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Concept de rétablissement en santé mentale : une expérience et des pratiques

PROJET, SE DECALER ET CHOISIR SA TRAJECTOIRE

6. CONCLUSION 93 7 BIBLIOGRAPHIE

2.3. Le concept du rétablissement

2.3.2. Concept de rétablissement en santé mentale : une expérience et des pratiques

Le psychiatre français Bernard Pachoud décrit deux conceptions du rétablissement aujourd’hui (Pachoud, 2012). La première est objective : le rétablissement considéré comme une fin, un état d’équilibre stable retrouvé. Cette conception a l’avantage d’être mesurable par des indicateurs de rétablissement médicaux et sociaux (tels qu’une rémission symptomatique, une absence de réhospitalisation, mais aussi une insertion socioprofessionnelle etc…) et d’avoir contredit, par des données scientifiques, l’idée Kreapelinienne d’une dégénérescence inéluctable de la maladie mentale. Elle sert aujourd’hui la recherche clinique et un faire-valoir efficace auprès des politiques de santé mentale. Elle omet cependant la dimension processuelle du rétablissement, tel qu’il est décrit par les usagers.

24 C’est pourquoi une autre conception, plus expérientielle, est essentielle à prendre en considération. Elle met l’accent sur une posture subjective, un changement d’attitude de la part du sujet vis-à-vis de sa situation de handicap. A partir de sa propre expérience, Patricia Deegan en donne une définition : « Le rétablissement, c’est une attitude, une façon d’aborder

la journée et les difficultés qu’on y rencontre. Cela signifie que je sais que j’ai certaines limites et qu’il y a des choses que je ne peux pas faire. Mais plutôt que de laisser ces limites être une occasion de désespoir, une raison de laisser tomber, j’ai appris qu’en sachant ce que je ne peux pas faire, je m’ouvre aussi aux possibilités liées à toutes les choses que je peux faire » (Deegan, 1988). Autrement dit, le rétablissement comprend l’aptitude à reconnaître

non seulement ses incapacités mais aussi, à cette occasion, la mesure de ses capacités, négligées ou méconnues.

La définition du rétablissement la plus couramment utilisée est celle de William Anthony, ancien directeur du centre de réhabilitation psychiatrique de Boston : « …un

processus profondément personnel et singulier de transformation de ses attitudes, de ses valeurs, de ses sentiments, de ses buts, de ses compétences et de ses rôles. C’est une façon de vivre une vie satisfaisante, prometteuse et utile, en dépit des limites causées par la maladie. Le rétablissement implique l’élaboration d’un nouveau sens et d’un nouveau but à sa vie en même temps que l’on dépasse les effets catastrophiques de la maladie mentale » (Anthony,

1993).

Il rappelle que le rétablissement peut survenir sans intervention professionnelle et que le processus dépend de la réappropriation de sa trajectoire par l’usager et souvent aussi de la manière dont il va se saisir du soutien d’une personne sur qui il peut compter dans les moments critiques. Par ailleurs, la connaissance des causes ou des détails du fonctionnement neuroscientifique de sa maladie mentale ne garantit pas automatiquement le rétablissement. Il s’agit de se décaler et d’être convaincu que le futur peut être meilleur. La résurgence de symptômes graves n’est pas exclue mais la personne garde l’espoir que ces crises ne doivent pas déteindre sur les nombreux épisodes de vie normale. Finalement, envisager qu’il n’y a qu’une seule voie de rétablissement est erroné ; car, en pratique, toute option de traitement ou d’accompagnement peut et doit être adaptée si nécessaire. Le rétablissement est autant lié au fait d’affronter des obstacles tels que les préjugés sociaux, la pauvreté économique et les effets iatrogéniques des traitements qu’à celui de surmonter les contraintes exercées par la maladie elle-même (Anthony, 1993, 2002).

On retrouve dans cette conception une dimension très personnelle, d’un changement de posture, et de redéfinition de soi.

25 L. Davidson décrit comment les personnes peuvent « sortir de la maladie mentale », c’est-à-dire faire un pas de côté, en s’engageant dans un processus non pas de guérison mais de progression vers une vie active, satisfaisante et dotée de sens (Davidson, 2003). Il suggère que si ce processus est personnel, il prend nécessairement des formes singulières, et ne peut être bien décrit et étudié que « de l’intérieur », par ceux qui en ont fait l’expérience. L’activité

narrative serait alors le « mode privilégié de description de l’expérience humaine » du

rétablissement (Davidson, Ridgway, Kidd, Topor, & Borg, 2008).

De la même manière, Bernard Pachoud insiste sur le changement nécessaire de paradigme entre la rémission qui s’inscrit dans la trajectoire de la maladie et le rétablissement qui s’intéresse au devenir de la personne (Pachoud, 2012). Celui-ci n’est pas déterminé uniquement, ou prioritairement, par des paramètres médicaux. S’occuper du rétablissement, c’est donc prendre appui sur ses autres déterminants : les objectifs propres de la personne, ses ressources pour les atteindre, mais aussi des facteurs subjectifs tels que la croyance ou l’espoir qu’un tel rétablissement est possible (Davidson, 2003; Pachoud, 2012). Le rétablissement n’est donc pas prioritairement l’affaire des psychiatres, mais celle des usagers et s’il est sans doute possible de les soutenir dans cette démarche, ils doivent en garder l’initiative et la maîtrise. La stratégie médicale est celle d’optimiser une thérapeutique en prenant en compte le processus de rétablissement singulier dans lequel la personne s’est engagée.

Un collège de psychiatres de Londres valide en 2010 une posture médicale qui favoriserait ce processus. Il atteste que « les pratiques orientées vers le rétablissement sont un

modèle de changement pertinent pour les années à venir. Nos traitements ne sont pas aussi efficaces qu’on a tendance à le penser et les limites de l’approche standard en psychiatrie peuvent être enrichies par des pratiques orientées vers le rétablissement (…). Le challenge pour nous est de regarder au-delà du rétablissement clinique et de (…) continuellement nous demander si nous aidons ou nous freinons les personnes que nous suivons dans leur processus de rétablissement » (Boardman et al., 2010).

L’approche orientée vers le rétablissement se traduit par des pratiques attentives à un certains nombres de composantes expérientielles que je choisis, à partir des lectures citées précédemment, de regrouper en trois parties.

La première composante du rétablissement est l’espoir ou hope c’est-à-dire la croyance que le rétablissement est possible. Il est ce changement d’attitude décrit par les usagers, qui consiste à se décaler d’une perspective de guérison pour se recentrer sur un devenir, une trajectoire de vie personnelle, pour lequel des perspectives positives sont réouvertes. L’espoir s’avère aussi être la condition pour s’engager dans la voie du

26 rétablissement et se maintenir dans un processus en perpétuelle construction (Davidson, 2003; Deegan, 1988; Pachoud, 2012; Provencher, 2002).

Une autre composante, déjà abordée précédemment est l’empowerment ou pour certains auteurs, l’agency. Ces deux notions englobent la possibilité pour les personnes de se réapprorier un pouvoir de décider et d’agir, une restauration du contrôle de sa propre vie. Elles se traduisent également par l’autodétermination, le choix et la responsabilité. Elles incluent la revalorisation d’un savoir qui n’est pas théorique mais expérientiel puisque chaque personne est responsable de ses choix, et du sens donné à ses expériences (Le Bosse & Lavallée, 1993; Le Cardinal et al., 2013; Pachoud, 2012; Provencher, 2002).

Enfin, ce que j’appellerai dans ce travail la participation est la dernière composante du rétablissement. Elle concerne, l’inclusion sociale et professionnelle, l’accès équitable et la participation active aux services de la cité, mais aussi les liens familiaux, amicaux, communautaires et d’entraide mutuelle (Corin, 2002; Davidson, 2003; Le Cardinal et al., 2013; Provencher, 2002). C’est cette dernière composante que nous allons développer afin de comprendre comment une approche communautaire peut contribuer au rétablissement individuel.