• Aucun résultat trouvé

PARTIE I. Le cadre théorique

2.2 Le papier et ses origines

2.2.2 Les moulins à papier en France

Au XVIIe siècle, la fabrication papetière française connait un grand essor et la

multiplication des moulins à papier reflète le dynamisme de cette industrie. Auguste Lacroix signale que « dans la période de seize à vingt années » entre 1635 et l655, « le nombre de papeteries augmenta avec une telle rapidité qu’il arriva même à quadrupler dans plusieurs provinces ».100 Ces informations sont confirmées par l’historien Pierre Claude Reynard pour qui

« From the end of the fifteenth century to the nineteenth century, France remained the leading European producer of this commodity ».101 Toute une série de travaux sur les moulins français

sont en mesure d’apporter un éclairage sur les usages et les débouchés du papier produit par ces moulins et, possiblement, sur les exportations. Presque toutes les régions ont été étudiées et celles du Sud-Ouest de la France nous intéresse tout particulièrement de par sa proximité avec

99 Pour un résumé des techniques de fabrication, voir entre autres De La Lande, J. (1761). Art de faire le papier. Paris, France : Saillant et Nyon.Accessible sur le site du Moulin du Verger dans la nouvelle édition de 1830. Repéré à http://www.moulinduverger.com/papier-main/lalande.php ; Desmaret, N. (1788). Art de fabriquer le papier, Dans Encyclopédie méthodique : Arts et métiers mécaniques, (5). Paris, France [s. n.]. Repéré à http:// gallica. bnf. fr/ ark:/12148/bpt6k5838654v/f000478.tableDesMatieres . Hunter, D. (1930). Papermaking through eighteen

centuries. New York, NY: William Edwin Rudge; Hunter, D. (1971). The literature of paperrmaking. 1390-1800.

New York, NY: Franklin; Heller, J. (1980). Papermaking. The white art. Scottsdale, AZ: Scorpio Press. Voir également l’essai de Tom Barrett et al. Paper through time: nondestructive analysis of 14th- through 19th-century

papers. The University of Iowa. Last modified January 17, 2012. Repéré à http://paper.lib.uiowa.edu /index.php

et plus spécifiquement la section « European Papermaking Techniques 1300-1800 » repéré à http:// paper. lib.uiowa.edu/european.php . Voir les principales sources utilisées pour les définitions : Doizy.M. A. et Fulacher,

P., op. cit., p. 266-268; Perrin, J. C. E. (2012). Glossaire du Papetier. 2e édition. Bousbecque, France : édition de l’auteur; également sur le site du Moulin du Verger et repéré à http://www.moulinduverger.com/papier- main/voca.php.

100 Lacroix, A. (1863). Historique de la papeterie d’Angoulême suivi d’observations concernant le commerce des

chiffons de France – 1ère partie : papeterie à la main. Paris, France : Laine et Havard, p. 5

101 Reynard, P. C. (1999). Early modern state and entreprise: shaping the dialogue between the French Monarchy and Paper Manufacturers. French History, v. 13(1), p. 1.

les ports de l’Atlantique. Par exemple, les travaux d’Alexandre Nicolaï mettent justement de l’avant quelques traits caractéristiques de cette région, à savoir le rôle crucial que joue l’exportation, plus particulièrement en Espagne et en Hollande, ainsi que la présence des négociants hollandais établis à Angoulême, ce dernier point étant repris de manière plus détaillée par Gabriel Delêge.102 C’est une région importante pour plusieurs raisons : elle fut, et assez tôt

au XIVe siècle, l’une des plus grandes productrices de papier, la qualité du papier produit y était

supérieure à la moyenne et, de par sa situation géographique, elle avait un accès direct à l’Atlantique.

Même si des centres papetiers font leur apparition un peu plus tôt à Troyes (1338-1348, 1362, 1388), à Grenoble (1346) et à Angoulême (1350), les spécialistes et historiens s’entendent plutôt pour situer la fabrication « reconnue » des premiers papiers français à Torvois-les-Troyes avant 1348 et à Essonne (toutes deux en Champagne) en 1354.103 En effet, c’est à ce moment

que le Roi de France aurait favorisé la fabrication du papier en fournissant des lettres patentes à

102 Pour une histoire des premières papeteries françaises, voir Alibaux, H. (1926). Les Premières papeteries

françaises. Paris, France : Les arts et le Livre; pour la région des Alpes, voir Spillemaecker, C. et André, L. (dir.).

(2005). Papetiers des Alpes. Grenoble, France : Presses universitaires de Grenoble : Musée dauphinois; pour l’Angoumois, voir Delâge, G. et Delâge, R. (1990). L’Angoumois au temps des marchands flamands (17e siècle).

Paris, France : Librairie B. Sepulchre; Delâge, G. (1991). Moulins à papier d’Angoumois, Périgord, Limousin. Paris, France : Librairie B. Sepulchre; pour l’Auvergne, Boithias, J. L. et Mondin, C. (1981). Les moulins à papier

et les anciens papetiers d’Auvergne. Nonette, France : Éditions CRÉER.; Reynard, P. C. (2001). Histoires de papier, la papeterie auvergnate et ses historiens. Clermont-Ferrand, France : Presses universitaires Blaise Pascal;

Boy, M. et Boithias, J. L. (2013). Moulins, papiers et papetiers d’Auvergne. Livradois-Forez, Ambert, Richard-de-

Bas. Le Bourg, France : Éditions des Monts d’Auvergne; pour la Bretagne, voir Duval, J. (2006). Moulins à papier de Bretagne du XVIe au XIXe siècle : les papetiers et leurs filigranes en Pays de Fougères. Paris, France :

l'Harmattan; pour la région dauphinoise, voir Darnault, C. (2000). Rives, la mémoire du papier : histoire d'une papeterie dauphinoise. Grenoble, France : Presses universitaires de Grenoble : Musée dauphinois. Les Vosges ont été étudiées par Janot, J. M. (1952). Les moulins à papier de la région vosgienne. Nancy, France : Imprimerie Berger-Levrault. 2 vol.; et le Sud-Ouest par Nicolaï, A. (2009). Histoire des moulins à papier du Sud-Ouest de la

France (1300-1800) : Périgord, Agenais, Angoumois, Soule, Béarn. Monein, France : Éditions PyréMonde. 2 vol.;

reprise de l’édition originale 1935. Bordeaux, France : Delmas. 103 Alibaux, H., op. cit., p. 196.

l’Université de Paris l’autorisant à choisir quatre papetiers ayant solennellement juré de fabriquer le papier de meilleure qualité pour les besoins de l’Université. En retour, ces manufacturiers seraient exempts de toute forme de taxation.104 En fait, la France aurait connu

trois «vagues» de dissémination de moulins à papier, que ce soit par la construction de nouveaux battoirs ou la reconversion de moulins déjà existants. Au milieu du XIVe siècle, à Thiers et

Essonne près de Paris, pour répondre aux besoins de l’université, de l’administration royale et du grand commerce (foires de Champagne) et à Avignon pour les besoins de la papauté. Puis, ce fut l’est de la France (la Savoie et les Flandres), le Vaucluse et le Languedoc au Sud (1374), l’Auvergne, le Périgord et Toulouse dans le Sud-Ouest et finalement en Bretagne et en Normandie au XVe siècle.105

Les spécialistes des études régionales ont tous utilisé les archives départementales comme principale source d’information pour leurs travaux. Les archives des régions regorgent de documents à même d’éclairer plusieurs aspects de la vie privée, publique et industrielle des papetiers et des propriétaires, des moulins et de leurs activités : des renseignements sur le papetier et sa famille, ses ouvriers, des documents administratifs reliés à la gestion du moulin (baux, reçus, quittances, comptes divers, procès-verbaux civils, judiciaires et ecclésiastiques, etc.), des minutes de notaires, des redevances féodales ou autres, des actes de vente, d’achat, d’attribution de privilèges, etc. Les livres de comptes du fabricant permettent de retrouver des indications sur les achats ou ventes de matières premières, de produits fabriqués, du transport par terre ou par eau, etc. On y constate ainsi que la localisation du moulin est importante pour plusieurs raisons : en premier lieu, pour les propriétés et le débit du cours d’eau qui alimente le moulin, c’est-à-dire la force hydraulique pour la roue et la pureté de l’eau pour la couleur et la qualité du papier; deuxièmement, pour les voies de transport du papier vers les usagers en partant de la vallée aux chemins accessibles, ainsi que l’accès à des cours d’eau assez importants pour la navigation afin d’écouler la marchandise; troisièmement, la proximité de lieux pour

104 Voir Churchill, W. A. (1965). Watermarks in paper in Holland, England, France, etc. in the XVII and XVIII

centuries and their interconnection. Amsterdam, NL : M. Hertzberger, p. 56; Doisy, M. A. et Fulacher, P., op. cit.,

p. 54.

105 Cette déclinaison se retrouve chez plusieurs auteurs : entre autres Alibaux, H., op. cit., Doisy, M. A. et P. Fulacher, op. cit. et Reynard, P.C. (2001), op. cit.

s’approvisionner en chiffe, en chanvre ou en lin. Donc, les fabricants tentent d’obtenir des conditions géographiques et commerciales où sont réunis tous les éléments qui permettent la fabrication et la vente du papier.

Les travaux sur les moulins français en régions nous apprennent comment la production était à la fois diversifiée et spécialisée. Par exemple, les recherches de Louis Le Clert sur la ville de Thiers en Champagne montrent bien que cette région dominait le marché français à travers le marché parisien pour la qualité de son papier destiné à l’écriture106 tandis que la région

d’Ambert en Auvergne produisait ses meilleurs papiers pour l’imprimerie.107 Comme le montre

Carole Darnault, c’est en raison de la qualité de leur papier que de petits moulins, situés à Rives en Dauphinais, fournissent Lyon alors que Grenoble est beaucoup moins loin.108 Les travaux de

Jacques Duval ont permis de mettre à jour la spécialisation des moulins de Bretagne axée sur le papier d’emballage.109Ainsi, les régions - et beaucoup de petits moulins à travers elles - seront

reconnues pour la qualité de leur papier (texture, pureté, couleur) ou le type (écriture, imprimerie, timbré) qui sera exporté un peu partout à travers le pays et les régions limitrophes. Parallèlement se développe le secteur de l’imprimerie dont la forte demande en papier allait bouleverser les métiers du livre.

106 Le Clert, L., op. cit.

107 Reynard, P. C. (2001), op. cit. Précisons d’abord la distinction entre les deux types de papier. Selon l’usage qu’on en fait, le papier est plus ou moins collé. Jusque vers le XIXe siècle, la colle utilisée est faite de gélatine obtenue à partir de graisses animales. Cette technique procure une qualité supérieure au papier. Selon le Père Jean Imberdis, « [le papier] d’imprimerie ne veut qu’une colle légère; le papier à écrire en demande une plus forte… Par cet apprêt, le papier prend du corps, il devient imperméable à l’encre; chaque trait de plume vif et bien tranché s’arrête à sa surface; on écrit des deux côtés sans confusion, parce que l’un déjà noir d’écriture laisse à l’autre toute sa blancheur, ce qui serait impossible autrement. » Voir Imberdis, J. (1693). Papyrus, sive Ars conficiendae

Papyri… cité dans M. A. Doizy et P. Fulacher, op. cit., p. 78.

108 Darnault, C., op. cit, .p. 19. 109 Duval, J., op. cit. p. 29.