• Aucun résultat trouvé

Chapitre VI L’émergence de nouvelles politiques au niveau des territoires

1. Une montée en puissance des territoires

Parmi les collectivités territoriales, la région est aujourd’hui la plus engagée dans le système de formation professionnelle pour les raisons qui ont été développées précédemment. Elle exerce sa compétence sur un territoire administratif qui regroupe lui-même un ensemble de départements et de bassins d’emploi ou d’agglomérations aux frontières plus floues. Avant de développer le concept de politique territoriale, il est nécessaire de préciser la notion de territoire qui peut être entendue différemment selon les acteurs en présence.

354) La notion de gouvernance en sciences politiques renvoie aux systèmes de coalition d’acteurs publics et privés. Voir chapitre VI 3-a.

355) S. BArONE. L’action publique territoriale est-elle soluble dans le néo-institutionnalisme ? Journées d’étude AFSP 15 et 16 juin 2006.

356) J.-P. GILLY, J. PErrAT. La dynamique institutionnelle des territoires : entre gouvernance locale et globale. Cahiers du Groupement de recherches Economiques et Sociales, n° 2003-5. p. 4 ; Jean-Pierre GILLY a notamment publié des travaux dans le cadre de « l’école de la proximité » (J.-P. GILLY, A. TOrrE ; 2000).

357) E. NéGrIEr. La contingence territoriale de l’état. Une théorie politique du changement d’échelle.

a) Définition

Le concept de territoire est étroitement associé à la gouvernance 354 dans le champ de la

formation professionnelle (voir supra). Pour S. Barone 355, la notion de territoire « renvoie à une réalité qui n’est appréhendable ni en termes purement institutionnels, ni en termes purement politiques, ni en termes purement économiques… c’est un assemblage composite… qui n’existe que parce que différents acteurs le font vivre ». Cette définition a le mérite de

mettre en valeur la singularité des territoires et le fait que ses limites sont le résultat d’un agencement entre institutions.

J.-P. Gilly 356, définit le territoire « comme le résultat de la combinaison de trois dimensions de la proximité : géographique, organisationnelle et institutionnelle. La proximité géographique traite de la séparation des acteurs et des activités dans l’espace ; elle est dépendante des infrastructures de transport et des technologies de communication. La proximité organisationnelle concerne les interactions entre acteurs mobilisant des actifs complémentaires ; elle se construit sur une proximité institutionnelle reposant sur l’adhésion des acteurs, à des règles… à un système commun de représentations, qui orientent les comportements collectifs. ».

J.-P. Gilly met en lumière l’importance des processus de construction des territoires mais également le fait que le territoire rassemble, à un moment donné, des acteurs aux logiques contradictoires qui partagent certaines règles et objectifs.

Le caractère à la fois « construit » du territoire et son instabilité accréditent la thèse de la différentiation territoriale développée notamment par E. Négrier 357. La configuration

territoriale dépend d’une pluralité d’acteurs mis en situation d’interdépendance. Elle est donc appelée à varier selon les acteurs, leurs territoires et leurs dépendances. Elle s’oppose à une vision du territoire comme simple lieu de déclinaison géographique des politiques nationales, vision qui ignore le caractère essentiel du jeu des acteurs locaux.

358) Voir chapitre IV 2 -b.

359) à ce propos, on trouvera de manière inédite en annexe 8, les développements proposés par le Conseil d’analyse stratégique dans un document à paraître en 2010 et auquel a contribué l’auteur de la thèse. Les rapporteurs du groupe de travail développent notamment la thèse que pour les salariés les moins qualifiés, le choix de « l’ancrage territorial » correspond à un choix rationnel, compte tenu de leurs conditions de vie et de leur environnement familial et social. 360) G. MINGUET. Mutations du syndicalisme patronal.

b) Les facteurs explicatifs

Plusieurs facteurs d’ordre économique, sociologique, institutionnels contribuent à faire du territoire le lieu privilégié pour développer les politiques en matière de formation professionnelle. Ils ont fait l’objet de précédents développements, notamment sur le fait que l’attractivité des territoires constitue un enjeu majeur pour les conseils régionaux dans un contexte de concurrence accrue entre les territoires 358.

Le renforcement du lien entre formation professionnelle et emploi fait partie de ces facteurs. à l’opposé des politiques nationales, macroéconomiques, perçues comme inadaptées et inefficaces en matière de lutte contre le chômage, la proximité territoriale est aujourd’hui privilégiée pour faciliter les rapprochements entre entreprises et individus. Cet attachement au niveau local, pour développer des politiques en faveur de l’emploi, trouve ses origines dans deux dimensions complémentaires : la conviction que le rapprochement entre acteurs locaux (demandeurs d’emploi et entreprises) se fera naturellement, la formation permettant le cas échéant d’adapter la main-d’œuvre à la demande des entreprises ; la possibilité pour les acteurs locaux, élus et techniciens, d’impulser et de maîtriser des politiques publiques dans la configuration la plus adaptée à leur territoire.

Le premier point se nourrit de l’observation de la réalité. Une partie importante des salariés n’est pas mobile, géographiquement, pour de nombreuses raisons, mais risque néanmoins d’être confrontée à des changements d’emploi au cours de la vie professionnelle 359. Il

convient, dès lors, d’organiser au niveau du territoire la rencontre entre les acteurs et d’utiliser la formation professionnelle comme levier de retour à l’emploi. Il faut cependant observer, comme le souligne G. Minguet 360, que la logique de l’entreprise, tournée vers l’innovation,

la mobilité, la recherche de nouveaux espaces de développement, n’est pas nécessairement la logique du territoire, axée sur la préservation de ses ressources et de ses traditions, ce qui entraîne des conflits d’intérêts entre acteurs publics et acteurs privés.

Le second point renvoie à l’idée de régulation au niveau territorial et suggère que, dans un environnement de plus en plus complexe, le territoire, lieu par excellence d’application

361) C. AGULHON. Décentralisation et évaluation, les incertitudes d’une politique nationale de formation professionnelle. Education&Politique. p. 4.

362) J.-C. CArLE, B. SEILLIEr. Fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle. Mission d’information sénatoriale.

des politiques, est le niveau le plus adapté pour coordonner les acteurs et optimiser leurs interventions en fonction des besoins des individus. Sur ce point, C. Agulhon 361 souligne

cependant les risques liés à l’idéalisation du niveau local pour traiter des problèmes d’emploi et, en particulier, ceux liés à l’étroitesse du champ d’analyse, aux perspectives adéquationnistes à court terme de la relation emploi formation et à l’absence d’outils d’évaluation à ce niveau. Au-delà de ces objections, le niveau territorial apparaît aujourd’hui comme l’échelon pertinent de traitement des questions de formation professionnelle surtout lorsqu’elles sont corrélées