• Aucun résultat trouvé

La mystique libérationniste de l’ONGr

Dans le document CHAPITRE 1 : INTRODUCTION (Page 97-100)

CHAPITRE 5 : PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS

5.1 Nature religieuse et libérationniste de l’ONG étudiée

5.1.2 La mystique libérationniste de l’ONGr

Les moments de prière et d’échanges en groupe participent ainsi à la mystique (mistica) de l’organisation. Ce terme, aux nombreuses définitions, est défini ici comme la mobilisation émotionnelle autour des valeurs d’un mouvement social et pour lequel elle sert d’effet mobilisateur (Issa, 2007). La mistica est ainsi vue de manière large comme une représentation symbolique et politique donnant le cadre à un mouvement social (ibid). Dans son aspect pratique, elle réaffirme aussi la célébration et l’évocation, via le chant, la discussion et la prière, de la foi et des défis posés par la quête personnelle et communautaire de justice sociale. Au sens de la Libération, cette mystique, plutôt que de constituer une doctrine externe à la réalité sociale, se base sur cette dernière afin d’y accoler une idéalisation et mythification de l’utopie du Royaume de Dieu sur terre, ici et maintenant (ibid).

Temporalité et praxis du CL : le pauvre comme lieu de départ théologique du CL

En effet, la théologie de la libération a cela de particulier qu’elle prétend reconnaître sa propre nature contextuelle et terrestre. Ce point, des plus importants, touche une racine de ce discours théologique, soit le fait qu’on doive comprendre Dieu et son incarnation dans le monde au travers des référents culturels, sociopolitiques et, surtout, sur une base éthique. La théologie ne se comprend non plus seulement comme révélation divine, mais également comme étant déterminée par ses conditions de représentation (Boff, 1985). L’opposition entre temporel et intemporel s’en trouve alors dissoute : on abolit la distinction entre l’histoire

sainte et humaine, contre le monisme de l’histoire. L’histoire humaine est ainsi sanctifiée et tout acte de foi devient alors acte politique (André-Vincent, 1987).

C’est ainsi que les discours du prêtre lors des prières du vendredi, puis les passages tirés de la Bible qui sont choisis et commentés par les membres, relèvent fréquemment le lien intrinsèque entre la foi personnelle et l’action sociale. Mettant en valeur l’importance de l’action pour son prochain, on évoque le Royaume possible de Dieu sur terre (Entretien 2011e) et cette place centrale donnée à l’humain de changer le cours des choses, soit la capacité de réflexion jointe à l’action (praxis). L’ONGr, par ses discours, se considère alors comme un organe menant des actions dans le but de transformer les rapports sociaux en fonction de ses idéaux religieux.

C’est ainsi que dans le cas qui nous intéresse, la mystique évoquée met de l’avant la capacité des individus, des communautés et des peuples de s’autonomiser afin de ne plus dépendre d’un rapport de charité si longtemps entretenu par l’Église catholique, mais plutôt de rompre avec les carcans sociaux, politiques et économiques qui entretiennent l’état de pauvreté et la relation de dépendance (Boff, 1994 ; Burdick, 2004). La TL a effectivement comme point de départ (lieu théologique) l’option préférentielle en faveur des pauvres et la solidarité avec leur lutte d’auto-émancipation sociale (ibid).

Le pauvre figure alors comme le cœur de la théologie, de l’action de l’Église et de l’ONGr dont il est question ici. Il n’y est ainsi pas vu comme objet de charité et compassion, mais comme acteur de son histoire et sujet de sa propre libération. Du moins, c’est le cas des discours entretenus, notamment au travers des déclarations du prêtre dans les médias, des

20011a, b, c, e, f, g, j). On parle de la « caminhada » (Entretien 2011e), ce que Löwy (2007) nomme la longue marche des pauvres vers la terre promise ; puis de l’importance de changer la politique brésilienne afin de modifier fondamentalement les structures de pouvoir et u de mettre le pauvre en son centre (Entretien 2011e).

Jésus comme personnage central

Aussi, Jésus, comme élément fondateur de la mystique chrétienne, représente pour le prêtre ainsi que pour plusieurs travailleurs de l’ONGr étudiée, une figure révolutionnaire guidant l’implication personnelle et collective vers la transformation sociale et un idéal de justice. Jésus y est vu comme un défenseur des opprimés et surtout, comme un homme de l’histoire ayant pris position contre les injustices. En effet, le prêtre de l’ONGr étudiée, connu dans la communauté comme un ardent défenseur de la TL, nous a témoigné à nombreuses reprises, au cours des entretiens, de son intention d’incarner la figure controversée d’un Jésus en colère, s’usurpant contre les situations menant à l’injustice et contre ceux qui les endossent (Entretien 2011a, b, c).

Desroches (1999) nous rappelle que le politique et le religieux sont ici unis. On veut marcher à la suite de Jésus, poursuivre sa cause. Pour Boff (1994), la pratique de Jésus face aux lois sacrées et à la Tradition n’est pas réformiste ; elle est libératrice. À la lumière de cette interprétation des enseignements de Jésus, la religion apparaît alors comme une incitation à l’action politique (Houtart, 1992a) et donne lieu à un potentiel de protestation de l’ordre social établi (Löwy 1996).

Le renouveau collectif de la TL

Finalement, la mystique est vécue par les membres travailleurs de l’ONGr comme une mobilisation à la fois rationnelle (basée sur l’analyse et le discours) et émotionnelle (basée sur le chant et l’expérience intime vécue, les célébrations et des prières) qui permet au CL d’être incorporé au sein de l’ONGr. Corten (1998) affirme que pour le membre d’une CEB (nous élargirons cette idée à toute personne s’engageant dans le CL), le renouveau, ou la conversion, s’inscrit dans la perspective d’une lutte collective. Ce renouveau est donc vécu comme un temps social et non seulement individuel. Voulant arriver à une réelle transformation des conditions d’existence des pauvres, dans son option préférentielle pour les pauvres, le renouveau du CL ne pourra venir que de résultats collectifs et transformateurs tels que la diminution des inégalités sociales. La souffrance s’y transforme en conscience, qui devient dès lors volonté de changement.C’est, ainsi, la conscientisation qui incite l’individu à s’engager (socialement et religieusement) dans une conversion visant l’atteinte de ce renouveau social et collectif. 32

Dans le document CHAPITRE 1 : INTRODUCTION (Page 97-100)