• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1.   État de l’art et problématique 19

4.   Le cas d’étude utilisé dans cette démarche : le phoma du colza 48

La thématique choisie dans le cadre de cette thèse pour la construction et l’analyse de scénarios d’évolution des pratiques agricoles à une échelle spatiale supraparcellaire est le phoma du colza. Ce pathosystème est décrit dans cette partie.

4.1. La culture du colza

La culture du colza, très fréquente dans les assolements du Nord de la Loire est sujette à de nombreux bioagresseurs, alors qu’elle présente des intérêts agronomiques importants. Elle permet une couverture du sol en hiver permettant de limiter l’érosion (Marquard et Walker, 1995), une bonne valorisation de l’azote à l’automne permettant de limiter la lixiviation des nitrates vers les nappes (Dejoux et al., 2003), et présente un système racinaire engendrant un bon état structural du sol (Chan et Heenan, 1996). Elle constitue également un bon précédent au blé, via la production de biocides contre certains organismes nuisibles et la rupture des cycles des bioagresseurs (Kirkegaard et al., 1999 ; Reau et al., 2005 ; Smith et al., 1999). La culture du colza présente également des atouts face au changement climatique : du fait de ses besoins photopériodiques et vernalisants, le cycle du colza conserverait une durée non pénalisante pour le rendement si le climat se réchauffait (sous réserve de choix variétal adapté) (Brisson et Levrault, 2010).

L’évolution de la PAC et le développement des biocarburants ont contribué à une augmentation considérable des surfaces allouées au colza en France (Figure 1.9). Cette expansion des surfaces s’accompagne d’un développement important des bioagresseurs liés à cette culture (source : Cetiom). La lutte contre ces bioagresseurs repose actuellement principalement sur l’utilisation de produits phytosanitaires, qui implique un IFT33 élevé pour cette culture en France (environ 6 en 2006, source : Agreste Primeur, avril 2010). Cette culture est en effet sensible à de nombreux adventices, ravageurs (mouche du chou, charançons, méligèthes, pucerons) et maladies (sclérotinia, oïdium, cylindrosporiose) dont le phoma. Le phoma du colza est l’une des maladies les plus préjudiciables au colza, présente partout où le colza est cultivé (Hall, 1992; Fitt et al., 2006 ; West et al., 2001 ). Cette maladie peut impliquer, selon les années, de 5 à 20% de pertes de rendement de la production nationale française (Aubertot et al., 2004a).

4.2.

Description du pathosystème

L’agent pathogène Leptosphaeria maculans (anamorphe Phoma lingam) est un champignon ascomycète34 hétérothallique35 responsable du phoma des crucifères. Cette maladie présente un cycle épidémique comprenant des processus polyétiques36 (Figure 1.10). La maladie est initiée à l’automne par la production d’ascospores37, libérées par des pseudothèces38 produits par le champignon sur les résidus de colza infectés laissés au sol, sous conditions de lumière, de température et d’humidité (Gabrielson, 1983 ; Lacoste, 1963 ; Williams, 1992). Ces ascospores sont libérées lors d’épisodes pluvieux et sont dispersées par le vent (Hall, 1992 ; West et al., 2001) sur de larges distances, jusqu’à

33

IFT : l’Indice de Fréquence de Traitement est un indicateur de l’intensité de l’utilisation des produits phytosanitaires. Il représente le nombre de traitements réalisés à la dose homologuée, par parcelle et par année, et permet ainsi la comparaison inter-cultures (Champeaux, 2006).

34 Ascomycète : champignons caractérisés par des spores formées à l'intérieur d'asques.

35

Hétérothallie : cas où les gamètes des deux sexes sont produits par des gamétophytes différents, i.e. où la reproduction est sexuée.

36

Polyétique : qualifie une épidémie récurrente d’une année sur l’autre.

37

Les ascospores correspondent à l’inoculum primaire.

38

49 5-8 km (Bokor et al., 1975). La période de libération et de dispersion des ascospores s’étale de la fin de l’été jusqu’à l’automne, à la période où de jeunes plants de colza peuvent être présents dans les parcelles (West et al., 2001). Les ascospores se déposant sur les feuilles de colza vont causer des macules sur les feuilles et les cotylédons, via les stomates ou des blessures (Hammond et al., 1985). Ces macules correspondent aux infections primaires de la maladie, sous conditions d’humidité et de température (Biddulph et al., 1999). Au niveau des macules, des pycnides39 vont se former et libérer des pycnidiospores40, qui vont, à courte distance (i.e. sur la même plante et sur les plantes voisines), être dispersées par la pluie et engendrer des infections secondaires (Travadon et al., 2007). Malgré ces infections secondaires, dont l’importance dans le cycle épidémique de la maladie est mal connue (Li et al., 2006a), l’observation des gradients de maladie suggère que la maladie peut être considérée comme monocyclique. L’effet des infections secondaires dans le cycle est en effet très faible par rapport aux infections primaires, responsables de l’essentiel de la maladie (Hall, 1992 ; Hammond et Lewis, 1986 ; Salam et al., 2007).

Les macules sont donc le point de départ de l’infection. Pendant l’hiver et le printemps suivant l’infection primaire, le champignon, sous forme de mycélium, va croître dans la tige de manière systémique jusqu’au collet. Au niveau du collet, le champignon va envahir et détruire les cellules du cortex de la tige, provoquant le deuxième symptôme de la maladie : la nécrose du collet. Celle-ci apparaît tardivement et n’est pas nécessairement visible avant la récolte, sauf dans les cas les plus préjudiciables pour le rendement où la nécrose peut provoquer la verse du colza. La nécrose va par ailleurs altérer les nutritions hydrique et minérale du colza, impliquant des pertes de rendement (McGee et Emmett, 1977). La sévérité de la maladie à l’échelle du champ est caractérisée par un indice de sévérité de la maladie (DI) : la note G2. Cet indice intègre le nombre de plantes présentant différentes notes de sévérité de la nécrose et caractérise la maladie à l’échelle de la parcelle (Pierre et Regnault, 1982 ; Aubertot et al., 2004c):

!2 = [! !!! !!]!! ! !!! !! ! !!!

avec ni le nombre de plantes notées affectées à la classe de nécrose i 41

. Équation 1.1. Calcul de la note G2.

Après la récolte, pendant l’interculture, le champignon va survivre sous forme de mycélium sur les résidus infectés de la saison précédente. La quantité d’inoculum primaire, les ascospores, est donc directement en lien avec la sévérité de la maladie lors de la saison culturale précédente (Lô-Pelzer et al., 2009).

4.3.

Leviers pour la gestion

L’utilisation de variétés résistantes (Figure 1.10) est la principale méthode de lutte efficace contre le phoma du colza (Delourme et al., 2006). Ces variétés peuvent porter des résistances spécifique et/ou quantitative. L’utilisation intensive de la méthode de lutte génétique peut compromettre le contrôle durable de la maladie. Les résistances spécifiques peuvent être rapidement contournées (Rouxel et al., 2003 ; Figure 1.11) si la population pathogène s’y adapte. Ce contournement dépend des caractéristiques de la population pathogène et du fond génétique des variétés (i.e. présence et type de résistance quantitative). La gestion de la population pathogène (taille et structure) est donc cruciale pour contrôler le phoma du colza. De plus, les facteurs de résistance au phoma présents dans les variétés cultivées sont peu nombreux, en lien avec le temps et les efforts considérables nécessaires à la

39

Les pycnides sont les fructifications asexuées contenant les pycnidiospores.

40

Les pycnidiospores correspondent à l’inoculum secondaire.

41

Les classes de nécrose, au nombre de six, sont définies en fonction de la proportion de la surface de la section transversale du collet nécrosée de la plante considérée.

50 création d’une nouvelle variété (Pink et Puddephat, 1999). Concernant la résistance spécifique, seul un gène de résistance commercialisé (Rml7) reste à l'heure actuelle non contourné par le parasite (du fait a priori du fond de résistance quantitative des variétés dans lesquelles ce gène a été introduit). Après une l’introduction des variétés Rlm7 en 2004 et leur culture sur 20-25% des surfaces en région Centre, la population pathogène locale a évolué, avec un pourcentage d’individus virulents avrlm7 estimé en 2011 entre 9 et 17% de la population totale de Leptosphaeria maculans (échantillonnage sur plusieurs communes du Cher et de l’Indre, Pinochet et al., 2012). Il est donc nécessaire de chercher des solutions pour préserver dans le temps et dans l’espace l’efficacité des gènes de résistance au phoma du colza.

Figure 1.11. Évolution temporelle des fréquences des pathotypes avirulents (Avrlm42) et virulents (avrlm) sur le gène de résistance spécifique Rlm1 et des surfaces cultivées avec des variétés porteuses de ce gène (source : Rouxel et al., 2003)

D’autres leviers sont également disponibles : le levier agronomique et le levier chimique (Figure 1.10). Les principales pratiques culturales permettant de favoriser la durabilité des résistances au phoma du colza, en agissant sur le cycle de l’agent pathogène, sont :

- le labour : en enfouissant les résidus par le travail du sol, leur quantité en surface sera diminuée (Scheider et al., 2006) et leur décomposition sera accélérée (Turkington et al., 2000). Le labour après récolte du colza permet donc de limiter la quantité d’inoculum primaire.

- la date de semis : elle conditionne le stade phénologique de la culture à la période de libération des spores de Leptosphaeria maculans à partir des résidus (Aubertot et al., 2004a). Son choix permet de limiter la synchronisation du stade sensible de la culture avec celle de l’arrivée des spores, le colza étant particulièrement sensible avant le stade 6 feuilles (Brunin et Lacoste, 1970).

- la densité de semis et la gestion de l’azote automnal : elles ont un effet sur la surface foliaire disponible lors de l’arrivée des spores sur le colza (Aubertot et al., 2004a). Une surface foliaire moindre permet de limiter les spores interceptées au moment des pics d’émission des spores.

Concernant la lutte chimique, le choix du moment et de la dose à appliquer est critique et délicat à évaluer (Steed et al., 2007 ; West et al., 2002). La faible rémanence des matières actives (Gladders et al., 2006) et la longue durée de la période de risque limite l'efficacité des fongicides.

42

Avrlm et avrlm correspondent à la notation de la virulence sur un gène de résistance spécifique du pathogène

Leptosphaeria maculans, expliquant le « lm » ajouté après l’ « avr » présenté dans la Figure 1.1. 0% 20% 40% 60% 80% 100%

Virulents

Avirulents

0% 20% 40% 60% 80% 100%

Fréquence des

pathotypes

Surfaces

cultivées avec

des variétés

possédant le

gène de

résistance

année

51 Pour limiter les risques d’infection à l’échelle parcellaire (i.e. due aux résidus encore présents dans le champ), un délai de retour du colza de 4 ans minimum est recommandé (West et al., 2001). À l’échelle supra-parcellaire, un éloignement de minimum 500 mètres est recommandé entre une parcelle ayant des résidus infectés à sa surface et une parcelle cultivée avec du colza l’année culturale suivante (Marcroft et al., 2004). Les agents pathogènes du phoma du colza étant dispersés par le vent, la localisation des parcelles émettrices et réceptrices est un levier pour le contrôle de la maladie. En particulier, la localisation des variétés sensibles va caractériser les habitats possibles pour le pathogène. Cet habitat sera atteint en fonction de la distance à parcourir et de l’intensité et de la direction du vent.

Conclusion partielle

Le cycle de l’agent pathogène responsable du phoma du colza et son mode de dispersion (dispersion longue distance, survie à l’intersaison du champignon) requièrent de considérer une échelle spatiale supraparcellaire et une échelle temporelle supra-annuelle pour sa gestion.

Le choix et la localisation spatiale des différentes variétés (habitats pour les différents types de spores) et des pratiques jouent un rôle important sur la taille et la structure génétique des populations pathogènes : ces facteurs apparaissent donc comme un levier important pour gérer le phoma du colza et la durabilité des résistances variétales.

Les facteurs qui ont une forte influence sur la maladie dépendent du contexte agricole local et sont déterminés par les acteurs choisissant ou influençant les choix des systèmes de culture, en particulier de la fréquence du colza dans le territoire, des choix variétaux et des itinéraires techniques appliqués au colza. Le choix variétal reste le premier moyen de gestion de la maladie. Cependant les résistances sont parfois peu durables et leur nombre est limité. La gestion des variétés, par une utilisation collective de la ressource génétique, requiert de modifier les itinéraires techniques, ainsi que certains éléments de fonctionnement des filières (Butault et al., 2010). Des stratégies collectives impliquant des changements techniques à plusieurs échelles spatiales et temporelles pourraient être à même de prolonger la durée d’efficacité des résistances et ainsi de limiter les pertes de rendement liées au phoma du colza.

Ce pathosystème est donc un cas d’étude pertinent pour étudier la durabilité des résistances par le déploiement spatio-temporel des variétés et des pratiques, défini par les acteurs locaux.

52