilité des résistances spécifiques, ressources finies, est un défi majeur du fait de l’adaptation des populations pathogènes. Ces ressources, permettant une utilisation moindre des pesticides du fait de leur protection de la culture, doivent, pour être durables, être utilisées avec précaution dans les paysages agricoles. Leur déploiement dans le temps et dans l’espace agricole va influer, comme montré dans cette thèse, sur l’évolution des populations pathogènes. L’adaptation des pratiques agricoles peut favoriser cette durabilité, en particulier si cette adaptation est réalisée par type variétal. Cependant, pour être efficaces, les variétés résistantes et les pratiques agricoles doivent être organisées au sein du territoire agricole. Ceci pose la question de la gestion collective d’une ressource privée (i.e. le gène de résistance) et des conditions pour sa réalisation. Si l’organisation spatiale explicite d’un territoire agricole, c’est-à-dire le choix préalable de la variété et de l’itinéraire technique qui lui est appliqué, semble difficilement réalisable, des recommandations peuvent cependant être émises pour favoriser l’utilisation durable des variétés. Selon les systèmes de culture présents, cette étude a montré que la combinaison d’une connaissance précise des pratiques à une échelle fine (500 mètres) et d’une description moins détaillée à l’échelle du territoire permettait d’informer sur la durabilité des résistances. Le choix de la culture du colza, voire de la variété et de son itinéraire technique, pourrait ainsi être réalisé par l’agriculteur en fonction des pratiques de ses voisins et de l’évaluation du risque lié aux parcelles de colza infectées dans l’environnement proche de la parcelle considérée. Ceci requiert cependant une certaine flexibilité dans l’organisation spatiale des systèmes de culture au sein de l’exploitation agricole, qui sera d’autant plus complexe si le colza est une culture centrale et que le parcellaire est morcelé (multiples voisins). Pour évaluer cette flexibilité et la possible mise en œuvre de ces leviers, y compris spatiaux, il pourrait être utile d’intégrer explicitement, via un couplage de modèles par exemple, les règles de décision des agriculteurs. Il serait également nécessaire d’évaluer la faisabilité économique de telles stratégies à l’échelle de l’exploitation agricole, mais également pour les autres porteurs d’enjeux locaux (impacts sur la collecte pour les OS en cas de diminution des surfaces par exemple).

Ce type de démarche, combinant construction participative de scénarios et approche modélisatrice, pourrait être utile pour évaluer les possibles adaptations des pratiques agricoles, en lien avec des thématiques spatiales, mais aussi au vu du changement climatique. La méthode de construction et d’évaluation des scénarios a été appliquée dans cette étude à la gestion du phoma du colza et des résistances, mais pourrait être utilisée pour la gestion d’autres thématiques impliquant des processus spatialisés. En permettant aux acteurs locaux de s’approprier les méthodes de contrôle et d’identifier

195 de possibles adaptations à des changements de contexte et de les évaluer numériquement, la méthode développée dans cette thèse pourrait ainsi permettre d’identifier des solutions localement adaptées sur des thématiques variées pour lesquelles une échelle spatiale pluri-parcellaire est requise, comme par exemple pour limiter le ruissellement érosif ou contrôler certains bioagresseurs.