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La nécessaire prise en compte des inégalités environnementales actuelles et futures

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La nécessaire prise en compte des inégalités

territoires modestes de la région marseillaise ou les grandes agglomérations industrielles du Nord-Pas-de-Calais en concentrent l’essentiel, ainsi que les DOMTOM.

Les inégalités environnementales sont des inégalités d’exposition aux nuisances et aux risques. Elles sont aussi liées à l’héritage et au marquage des territoires urbains, et concernent également des inégalités d’accès aux avantages procurés par la ville et au cadre de vie.

Elles sont aussi révélées par la capacité d’agir ou non sur l’environnement et d’interpeler la puissance publique. Pourtant, la négation des particularismes locaux a longtemps prévalue, l’environnement étant considéré comme une valeur universelle191 engendrant une conception très normée et objectivée de cette thématique, à l’instar de nombreuses politiques publiques considérant l’environnement comme une caractéristique dérivée et secondaire de la construction des territoires urbains. Par exemple, dans la politique de la ville, l’ONZUS a démontré la situation très pénalisée des ZUS en termes de nuisances, pollutions et risques environnementaux192. « Poser la question de la justice environnementale a donc un sens fort souvent masqué derrière des constructions collectives à caractère technique, social ou politiques larges (politique de la ville) qui intègrent par principe l’égalité »193.

Les individus se sont emparés des questions d’environnement par leurs choix résidentiels, leurs déplacements, leurs comportements alimentaires, leur attitude en matière énergétique. Elles sont devenues sujet d’implication sociale et de mobilisation associative.

Ce questionnement porte sur les capacités propres des individus et des groupes mais aussi des pouvoirs locaux à se protéger de certains risques, pollutions ou nuisances autant que d’accéder à des ressources environnementales. L’accès à un cadre de vie de qualité est au cœur de la problématique.

L’intervention de la puissance publique est alors déterminante (urbanisme, transport, habitat etc.) pour accompagner cette implication citoyenne en prenant soin d’en éviter les effets pervers : l’implantation d’un tramway pour répondre à la demande de transport propre en ville risque une requalification des lieux qui va renchérir le coût du foncier et repousser les plus pauvres hors du cœur des villes.

C’est pourquoi le rapport Laurent propose une batterie d’outils à l’adresse des pouvoirs publics pour instaurer un système d’observation et de mobilisation des acteurs et des outils opérationnels telle que l’intégration des questions d’équité environnementale aux études d’impact des plans, programmes, projets etc. sur l’environnement pour mettre en évidence les effets redistributrifs des décisions politiques en la matière. La place des inégalités géographiques environnementales doit être croissante dans les politiques publiques, ce qui suppose une évaluation des risques sanitaires des sites industriels, des « études de zone » plus poussées effectuées par les régions (pour déterminer les risques parfois cumulés des personnes exposées à des polluants), l’identification de points noirs environnementaux, l’utilisation de bases de données spatialisées dont les techniques de traitement et de méthodes doivent être développées avec la construction d’indicateurs de risques pertinents

191 J. Theys : « Pourquoi les préoccupations sociales et environnementales s’ignorent mutuellement » essai d’interprétation à partir du thème des inégalités écologiques in : P. Cornut, T. Bauler et E. Zacaï Environnement et inégalités sociales cité dans le rapport d’Eloi Laurent par Guillaume Faburel.

192 Selon l’auteur, 38 % des ménages résidant en ZUS se déclarent exposés aux nuisances sonores, contre 20 % des résidants en zones pavillonnaires ; 36 % ont une bonne opinion de la présence et de la qualité des espaces verts, contre près de 60 % hors ZUS.

193 L. Charles, C. Emelianoff, C. Ghorra-Govin, I. Roussel, F.X. Roussel et H.J. Scarwell in « Les multiples facettes des inégalités écologiques » 2007 in le rapport : Vers l’égalité des territoires, dynamiques, mesures, politiques, conduit par Eloi Laurent, 2013.

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et une analyse des relations entre exposition, défaveur sociale et évènements sanitaires. On mesure la difficulté de l’exercice au vu du débat d’actualité sur l’utilisation du diesel (70 % du parc automobile en France).

Pour sa part, l’avis du CESE sur le bilan du Grenelle de l’environnement194 observe que de nombreuses collectivités, en particulier les régions, n’ont pas attendu le Grenelle pour agir en matière d’organisation des transports, d’urbanisme, de gestion des ressources naturelles et des déchets, de prévention des risques etc. certaines régions ont mis en place un comité de suivi du Grenelle coprésidé par le préfet et le président du conseil régional. Le CESE, outre la recommandation d’une composition élargie de ce comité aux 5 collèges, préconise de mieux organiser les multiples instances consultatives et de les faire évoluer de telle sorte que la voix de la société civile puisse être mieux entendue, notamment via les CESER.

Les défis territoriaux face aux inégalités environnementales futures : changements climatiques, maîtrise de l’énergie et protection de la biodiversité

ٰLes défis du changement climatique :

Les changements climatiques, dont on sait aujourd’hui qu’ils se produiront, même si leur degré d’amplitude fait l’objet de divers scénarios195, n’affecteront pas l’ensemble du territoire de la même manière et auront des répercussions différentes sur les territoires selon leur situation géographique, leur capacité d’adaptation naturelle et humaine et leur niveau de développement économique196.

Quelques indicateurs suivis par l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) témoignent d’ores et déjà de changements sur les 50 dernières années : dates plus précoces du début des vendanges dans les Côtes-du-Rhône, fonte des glaciers des Alpes et Pyrénées, diminution des besoins de chauffage. Depuis 40 ans, les températures enregistrées entre octobre et mai montrent une tendance au réchauffement hivernal, moins prononcé pour les régions d’altitude et certaines villes comme Poitiers, Alençon, Reims, Dijon et Belfort197, davantage dans le Sud (Ajaccio, Montpellier, Mende, Albi, Nice) et la façade atlantique (Bordeaux, Cognac, Agen, La Rochelle) mais aussi à Lille, Saint-Etienne, Lyon, le Mans. La montée des eaux et l’érosion toucheraient le littoral des Flandres mais aussi des zones basses partiellement submersibles comme la plaine picarde, l’estuaire de la Seine, les marais atlantiques, la Camargue et le Languedoc-Roussillon. Pour cette seule région, seraient menacés 80 000 personnes, 14 000 logements et 10 000 établissements du fait de l’élévation du niveau de la mer d’un mètre198 ; en l’absence de politiques de prévention, 15 et 35 Md€ seraient nécessaires pour couvrir les dommages.

Le changement climatique peut avoir des conséquences sur la santé des populations (multiplication des épisodes de canicule), provoquer un accroissement des catastrophes

194 Avis du CESE, Le bilan du Grenelle de l’environnement, pour un nouvel élan rapporté par Pierrette Crosemarie, 2012.

195 Pour la France, l’élévation de température serait comprise entre 2 et 5° à l’horizon 2100, rapport 2011 de l’Observatoire des territoires.

196 Les défis territoriaux des changements climatiques, de la préservation de la biodiversité et de la maîtrise de l’énergie, rapport 2011 de l’Observatoire des territoires.

197 Relevés des 80 stations météorologiques départementales sur une quarantaine d’années.

198 Chiffres mentionnés dans le guide d’accompagnement des territoires pour l’analyse de leur vulnérabilité socio-économique au changement climatique. CGDD Etudes et documents n.37, février 2011.

naturelles que ce soient des crues de rivières, de fleuves ou de rivages en cas de tempêtes, mouvements de terrain, feux de forêts. Il peut aussi avoir des conséquences sur la raréfaction de la ressource en eau, notamment dans les régions les plus méridionales, dégrader les écosystèmes et certaines productions agricoles, mettre en péril le tourisme (fonte ou absence de neige, chaleur estivale trop intense). Bien sur, les territoires ne sont pas tous également concernés par ces risques, ce qui peut renforcer les inégalités entre eux.

Des études portant sur certains territoires ont été publiées pour approcher au plus près les risques spécifiques et les possibles réponses pour préparer et adapter ces territoires199.

La problématique de la vulnérabilité des territoires aux changements climatiques est relativement nouvelle en France. C’est à l’occasion du Grenelle de l’Environnement qu’a été reconnue la nécessité d’une action publique d’adaptation à ces changements. Un plan national a été lancé en 2011, suivi de stratégies d’adaptation régionales élaborées dans le cadre de Schémas régionaux Climat Air Energie (SRCAE). Fin 2012, ce sera aux collectivités infrarégionales d’élaborer et de publier des plans d’action. Plusieurs organismes publics (DATAR, ADEM, CGDD, CDC etc.) ont entrepris d’élaborer et de diffuser des guides méthodologiques à l’attention des territoires pour les aider à dresser leur propre diagnostic de vulnérabilité.

Les territoires sont en effet en première ligne pour élaborer des stratégies efficaces de protection : déjà les plans de zonage, la construction de digues etc. peuvent atténuer les impacts des inondations. Il est en revanche difficile de défendre l’ensemble du littoral contre la submersion marine et le choix des zones peut être difficile. De plus, si ces politiques préventives peuvent avoir des effets protecteurs, elles ne pourront probablement pas parer l’ensemble des risques pouvant affecter un territoire : des impacts résiduels sont donc à prévoir, qui pèseront probablement sur les territoires. En outre, adapter certaines activités menacées (comme celles liées aux sports d’hiver) peut être techniquement compliqué, voire impossible (d’où la probable migration de certaines activités agricoles) et potentiellement source de grande fragilisation pour certains territoires qui tirent principalement leur richesse d’activité dont la pérennité peut être remise en question. La gestion des transitions sera essentielle dans la capacité de ces territoires à rebondir. L’anticipation des changements futurs sera aussi déterminante, si difficile soit-il d’anticiper un risque futur. Comme le font observer les auteurs de la contribution au rapport Eloi Laurent sur le défi climatique200, « la difficulté est moins dans la définition des politiques environnementales que dans la mise en place des outils d’accompagnement ».

C’est pourquoi il est important de territorialiser les objectifs et les politiques du Grenelle de l’environnement. Il importe de les lier aux questions environnementales, aux questions économiques de développement local, ainsi qu’aux questions sociales pour traiter des inégalités : en effet, les catégories les plus pauvres seront probablement incapables d’investir pour s’adapter aux changements.

199 Exemple : changement climatique et développement des territoires de montagne, quelles connaissances pour quelles pistes d’action ? in Revue de géographie alpine dossier 98-10, 2010.

200 Les territoires français face au défi climatique, atténuation et adaptation de Vincent Viguié et Stéphane Hallegatte in le rapport : Vers l’égalité des territoires, dynamiques, mesures, politiques, conduit par Eloi Laurent, 2013.

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ٰLa maîtrise des émissions de Gaz à effet de serre (GES) et la transition énergétique Concernant les émissions de GES, les transports demeurent la principale activité émettrice et la baisse de la consommation par voiture est rattrapée par la croissance de la circulation entre 1990 et 2008. Les flux vers les pôles urbains, vers lesquels convergent les habitants du périurbain, occasionnent 45 % des émissions de CO2 liées aux navettes quotidiennes : les déplacements domicile-travail et domicile-étude représentent le quart des déplacements quotidiens, pour une distance moyenne de 14 kilomètres et une émission de 17,5 millions de tonnes de CO2, la voiture en produisant 90 % alors que seuls 2/3 des actifs et des étudiants l’utilisent. Les pôles urbains couvrent seulement 8 % du territoire mais hébergent 60 % des actifs et rassemblent 80 % des emplois. 86 % des actifs urbains résident et travaillent dans le même pôle. Plus de la moitié des déplacements domicile-travail s’effectuent donc au sein de ces pôles et n’occasionnent que 25 % des émissions de CO2 en raison de la faiblesse des distances parcourues et de l’utilisation des transports en commun.

C’est pourquoi, comme le soulignait l’avis du CESE sur le SNIT201, il est important de construire un développement cohérent des transports aux diverses échelles territoriales et de développer les transports collectifs en améliorant la coordination entre autorités organisatrices.

Restreindre les émissions de GES est souvent perçu comme un coût direct pour les territoires, mais ils peuvent aussi en tirer certains bénéfices en entraînant notamment la création d’« emplois verts » mais aussi en recueillant des effets positifs comme la baisse de la pollution de l’air, l’amélioration de la qualité de vie, le développement sur certains territoires de productions agricoles nouvelles, l’attractivité des territoires par le développement de transports collectifs « doux » plus nombreux.

Toutefois, la réduction des GES et la transition énergétique peuvent être facteur d’inégalités ou de renforcement des inégalités territoriales, notamment lorsqu’elles impactent des territoires fortement dépendants d’un type d’activité, comme c’est le cas pour les villes du Havre (produits pétroliers) ou de Dunkerque (raffinage, production d’acier et d’aluminium) par le renchérissement des coûts de production lié à l’augmentation du prix de l’énergie.

Dans son avis sur La transition énergétique202, le CESE rappelle l’importance du rôle des territoires dans la transition énergétique, soulignant la nécessité de mesurer leur émission de GES mais aussi leurs ressources potentielles par la mise en place des plans climat énergie territoriaux (PCET) qui constituent des outils intéressants de maîtrise de la demande d’énergie (sobriété, efficacité énergétiques) au plus près des territoires. Le CESE estime dans cet avis que la cohérence d’ensemble des actions des territoires devrait s’effectuer au niveau régional. Il préconise de renforcer la proximité des lieux de production et de consommation d’énergie et considère que les projets à base d’énergies renouvelables reposant sur une large adhésion des acteurs locaux peuvent constituer de vrais outils de revitalisation des territoires, notamment en zones rurales.

201 Le Projet de schéma national des infrastructures de transport (SNIT) rapporté par Sébastien Genest et Pierre-Jean Rozet (2012).

202 La transition énergétique 2020-2050, un avenir à bâtir, une voie à tracer, avis du CESE rapporté par Catherine Tissot-Colle et Jean Jouzel, (2013).

ٰProtection de la biodiversité

La France est l’un des pays d’Europe bénéficiant de la plus grande biodiversité. Elle se situe au 8ème rang mondial des pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces animales et végétales menacées203. Des espèces considérées comme banales, comme les moineaux ou les mésanges204, sont autant touchées que des espèces plus rares situées dans les DOM ou dans le pourtour méditerranéen (les deux points les plus sensibles du territoire). En métropole, sur 696 espèces évaluées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 13 sont classées comme éteintes et 140 sont menacées de disparition, soit 20 %... Le mitage provoqué par l’artificialisation progressive des sols affecte les écosystèmes et la fragmentation des espaces naturels, réduit les mouvements comme les migrations et diminue la taille des populations, risquant de conduire à un appauvrissement des patrimoines génétiques.

Comme l’affirme l’avis du CESE de 2011 sur la biodiversité205, l’échelle des territoires est pertinente pour concevoir et mettre en place des projets de développement incluant la problématique de la biodiversité dans l’ensemble des activités humaines. La convergence des actions des collectivités avec les objectifs définis par la stratégie nationale pour la biodiversité passe par une articulation et une complémentarité des compétences entre les différents niveaux de collectivité.