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PROJET, SE DECALER ET CHOISIR SA TRAJECTOIRE

6. CONCLUSION 93 7 BIBLIOGRAPHIE

2.3. Le concept du rétablissement

2.3.1. Un mouvement qui provient des usagers

Le concept de recovery, aujourd’hui traduit dans la littérature française par la notion de rétablissement, est apparu au milieu du XIXe siècle aux Etats-Unis dans le cadre de petits groupes d’anciens buveurs qui se réunissaient pour se soutenir dans leur démarche d’abstinence. Ces mouvements avaient alors des fondements le plus souvent spirituels. Les

recovery circles, arrivent à la fin du XIXe siècle en Europe (Le Cardinal et al., 2013).

L’association Recovery International, fondée en 1937 aux Etats-Unis, emprunte le terme pour soutenir des groupes de pairs, malades psychiatriques sortis d’hospitalisation, avec des techniques cognitivo-comportementales4.

Dans les années 1980, la notion d’empowerment en santé mentale prend de l’ampleur aux Etats-Unis. L’empowerment est l’outil essentiel du rétablissement : le fait de se réapproprier un pouvoir d’agir conduit sans détour à la possibilité de se rétablir, de retrouver un équilibre. Venu des sciences sociales, le concept d’empowerment décrit la réalité de personnes qui devant des conditions de vie incapacitantes (chômage, pauvreté, marginalité…), prennent leurs affaires en main et font avancer leur cause. Le sentiment positif de contrôle sur leur propre vie, prévient un vécu d’impuissance et de détresse psychologique que ces conditions de vie pourraient entrainer (Le Bosse & Lavallée, 1993). En plus d’une dimension psychologique, l’empowerment a une dimension de revendication politique, donnant la parole aux exclus pour qu’ils soient reconnus comme des citoyens à part entière.

Dans le domaine de la santé mentale, c’est Judi Chamberlin qui à la fin des années 1980, se définit comme un « usager/survivant » de la psychiatrie et lance un appel à ses pairs

21 pour qu’ils se rassemblent et parlent d’une seule voix. Elle revendique une recovery

approach, avec des systèmes d’accompagnement plus proches des usagers et la

reconnaissance de l’apport de l’entraide mutuelle. Derrière l’idée d’empowerment, un combat politique est alors mené pour la réappropriation du pouvoir par et pour les usagers. La

recovery approach, est reprise par les mouvements de défense des droits des usagers

d’usagers et un important réseau d’entraide mutuelle se créé aux Etats Unis (Le Cardinal et al., 2013).

Les fondateurs de l’association Advocacy France5

, distinguent eux aussi deux dimensions de l’empowerment : la fierté d’être soi, d’être différent (d’un point de vue personnel), et la reconnaissance sociale, c’est-à-dire la possibilité d’appartenir à un groupe (d’un point de vue plus politique et social) (Dutoit & Deutsch, 2015). Cette lutte pour la

reconnaissance6 s’accompagne d’une prise de parole inédite pour les usagers en santé mentale.

En France, les premiers à exprimer les droits des malades, à créer des structures de prise en charge, ont été des associations de familles, regroupées au sein de l’Union nationale des amis et familles de malades mentaux (UNAFAM), créée en 19637.

Puis, dans les années 1970 apparaissent des mouvements militants de contestation, qui remettent en cause les institutions de soin, le savoir psychiatrique, certaines pratiques psychiatriques considérées comme inhumaines (sismothérapie, psychochirurgie…). Parmi eux, le Groupe Information Asile, créé en 1970, qui s’inscrit dans le mouvement de l’antipsychiatrie et de lutte contre l’internement abusif8

.

Enfin, dans les années 1980, souvent à l’initiative de professionnels de la psychiatrie, se créent des associations d’usagers. Ce sont majoritairement des associations d’entraide (self-help), d’abord constituées pour offrir aux malades un réseau de solidarité, proposant activités, sorties, soutien et espace de paroles. Elles offrent un autre lieu que l’hôpital

4 http://www.recovery-inc.org/

5 Association d’usagers en santé mentale qui propose un service d’advocacy, c’est-à-dire une médiation sociale

qui introduit un tiers, amplifiant la demande d’un patient/usager, qui s’estime victime d’un préjudice et/ou qui se sent mal écoutée et insuffisamment respectée par ses interlocuteurs institutionnels et/ou qui rencontre des obstacles à l’exercice de sa pleine citoyenneté.

6 Expression employée dans les travaux du philosophe Axel Honneth sur le processus de reconnaissance sociale

(Honneth, 2002)

7 http://www.unafam.org/ 8 http://groupeinfoasiles.org/

22 psychiatrique pour parler ensemble de la maladie, l’apprivoiser, l’accepter, apprendre à vivre avec, et parfois, à en guérir. Elles regroupent des patients d’origines socioculturelles très diverses, dont le dénominateur commun est un vécu stigmatisant de la maladie, et un isolement social important. La pluralité de ces associations s’est fédérée puisque la plupart des associations où les malades sont majoritaires parmi les adhérents ou dans les conseils d’administration, sont aujourd’hui regroupées dans la Fédération nationale des associations de patients ou ex-patients en psychiatrie (FnaPsy), fondée en 19929. La FnaPsy a su s’allier à l’UNAFAM, dépassant certains clivages antérieurs malades/familles.

Les sociologues Madeleine Monceau et Sabine Visintainer ont noté la créativité

linguistique dont ont fait preuve ces associations d’usagers de la santé mentale. Elles

expliquent :

« La manière dont ces groupements se désignent lorsqu’ils prennent place dans

l’espace public participe au processus de construction de l’identité collective en cours. Dans leur terminologie, nous avons repéré soit la marque d’un désir de renouveau, pour marquer la fin d’un épisode douloureux, le début d’une guérison (Revivre, Le nouveau monde, Le bout du tunnel, Destination avenir, L’oasis, Entraide et renaissance, Aube, La vie en roses, Espoir, Stop galère, Solitude zéro, L’autre regard, L’île m’est trop pâle, Association pour le mieux- être de l’existence), soit l’expression d’un repère (Latitude, Argos, Vannes Horizon), ou d’une mobilisation, d’une envie d’agir, d’un souhait de reliaison (Ose, Phobies action, AUSER, Deffi, Dirhe, Le trait d’union, Aide et union aux blessés de l’existence, Le passe muraille, Le fil retrouvé) » (Monceau & Visintainer, 2005)

Les concepts anglo-saxons d’empowerment et de recovery, sans qu’ils soient nommés, apparaissent ici en filigrane, dans la parole des usagers qui se sont mobilisés. Ils ont imprégné les mouvements d’usagers, définissant en France une volonté de retrouver un « pouvoir

d’agir » et de « se rétablir ».

La signature d’une Charte de l’Usager en Santé Mentale en 2000, d’un Livre Blanc des Partenaires de la Psychiatrie en 2001 et l’organisation de « journées nationales » autour de le santé mentale, avec le soutien des professionnels, donnent à la Fnapsy et à l’UNAFAM une légitimité publique.

Les psychiatres Eric Piel et Jean-Luc Roelandt, rédacteurs du rapport ministériel « De

la psychiatrie vers la Santé Mentale » en 2001, participent d’un courant médical favorable à

une meilleure reconnaissance des usagers en santé mentale. Ils préconisent de donner la

23 parole aux usagers pas seulement en psychothérapie mais aussi dans les prises de décision. « La participation des usagers à chaque étape de l’élaboration des stratégies thérapeutiques

(quelles que soient les techniques de soins) sera l’un des moteurs les plus importants du changement de la politique des soins en santé mentale » (Piel & Roelandt, 2001).

Les politiques s’emparent de ce mouvement, et plusieurs lois voient le jour. La loi du 4 mars 2002, dite loi de « démocratie sanitaire » consacre des droits individuels et collectifs aux malades : droit à l’information et droit de consentir ou refuser les soins proposés. La loi reconnaît également une place aux associations d’usagers, qui peuvent siéger dans les instances délibérantes, se porter partie civile dans certains cas, obtenir un congé de représentation (LOI n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, 2002). Par l’implication des associations d’usagers dans les instances politiques, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, reconnait l’existence d’altérations psychiques comme pouvant être à l’origine d’un handicap (LOI n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, 2005). Des Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM) ont été créés à la suite de cette loi, constituant de véritables passerelles entre le secteur médical, médico-social et social.

Mais la France est encore très en retard dans le contexte international : l’organisation des usagers de la psychiatrie est beaucoup plus importante dans les pays nordiques, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Italie ou au Québec, où la santé mentale est constituée en question politique. Le concept du rétablissement arrive doucement par les usagers et les instances politiques commencent à s’en saisir. Voyons quels sont ses éléments de définition aujourd’hui.