• Aucun résultat trouvé

PROJET, SE DECALER ET CHOISIR SA TRAJECTOIRE

SE DECALER ET CHOISIR SA TRAJECTOIRE

5.3. La place de l’alternative communautaire en France

5.3.1. Des dispositifs en réseau

Les politiques de santé mentale internationales et les rapports locaux suggèrent, nous l’avons vu dans notre premier chapitre de revaloriser des approches communautaires en santé mentale dans le paysage psychiatrique existant en France. Malgré des réticences liées à un positionnement trop peu précis du psychiatre dans le large champ de la santé mentale, de nombreuses initiatives « communautaires » voient le jour. Pour ne citer qu’un exemple parmi les projets universitaires marseillais, l’équipe mobile psychiatrie précarité de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille, appelée Mouvement d’Action pour le Rétablissement Sanitaire et Social (MARSS) est un dispositif de santé mentale, qui intervient auprès d’un

88 public en situation de précarité et souffrant de troubles mentaux sévères. Pour cela, le projet s’appuie sur un réseau associatif et médicosocial important, et travaille avec d’autres programmes, également médicalisés et liés au service public universitaire, qui accompagnent les personnes vers l’emploi et le logement (Working First, Housing First). Tous ces projets, assez récents dans leur mise en place, sont évalués au fur et à mesure par des programmes de recherche mêlant des abords socio-anthropologiques et sanitaires (en santé publique et en psychiatrie) (Girard et al., 2012; Sarradon-Eck & Farnarier, 2014; Tinland et al., 2013). Du côté de la psychiatrie, c’est très majoritairement le concept du rétablissement en santé mentale qui est à l’origine des projets et de leur évaluation (Bui & Girard, 2014). En effet, le rétablissement permet de parler d’une clinique psychiatrique un peu en décalage avec les nomenclatures, de la trajectoire de vie des usagers dans sa globalité (santé, insertion sociale et professionnelle…), de la manière dont ils se réapproprient cette trajectoire – c’est-à-dire leur participation pour eux-mêmes – mais aussi de leur participation au dispositif – c’est-à-dire pour la communauté. Ainsi à Marseille et en France, le travail de pair-aidance et l’entraide mutuelle se démocratise (Beetlestone et al., 2015; Le Cardinal et al., 2013).

L’équipe MARSS comporte dans son approche les critères de la démarche communautaire tels qu’ils ont été définis par le SEPSAC :

 Travailler avec l’ensemble de la communauté, ici celle des personnes en situation de précarité, en intégrant et mettant en valeurs les différences ;

 Favoriser l’implication de tous les acteurs concernés dans une démarche de co- construction et d’empowerment individuel et collectif ;

 Favoriser un contexte de partage de pouvoir et de savoir, mettre en compétence tous les acteurs concernés, valoriser et mutualiser les ressources de la communauté ;

 Avoir une démarche de planification par une évaluation partagée, évolutive et permanente

 Avoir une approche globale et positive de la santé.

 Agir sur les déterminants de santé dans une perspective de promotion de la santé.

 Travailler en inter-sectorialité (SEPSAC, 2008).

En cela l’équipe MARSS représente un dispositif communautaire efficace et reconnu à ce jour en France. Extrêmement mobiles, ils accompagnent activement les personnes en situation de précarité vers le rétablissement, selon un paradigme de l’ « aller-vers ». En ce sens, le dispositif MARSS diffère du projet Quatro Varas, profondément ancré dans un territoire. Pourtant, l’avantage du dispositif mobile MARSS est qu’il s’appuie sur un réseau

89 important de dispositifs « fixes », associatifs ou médicosociaux ; ensemble ils créent une offre communautaire assez variée.

Par exemple, toujours à Marseille et en partenariat avec l’équipe MARSS, la « Boutique Solidarité » est lieu fixe d’accueil communautaire. C’est en réalité ce qu’on appelle communément un « accueil de jour » pour personnes sans domicile fixe, associatif qui dépend de la fondation Abbé Pierre. Ses membres sont des travailleurs sociaux, salariés ou des bénévoles, soit intéressés par la cause défendue, soit anciens usagers du dispositif. Ils proposent aux usagers des soins d’hygiène, une aide administrative, mais surtout un accueil qui « prend soin »23. Comme au projet Quatro Varas, l’accueil se veut à la fois convivial et attentif. Il se déploie dans un espace agréable, où l’on se sent « chez soi ». Une fois par semaine, un psychiatre de l’équipe MARSS participe à l’accueil des usagers. A la demande des travailleurs sociaux et des bénévoles, il peut rencontrer certains usagers repérés comme étant en difficulté psychique, pour orienter, ou au moins écouter, avec une attention clinique, la situation des personnes. La Boutique Solidarité n’est pas un dispositif de santé mentale mais de lutte contre la précarité. Pourtant, par ses liens avec la psychiatrie et sa volonté de « prendre soin » de ses usagers, le dispositif contribue, par une approche communautaire, à améliorer la condition psychique des personnes qu’il accueille.

Ces dispositifs locaux, fixes et mobiles sont complémentaires et si à Marseille, ce sont les « mobiles » qui ont plus de visibilité par leur lien avec le CHU, il est légitime de penser que les « fixes » ont leur place dans le paysage de la santé mentale et que les psychiatres ont tout intérêt à y participer. Ces dispositifs en réseau sont la preuve qu’un mouvement est lancé et qu’un nouveau positionnement psychiatrique peut s’intégrer à des pratiques en santé mentale.

Qu’apportent alors pour la psychiatrie contemporaine française, déjà lancée dans des aventures communautaires en réseau, les pratiques venues d’ailleurs ? En quoi la thérapie communautaire créée au Brésil constitue une innovation dans ce champ ? Et quel est l’intérêt pour la psychiatrie de s’en inspirer ? Une réponse à ces questions sera ébauchée à partir d’une interprétation très personnelle du travail de l’Association Européenne de Thérapie Communautaire Intégrative (AETCI), notamment en PACA, et de mon expérience Marseillaise d’animation de groupe.

90