• Aucun résultat trouvé

1.7.2 Une nébuleuse entretenue

Dans le document To manage and militate. (Page 61-63)

PARTIE I : ENTREPRENDRE AUTREMENT ?

Chapitre 1 : POSITIONNEMENT DE LA RECHERCHE

I.II. 1.7.2 Une nébuleuse entretenue

Les quelques données macro-économiques et macro-sociales présentées ici mettent en évidence un champ associatif important, dynamique et créateur d’emplois nombreux. Compte tenu des domaines investis par les associations gestionnaires, assimilables à celui des entreprises de services aux personnes, indiquons par comparaison que l’hôtellerie, la restauration et les cafés en France représentent réunis environ 580.000 équivalent temps plein et 200 milliards de francs de chiffre d’affaires34 soit 63% de l’emploi associatif et 64% de leur budget. Et qui donc à connaissance du fait qu’en France 20% des employeurs de plus de 10 salariés sont des associations ? Comment comprendre la méconnaissance persistante, voire la défiance, dans laquelle est maintenue l’activité à but non lucratif en France et à l’étranger ?

De l’hétairie grecque35 à la période contemporaine, l’origine de cette défiance semble inscrite dans l’histoire des associations et de nos sociétés. Depuis la loi Le Chapelier interdisant en 1791 toute association jusqu’à l’action tenace de Waldeck-Rousseau, la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association n’a finalement été votée qu’après de très longues péripéties36 qui ont mis en évidence la difficulté des pouvoirs publics français à reconnaître les corps intermédiaires, en raison des risques supposés qu’ils représentent pour l’ordre républicain. Aujourd’hui encore, les associations savent s’ériger en groupes de pression pour obtenir des moyens plus conséquents. Leur liberté d’agir constitue alors un risque difficilement mesurable pour les pouvoirs publics ce qui les rend suspectes. Plus récemment, l’utilisation abusive du statut juridique de la loi de 1901, au prétexte des facilités qu’elle permet, tant par les collectivités locales qui ont créé de multiples « faux nez » de l’administration que par certains agents privés peu scrupuleux (le scandale de l’ARC par exemple, celui qui entache aujourd’hui la Société Protectrice des Animaux, la SPA), entretiennent le doute sur les finalités poursuivies et sur le crédit qu’il est possible d’accorder à ces associations.

Cette explication fréquemment reprise est-elle suffisante ?

34

La France des services, INSEE, 1999. 35

Ces associations appelées hétairies avait pour but de « garantir une bonne mort » à leurs adhérents qui avaient droit à une sépulture et à l’organisation de rites funèbres.

36

L’activité associative ne constitue-t-elle pas une forme de concurrence non souhaitée sur deux plans au moins ?

• Le risque de remise en cause du monopole établi de l’intérêt général qui ne saurait être défendu que par les pouvoirs publics.

• L’atteinte aux intérêts économiques des entreprises privées, qui voient d’un fort mauvais œil des initiatives se développer en constituant un marché généralement co-financé par les collectivités et qui pourraient leur échapper. Sur le premier plan, il est nécessaire de rappeler que de nombreuses initiatives collectives menées par des associations s’inscrivent avec comme finalité affirmée le développement de l’intérêt général, ceci indépendamment de l’activité qu’elles exercent et de l’immense variété qu’elle représente. L’enquête de V. Tchernonog déjà citée indique que plus de 82% des associations placent au premier ou au deuxième rang de leur utilité le développement du lien social ; de même, toujours au premier ou au deuxième rang, pour près de 50% elles visent au développement d’actions de solidarités.

Du point de vue des entreprises, le débat sur la concurrence a toujours été vif : par exemple, dans le domaine des activités d’insertion par l’économique dans lequel de nombreuses structures associatives se sont impliquées durant les années de crise économique, les porteurs d’initiatives ont eu les plus grandes difficultés à faire valoir leur spécificité dans un type d’actions qui n’intéressait pas les entreprises mais qui menaçait selon elles leurs marchés37. Antérieurement, le secteur de la diffusion cinématographique a été confronté au même débat, alors que les salles de cinéma dans les villages et petites villes de France connaissaient un rythme de fermeture important en raison de leur manque de rentabilité. De nombreuses associations culturelles qui se sont intéressées au maintien de cette activité populaire exercent désormais dans un cadre très contraignant de réglementations qui pénalise selon elle le développement de leurs initiatives culturelles38. Un débat similaire a eu lieu durant les années 70 sur l’activité du tourisme social. Plus

37

Cf. l’exemple du Conseil de la Concurrence (avis 94 – A – 01) amené à se prononcer sur le cas des entreprises d’insertion par l’économique, in " Associations et entreprises, du malentendu à la complémentarité ", Colloque au Sénat du 22 novembre 2001.

38

récemment encore, le MEDEF, dans un rapport remis au gouvernement en juillet 200239, évoque sans aucun détour cette concurrence jugée déloyale par le fait que de nombreuses associations bénéficiant d’avantages « abusifs » exercent leur activité économique dans des secteurs qu’il considère lui revenir. Parmi les différentes mesures préconisées pour rendre la concurrence plus juste, le MEDEF propose, et à titre d’exemple, de placer l’ensemble du champ des activités à caractère social dans le secteur concurrentiel.

Une autre explication complémentaire réside dans le comportement des associations elles-mêmes : les buts et objectifs qu’elles se donnent sont très rarement centrés autour de la question économique, et beaucoup d’entre elles sont imprégnées de leur culture originelle alternative aux dégâts sociaux de l’économie industrielle qu’elles constataient à la fin du 19ème siècle. Elles proposent de mettre en œuvre un projet commun aux membres ou adhérents dans lequel l’activité réalisée n’est qu’un support à la satisfaction recherchée. D’autre part les besoins émergents sur lesquels elles développent leurs activités ne sont généralement pas satisfaits par la puissance publique ou le marché. C’est le succès de leur entreprise qui fait apparaître un gisement d’activités nouvelles susceptibles d’être prises en compte à compter d’un certain stade de développement par la collectivité ou l’entreprise marchande. Voir par exemple le cas des radios-libres au début des années 80 ou celui des modes de garde des enfants en bas âge durant les années 70. Enfin, dans les motivations des militants associatifs la notion d’autonomie, qui se traduit par une veille jalouse sur le projet porté, n’incite pas à rendre compte et publier des informations aux administrations qui pourraient nuire à l’indépendance de l’association, mais aussi mettre au jour des pratiques inventives quelquefois en marge de la légalité sur le plan fiscal ou social. La méfiance répandue des associations vis-à-vis de toute forme d’ingérence incite à mettre en application le vieil adage : « pour vivre heureux, vivons cachés ! ».

Dans le document To manage and militate. (Page 61-63)