• Aucun résultat trouvé

Disparités territoriales en matière de foncier et de mal-logement

Une pression sur le foncier et une hausse des prix du logement variables selon les territoires

Le prix du foncier et des terrains à bâtir est dans une certaine mesure un reflet de l’attractivité d’un territoire, à tout le moins du prix que particuliers et acteurs économiques sont prêts à payer et/ou peuvent débourser pour y résider ou y exercer leur activité. Selon une exploitation de l’enquête sur le prix des terrains à bâtir (EPTB), trois principaux facteurs déterminent le prix du m² de terrain dans les aires urbaines en France métropolitaine en 2008 : « un terrain est d’autant plus cher qu’il se situe dans une aire urbaine densément peuplée et/ou en forte croissance démographique ; au sein d’une aire urbaine donnée, un terrain à proximité du centre de l’aire urbaine est plus onéreux qu’un terrain plus éloigné ; enfin, les caractéristiques propres des terrains comptent également : par exemple, les terrains viabilisés au moment de l’achat, avec un ratio façade/surface plus élevé, se vendent plus cher »167.

Selon le Centre d’Analyse Stratégique, en moyenne, « au cours des trente dernières années, le prix réel (c’est-à-dire corrigé de la hausse du niveau général des prix) des logements

166 Avis Entreprendre autrement : l’économie sociale et solidaire, rapporteurs Patrick Lenancker et Jean-Marc Roirant (2013).

167 « Le prix des terrains en France : la localisation, encore la localisation, toujours la localisation », de Pierre-Philippe Combes, Gilles Duranton et Laurent Gobillon, Observations et statistiques n°74 du CGEDD (2011).

126  RAPPORT DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

anciens a été multiplié par deux, tandis que les loyers réels progressaient de 30 % »168. L’ampleur des évolutions de prix varie toutefois beaucoup selon les territoires : entre 1998 et 2008, l’augmentation des prix des appartements anciens à l’achat est de + 185 % à Paris, contre + 156 % en petite couronne et + 142 % en grande couronne. De même, entre 2000 et 2010, les loyers se sont en moyenne accrus davantage dans l’agglomération parisienne (+32 %) qu’en province, y compris dans les grandes agglomérations (+ 29 % dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, + 25 % dans les petites et moyennes agglomérations)169.

Des besoins en logements importants mais variables selon les territoires

Depuis plusieurs décennies, l’augmentation du nombre de logements a été en France plus rapide que celle de la population : « entre 1984 et 2008, le nombre de logements a crû de 30 %, passant de 25,5 millions à un peu plus de 32 millions, tandis que la population n’a progressé que de 13 % »170.

Mais, du fait de la baisse du nombre moyen de personnes par ménage, le nombre de ménages s’est accru de + 1,24 % par an en moyenne entre 1975 et 2005, soit deux fois et demi plus vite que l’augmentation de la population171.

Une augmentation du parc de logements est donc nécessaire : dans l’avis Évaluation relative à la mise en œuvre du droit au logement opposable, le CESE considérait déjà que « compte tenu de la situation actuelle du logement, le maintien d’un rythme annuel de construction de 400 000 logements est indispensable, et l’objectif de 500 000 doit être recherché »172, objectif actuellement loin d’être atteint.

L’ampleur des besoins varie fortement selon les régions. Ainsi, des analyses territoriales approfondies sont indispensables, comme le notait le rapport relatif au Logement autonome des jeunes, pour ajuster de manière fine les politiques territoriales de l’habitat et les types de logements dont la construction est nécessaire.

Des difficultés d’accès au logement très inégales selon les territoires

Si des difficultés d’accès au logement existent dans beaucoup d’endroits, le degré de ces difficultés diffère considérablement selon les territoires, comme en témoigne l’ampleur des disparités des coûts du logement : « le prix des appartements anciens est 3,4 fois plus élevé en Île-de-France (4540€/m²) que dans le Limousin (1340 €/m²) »173 ; de même, le niveau des loyers au m² est plus de deux fois plus élevé à Paris qu’en province, « le loyer mensuel pratiqué au m² pour l’ensemble du parc locatif privé (étant) de 20,8€/m² à Paris, de 15,7 €/m² en proche banlieue et de 9,1€/m² en province » 174. Se loger dans certaines métropoles devient de

168 « L’évolution des prix du logement en France sur 25 ans », de Mahdi Ben Jelloul, Catherine Collombet, Pierre-Yves Cusset, Clément Schaff, Note d’analyse n° 221 (2011).

169 « Prix des logements anciens et loyers entre 2000 et 2010 », op. cit.

170 Centre d’analyse stratégique «L’évolution des prix du logement en France sur 25 ans», Note d’analyse n° 221, (avril 2011).

171 « Des ménages toujours plus petits », Alain Jacquot, INSEE Premières n°1106, octobre 2006.

172 Avis Évaluation relative à la mise en œuvre du droit au logement opposable, rapporté par Henri Feltz et Frédéric Pascal (septembre 2010), p.12.

173 Note Famille et logement, adoptée par le Haut Conseil de la Famille le 10 mai 2012, p. 56.

174 Ministère de l’Égalité des territoires et du logement L’évolution des loyers du parc locatif privé en 2011, les principaux résultats, Note du 13 juin 2012, p. 2.

ce fait difficilement accessible pour une partie importante de la population, sauf à trouver une place dans le logement social où les files d’attentes sont souvent très longues en zones tendues.

Comme le notait l’avis sur Le logement autonome des jeunes, des disparités importantes dans l’offre de logements vacants existent en milieu rural. La pression foncière et immobilière peut en effet être très élevée dans certains territoires ruraux, notamment dans ceux concernés par la périurbanisation, mais aussi sur le littoral et dans les zones de montagne attractives sur le plan touristique ; à l’inverse, dans des zones où la population tend à se réduire et à l’attractivité touristique faible, les logements vacants sont souvent nombreux. Se pose par ailleurs, notamment dans ces territoires ruraux en « déprise », la question de l’habitabilité des logements, une part importante du parc immobilier y étant ancienne, avec parfois nombre de bâtiments en mauvais état, voire laissés à l’abandon.

Les territoires ultra-marins comptent globalement, d’après les chiffres du ministère de l’Outre-mer et de l’INSEE, de l’ordre de 785 000 résidences principales, dont environ 146 700 logements sociaux (soit 18,7 %). Du fait d’un nombre de logements rapportés à la population le plus souvent assez faible, le taux de sur-occupation des logements atteint en moyenne près du double de ce qu’il est en métropole. Tous connaissent donc d’importants besoins en logements et en logements sociaux. S’y ajoute un problème marqué d’insalubrité. Selon le rapport sur L’habitat insalubre et indigne dans les départements et régions d’Outre-mer : un défi à relever, rapporté par Serge Letchimy « l’habitat insalubre dans les quatre DOM concerne quelque 50 000 logements insalubres abritant plus de 150 000 personnes »175.

Le Rapport 2013 sur L’état du mal logement en France de la Fondation Abbé Pierre souligne la gravité de ces disparités territoriales et la diversité du mal logement selon les endroits, et notamment dans les grandes métropoles et les anciens territoires industriels, même si les problèmes de mal logement d’autres types de territoires (zones touristiques attractives, zones frontalières et zones rurales en déprise) sont aussi évoquées.

Dans les métropoles, les grandes villes et en général les territoires attractifs en termes d’emplois qualifiés, les difficultés d’accès au logement se traduisent selon ce rapport par « une pression forte sur le logement social et des délais d’attente toujours plus longs; une augmentation des personnes sans domicile propre (sans-abris, personnes hébergées en institution ou chez des tiers, phénomènes de squat...) et la saturation des dispositifs d’hébergements et de logements temporaires (malgré la progression des capacités d’accueil) ; une partie du parc locatif privé de faible qualité voire indigne qui fait office de parc social «de fait» ».

Si l’accès au logement est moins difficile dans les secteurs aux marchés immobiliers détendus de certaines villes et territoires autrefois industriels, les situations de mal logement y sont favorisées par la pauvreté relative ou la précarisation d’une partie de la population :

« le patrimoine immobilier, construit historiquement pour accueillir une main d’œuvre souvent peu qualifiée, se « spécialise » aujourd’hui dans l’accueil des populations précaires ou très modestes. C’est le cas dans les territoires anciennement industriels du nord et de l’est de la France, où l’existence d’un parc social important mais en partie déprécié (notamment dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais) se conjugue avec l’existence d’un parc locatif privé 175 Rapport sur L’habitat insalubre et indigne dans les départements et régions d’Outre-mer : un défi à relever, rapporté

par Serge Letchimy, Assemblée nationale (2009), p. 1.

128  RAPPORT DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

de mauvaise qualité. (...) En Seine-Saint Denis, c’est à l’échelle d’un département que se retrouve l’ensemble de ces problématiques »176.

L’avis du CESE Bilan et perspectives du programme national de renouvellement urbain (action de l’ANRU)177, note les difficultés rencontrées en France métropolitaine par plusieurs centaines de quartiers concernés par divers types de mesures relevant de la politique de la Ville. Ces quartiers en difficulté sont en général situés dans les grandes agglomérations, mais il en existe aussi dans certaines villes moyennes. Leur caractère de territoires défavorisés est marqué par une série de critères parmi lesquels : faible niveau de formation des adultes et échec scolaire fréquent chez les jeunes, chômage important, insertion professionnelle difficile des jeunes et forte proportion d’emplois précaires, part de personnes d’origine étrangère parmi les habitants supérieure à la moyenne nationale, habitat composé surtout d’immeubles collectifs et de HLM, présence souvent réduite des équipements commerciaux et des services publics, si l’on excepte les écoles maternelles et primaires.

Pour remédier aux problèmes d’urbanisme et de logements très lourds que connaissent une grande partie de ces quartiers, la loi du 1er août 2003 a créé l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Elle a engagé le Programme national de rénovation urbaine (PNRU) pour transformer certains des quartiers les plus fragiles principalement par des efforts sur le bâti, ainsi que par des améliorations portant sur les équipements publics, sur les aménagements urbains et sur les espaces d’activité économique et commerciale. Le PNRU devrait mobiliser au total 40 Md€, financés au deux tiers par les bailleurs sociaux et par les collectivités locales.

La situation de l’Outre mer à l’égard de la politique de rénovation urbaine et de la politique de la ville présente certaines particularités. Ainsi, seuls les Départements et régions d’Outre-mer (DROM) sont éligibles à la politique de la ville. Le PNRU dans les DOM a démarré en 2007-2008, bien plus tard qu’en métropole. Dans un premier temps, les DOM étaient d’ailleurs exclus de ce programme national du fait de l’existence de la Ligne budgétaire unique (LBU). C’est en effet par la LBU, votée tous les ans par le Parlement, que s’opère le financement du logement dans les DROM et Saint-Pierre-et-Miquelon, dont la compétence relève du ministère de l’Outre-mer. Les dotations LBU sont allouées au locatif social, à la rénovation et à la résorption de l’habitat insalubre. Finalement déclarés éligibles au PNRU, les DOM ont conservé des spécificités : ainsi, les reconstructions et réhabilitations relèvent de la LBU et non de l’ANRU, comme c’est le cas en métropole, mais l’ANRU prend en charge démolitions, « résidentialisations », ainsi que les coûts d’aménagement, d’équipement, d’ingénierie.

Dans son avis Bilan et perspectives du Programme national de renouvellement urbain, action de l’ANRU, le CESE constate que la mise en œuvre du PNRU et la création de l’ANRU ont permis une accélération et une montée en puissance de la réhabilitation des quartiers dégradés. Les opérations de rénovation du bâti sont souvent spectaculaires et la plupart des acteurs concernés souhaite la poursuite du PNRU I pour les progrès de l’habitat qu’il permet.

Il souhaite la mise en place d’un second plan (PNRU II) d’ampleur comparable. L’avis n’en pointe pas moins un certain nombre de limites du PNRU : ainsi, notamment, un tiers environ des objectifs quantitatifs fixés ne serait pas atteint in fine, le bilan quant à la mixité sociale et

176 Fondation Abbé Pierre Rapport 2013 sur L’état du mal logement en France , p. 190 à 200.

177 Ce point se fonde sur le rapport et l’avis du CESE Bilan et perspectives du programme national de renouvellement urbain (action de l’ANRU) rapporté par Marie-Noëlle Lienemann (2011) dont il reprend de nombreux éléments et extraits.

aux actions d’insertion des habitants est nuancé, l’association des populations aux projets, la coordination avec la politique de la ville et les actions pour désenclaver les quartiers restent en général insuffisantes. Par ailleurs, le retrait de l’État du financement fragilise ANRU et PNRU.

Dans son avis sur Le logement autonome des jeunes, le CESE formule notamment des propositions pour augmenter l’offre de logement disponible pour tous dans les territoires en tension dans une perspective durable :

– Prévoir un chef de file territorial pour coordonner les actions en privilégiant l’échelon intercommunal mais en tenant compte de l’implication antérieure des collectivités (ex : région Île-de-France) ;

– Évaluer et encadrer davantage les dispositifs de défiscalisation immobilière en ciblant les zones les plus tendues ;

– Rénover et mobiliser l’existant notamment via l’intermédiation locative et la hausse des taxes sur les logements et bureaux vacants ;

– Utiliser la politique de rénovation urbaine pour densifier l’habitat ;

– Accompagner la réforme de la loi SRU par une réflexion sur le décompte des logements sociaux (un logement financé en PLS comptant désormais comme un demi logement social) ;

– Construire plus de logements HLM en zones tendues par une action volontariste sur le coût du foncier, y renforcer la part des T1 et T2 à loyers accessibles, développer l’offre de colocations et de meublés et créer un cadre juridique y permettant un hébergement quasi hôtelier ;

– Donner un cadre juridique clair à la colocation et indexer les aides au logement sur les autres types de location partagée ;

– Poursuivre l’effort pour créer une offre locative diversifiée et accessible Outre-mer, en privilégiant le renforcement de la LBU ;

– Accroître le nombre de places des dispositifs d’hébergement d’urgence et en adapter une partie à l’accueil des jeunes en privilégiant une approche globale.

Des préconisations sont par ailleurs formulées pour maitriser le coût du logement et améliorer sa solvabilisation. Dans l’ensemble des mesures préconisées à cet égard par le CESE, on notera en particulier celle faisant appel au volontarisme des acteurs locaux pour augmenter l’offre, maîtriser le coût du foncier et limiter l’artificialisation des sols, ainsi que celle visant à améliorer l’efficacité des aides au logement en faisant mieux coïncider leurs montants avec ceux des loyers sur les territoires et en supprimant le délai de carence et l’évaluation forfaitaire.

Le CESE est convaincu que l’amélioration de la situation des quartiers de la politique de la Ville est l’une des priorités collectives que devrait se donner notre pays. L’avis Bilan et perspectives du programme national de renouvellement urbain : action de l’ANRU fait des propositions pour remédier aux insuffisances du PNRU I, dont près de la moitié reste à exécuter, et des préconisations pour un PNRU II. Celles-ci tendent notamment à combler le manque de logements, en portant les dépenses publiques de logement au dessus de 2 % du PIB et en orientant les aides de l’Etat vers des logements sociaux ou abordables, à mieux répartir les logements sociaux pour favoriser mixité sociale et diversification, ainsi qu’à répondre à l’urgence des copropriétés dégradées. Des préconisations tendent à renforcer les volets désenclavement, équipements, insertion et gestion urbaine de proximité du

130  RAPPORT DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

PNRU, ainsi qu’à assurer dans la durée son financement en revenant au respect par l’Etat de ses engagements. Le CESE formule par ailleurs des propositions visant à prendre en compte dans le PNRU I le Grenelle de l’environnement, le lien avec la politique de la ville et la participation des habitants, ainsi qu’à lancer rapidement un PNRU II pour éviter le stop and go.