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PARTIE I. Le cadre théorique

2.1 L’Atlantique français dans l’espace atlantique

2.1.2 L’Atlantique français : espace impérial et commercial

2.1.2.1 La circulation des produits d’échange : horizon comparatif

2.1.2.1.4 Les fourrures

Marcel Delafosse aborde le commerce des fourrures par l’étude du trafic du port français de La Rochelle et du rôle des marchands rochelais. Il « [met] en lumière les efforts des marchands rochelais pour entretenir des relations régulières avec la Nouvelle-France, la ravitailler en marchandises et en hommes et en retirer en retour les précieux castors ».64 La

Rochelle et Bordeaux, surtout fréquentées par les Basques, deviennent des ports qui « présentent donc un intérêt considérable pour la pénétration française en Amérique du Nord ».65 Le rôle

des Basques est également repris par Laurier Turgeon qui explique comment la traite de fourrures représente un appoint pour les pêcheurs de morue et les chasseurs de baleine.66 Selon

les contrats étudiés, il apparaît que, dans le dernier quart du XVIe siècle, ce type de commerce

augmenta considérablement. Pour la seule année 1585, Bordeaux envoie quatre navires avec, comme lieu de destination « Canada » : « Ces premières campagnes de traite sont entreprises par des Basques avec le concours de marchands bordelais et rochelais ».67 Dans ce commerce «

tripartite » (morue, baleine, fourrures), c’est toute une hiérarchie qui se met en place : le maître de navire est du Pays basque espagnol, le propriétaire (ou le bourgeois) de Saint-Jean-de-Luz en France, les marchands qui se partagent les frais de ravitaillement (souvent parents entre eux), de Bordeaux ou de La Rochelle. Comme le précise Turgeon, « Ces associations commerciales

64 Delafosse, M. (1951). La Rochelle et le Canada au XVIIe siècle. Revue d’histoire de l’Amérique française, 4(4), p. 469-511. Delafosse utilise les archives rochelaises, les minutes notariales (plus abondantes pour la période 1630- 1670) et le fonds de l’Amirauté qui, à partir des années 1670, fournit le rôle des équipages et les départs des navires. 65 Delafosse, M. (1956). Les Rochelais dans la Vallée du Saint-Laurent (1599-1618). Revue de l’Amérique

française, 10(3), p. 333.

66 Turgeon, L. (1987). Pêcheurs basques et la traite de la fourrure dans le Saint-Laurent au XVIe siècle. Dans Trigger, B. G., Morantz, T. et Dechêne, L. (dir.) Le Castor fait tout. Selected Papers of the Fifth North American

Fur Trade Conference, 1985 / Choix de textes présentés à la 5e Conférence nord-américaine sur la traite de la fourrure, 1985. Montréal, QC : Lake St. Louis Historical Society/Société historique du Lac Saint-Louis, p. 14-24;

Turgeon, L. (1998). French fishers, fur traders, and Amerindians during the sixteenth century: history and archeology. The William and Mary Quarterly, 55(4), p. 585-610. Les Basques se rendent à Tadoussac dans l’estuaire du Saint-Laurent pour y faire la chasse à la baleine et le commerce de la fourrure tandis que d’autres se rendent à Miscou dans le golfe pour la pêche à la morue : voir Landry, N, op. cit., p. 124, note 36.

et familiales font ressortir l’intérêt déjà manifeste de Bordeaux et surtout de La Rochelle dans le commerce canadien qui ira en se développant aux XVIIe et XVIIIe siècles ».68 Des travaux de

recherche dans le Minutier Central des Archives Nationales (de France) démontrent par ailleurs les complexités du commerce de la fourrure, au début du XVIIe siècle, avec ses rivalités et ses

litiges entre marchands.69

En 1999, Bernard Allaire faisait paraître un ouvrage sur les fourrures exportées à Paris en provenance de l’Amérique du Nord. La période étudiée, 1500-1632, représente les premiers jalons des échanges de pelleteries entre les deux continents. Allaire utilise les actes notariés parisiens qui concernent les pelletiers pour démontrer l’impact de l’arrivée des pelleteries en provenance de l’Amérique.70 L’auteur explique comment la déstabilisation du marché européen,

due aux activités politiques et militaires en Europe pendant la décennie 1570-1580, a grandement bénéficié au nouveau circuit transatlantique de la fourrure, permettant ainsi de voir apparaître de nouveaux réseaux d’approvisionnement ainsi que de nouvelles relations entre les ports français de l’Atlantique et la capitale. Cette perspective peut nous ouvrir de nouvelles pistes pour la circulation du papier. Bien que notre recherche se situe au XVIIe siècle, nous

soulignons la pertinence de scruter les trois aspects suivants dans l’approvisionnement en papier en Nouvelle-France : premièrement, le circuit transatlantique mis en place; deuxièmement, les nouveaux réseaux d’approvisionnement; troisièmement, les relations nouvelles entre les ports français et la capitale. Ces paramètres ont-ils joué un rôle identique, parallèle ou complètement différent? Nous élaborons sur ces points reliés à l’approvisionnement en papier au Chapitre 5.

Les réflexions sur les marchés et les foires ainsi que sur la comptabilité, les stratégies commerciales et les ententes maritimes sont révélatrices du fonctionnement de l’industrie des

68 Idem, p. 24.

69 Voir entre autres Le Blant, R. (1972). Le commerce compliqué des fourrures canadiennes au début du XVIIe siècle. Revue d’histoire de l’Amérique française, 26(1), p. 53-66.

70 Ce sont surtout les inventaires après décès, les archives judiciaires et des imprimés anciens qui sont utilisés; très peu de contrats de vente ou d’achat ou encore de livres de comptes sont disponibles. Voir Allaire, B. (1999).

Pelleteries, manchons et chapeaux de castor. Les fourrures nord-américaines à Paris, 1500-1632. Sillery, QC/

pelleteries et de l’implication des marchands pelletiers dans l’achat de parts et l’investissement dans l’affrètement des navires. Nous retrouvons ces marchands au sein des compagnies à monopole71 et particulièrement au sein des Cent-Associés, créée par le cardinal Richelieu en

1627.72

La circulation des fourrures n’est pas qu’affaire des Français et de leurs pourvoyeurs amérindiens. Un immense réseau commercial déjà en place parmi les nations amérindiennes avant l’arrivée des Européens voit ses alliances chamboulées par des rivalités intestines entre différentes tribus, mais aussi par la présence des Anglais et des Hollandais qui s’ajoutent au circuit et rivalisent pour la suprématie commerciale dans la Vallée du Saint-Laurent, les Pays d’En Haut et jusque dans les vallées de l’Ohio et du Mississippi.73 Le marché des fourrures est

complexe, multiple, fluctuant.

71 À titre d’exemple, dès 1588, le roi de France accorde un certain nombre de monopoles pour la traite des fourrures. Dans son article sur les débuts de l’Acadie, Jean Daigle fait référence au monopole obtenu par Pierre Du Gua De Mons pour une période de dix ans (1603-1613) : voir Daigle, J. (2000). Port-Royal et les premiers temps de l’Acadie. Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, 62, p. 18-22. Gilles Paquet et Jean-Pierre Wallot remettent en question les attentes suscitées par l’octroi de monopoles : « Le comptoir (…) trait d’union largement fondé sur le commerce des fourrures, il se révélera une aventure bien moins profitable qu’avaient pu le penser ceux qui avaient acheté le monopole ». Paquet, G. et Wallot, J. P. (1982). Sur quelques discontinuités dans l’expérience socio-économique du Québec : une hypothèse. Revue d’histoire de l’Amérique française, 35(4), p. 493.

72 Sur les foires de fourrures, voir Rousseau, J. (1999). Vieilles routes et foires de fourrures. Histoire Québec, 5(1), p. 18-21; sur la foire de la fourrure à Montréal, voir Latouche, P. E. 2012. L’habitant-marchand à Montréal (1675- 1750). Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, 11, p. 14-16.

73 De nombreuses études analysent les alliances, les influences et les interactions des diverses parties dans le marché de la fourrure nord-américain. Voir entre autres Trigger, B. G. (1992). Les Indiens, la fourrure et les Blancs,

Français et Amérindiens en Amérique du Nord. Montréal, QC : Boréal; Le François, T. et al. (1992). La traite de la fourrure. Les Français et la découverte de l’Amérique du Nord. La Rochelle, France : Musée du Nouveau

Monde; Moussette, M. (2005). Un univers sous tension : les nations amérindiennes du Nord-Est de l’Amérique du Nord. Au XVIe siècle. Les Cahiers des dix, 59, p. 149-177; Vidal, C. (2000). Présence française dans la Vallée du Mississipi. Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, 62, p. 40-45; Demers, P. A. (2009). The French colonial legacy of the Canada-United States border in eastern North America, 1650-1683. French Colonial History, 10, p. 35-54.

Nous pouvons conclure que l’Atlantique français n’est pas isolé et l’Atlantique n’est pas que « français »! Au contraire! Son histoire, ses définitions et le contexte géopolitique qui le caractérise sont insérés dans un espace encore plus vaste étudié depuis quelques décennies par un ensemble composite d’historiens, de chercheurs et de penseurs. La Nouvelle-France y prend place avec un regard sur l’ensemble des possessions françaises en Amérique. Notre étude privilégie la vallée laurentienne au XVIIe siècle par le biais des acteurs qui ont façonné cet

espace géographique et développé une société coloniale originale.