• Aucun résultat trouvé

Des logiques de régulation différentes selon les politiques publiques

Chapitre II L’action de la Fédération Française du Bâtiment dépend

2. Des logiques de régulation différentes selon les politiques publiques

Les différentes approches théoriques développées renvoient à des logiques de régulation distinctes qu’il convient de préciser pour bien appréhender la place des groupes d’intérêt dans le processus d’élaboration des décisions et de leur mise en œuvre.

a) Le concept de régulation

G. Canguilhem, en 1973, donne la définition suivante de la régulation : « La régulation est

l’ajustement, conformément à quelques règles ou normes, d’une pluralité de mouvements ou d’actes et de leurs effets ou productions que leurs diversités ou leur succession rend d’abord étrangers les uns aux autres » 149. Ce concept, utilisé initialement dans le champ

de la mécanique ou de la biologie, a fait l’objet de développements dans le domaine des relations sociales, dans les années quatre-vingt, sous l’égide notamment du sociologue J.-D. reynaud 150, à l’origine de la théorie de la régulation sociale. La notion de régulation

se distingue de celle du pilotage opéré par un acteur sur un système donné. Elle s’inscrit dans une perspective dynamique où différents systèmes fonctionnant selon des logiques, des modalités et des calendriers différents, interagissent. Dans la théorie de J.-D. reynaud, elle joue un rôle essentiel dans la constitution, l’identité et l’évolution de tout acteur collectif. J.-D. reynaud oppose, d’ailleurs, la régulation autonome, venant du groupe lui-même et qui résulte de la négociation permanente entre les acteurs au sein d’un groupe, de la régulation de contrôle imposée de l’extérieur 151.

152) B. JOBErT, P. MULLEr. L’État en action. Politiques publiques et corporatismes. p. 18. 153) Y. TANGUY. Le Règlement des conflits en matière d’urbanisme. p 26.

B. Jobert et P. Muller définissent la régulation comme « l’ensemble des processus qui visent à

consolider l’intégration d’un système ». Pour les auteurs, « il y a donc problème de régulation quand les différents ensembles, les différents sous-systèmes sociaux tendent à évoluer selon des logiques de plus en plus incompatibles entre elles » 152.

Y. Tanguy, dans ses travaux sur le règlement des conflits en matière d’urbanisme, s’attache à la façon dont se construit la régulation entre les acteurs en présence, aux différentes formes que peut prendre celle-ci (régulation administrative, régulation juridictionnelle) mais également aux résultats de celle-ci et à la manière dont ils s’intègrent dans les dispositifs : « Au-delà de la

solution des conflits et de la conciliation des intérêts qui s’y affrontent (et sans doute à cause de celle-ci), la régulation engendre de nouvelles normes. Le problème est de savoir comment elles s’intègrent à l’ensemble du dispositif institutionnel et quelle place elles y occupent » 153.

Dans le cas présent, la question est de savoir si les groupes d’intérêt participent ou non au processus d’ajustement des politiques publiques et à l’élaboration des normes qui peuvent en découler. Par rapport aux modèles qui viennent d’être examinés, il est possible de distinguer plusieurs types de régulation.

b) Les différents types de régulation

Dans le modèle pluraliste, la régulation se fait à la fois par le marché, c’est-à-dire par l’ensemble des acteurs en capacité d’être présents, à une période donnée, pour influencer les acteurs institutionnels, et par l’état. C’est un modèle qui privilégie le court terme, l’adaptabilité et la diversité. L’état intervient lorsqu’il estime que les conditions d’accès aux acteurs publics ou les conditions d’équilibre sur le marché ne sont pas respectées. Les groupes d’intérêt participent au débat public mais la régulation demeure essentiellement assurée par l’état. Dans le modèle étatiste, c’est l’état qui détermine à la fois les règles, les objectifs des politiques engagées, les modalités de consultation des groupes d’intérêt, la mise en œuvre des politiques et la façon dont ceux-ci y sont éventuellement associés. L’état est présent à plusieurs niveaux : il assure le pilotage et détermine les modalités éventuelles de la régulation (instances de recours). La régulation intervient dans le cadre du processus démocratique lorsque les individus expriment, par leur vote, leur accord ou désaccord sur les politiques conduites. La participation des groupes d’intérêt y est faible.

154) M. OUIMET, V. LEMIEUX. Les Réseaux de politique publique : un bilan critique et une voie de formalisation.

Dans le modèle néocorporatiste, la régulation est conjointe : elle dépend à la fois de l’état, qui fixe les termes de l’échange avec ses partenaires, et des acteurs du système néocorporatiste. Dans celui-ci, l’économie et la société sont régies par la négociation centralisée collective au plus haut niveau. L’état n’intervient pas tant que la négociation entre les acteurs permet de concilier le développement économique et la distribution de bénéfices sociaux. L’équilibre global dépend, dans ce cas, à la fois des politiques publiques et de la capacité des différents acteurs des groupes sociaux à proposer, par la négociation, une alternative aux pouvoirs publics. Il y a donc, comme le souligne J.-D. reynaud, deux niveaux de régulation dans le cas présent : la régulation autonome, qui résulte des négociations et compromis entre acteurs sociaux et la régulation de contrôle, imposée par l’état, lorsque les résultats de la première lui apparaissent insuffisants.

La Fédération du Bâtiment, en sa qualité de partenaire social amené à échanger et à négocier régulièrement avec les organisations syndicales, inscrit naturellement l’ensemble de ses activités conduites dans le domaine social, dans une logique néocorporatiste. à travers la négociation, elle entend définir, avec les autres organisations, les normes professionnelles et participer ainsi à la régulation du secteur aux côtés de l’état.

Selon le type de politique publique, les modalités de la régulation et la participation des groupes d’intérêt évoluent donc sensiblement. L’exemple précédent illustre le fait que dans un pays qualifié de peu corporatiste comme la France, certaines thématiques dans le champ des relations professionnelles, notamment les discussions autour des conventions collectives, relèvent d’une logique et d’une régulation néocorporatiste. Il convient, dès lors, de dépasser ce premier niveau de différentiation entre les politiques publiques pour mieux appréhender les relations entre les groupes d’intérêt et l’état. L’approche par la notion de réseau de politique publique s’inscrit dans cette démarche.

c) Les réseaux de politiques publiques

Face à la difficulté de classer les politiques publiques selon les modèles néocorporatistes ou pluralistes, il paraît utile d’introduire le concept de réseaux de politiques publi- ques 154. Développé au cours des années soixante-dix principalement aux états-Unis puis

155) Le terme de communauté de politique publique est apparu dans un premier temps ; il est également utilisé dans la littérature scientifique. M. OUIMET, V. LEMIEUX. Op. cit. p. 5.

156) S. SAUrUGGEr. Penser les relations professionnelles en France, p.8. 157) S. SAUrUGGEr. Id.

158) r. rHODES, D. MArSH ; M.J. SMITH. Op. cit. p. 13-18. 159) M. OUIMET, V. LEMIEUX. Op. cit. p. 22-28.

en Angleterre, celui-ci 155 permet de mettre en lumière l’existence d’un ensemble de sous-

systèmes de politiques publiques, où les acteurs interagissent dans un domaine particulier. La définition même de réseaux de politiques publiques a fait l’objet de querelles de définition au cours des années quatre-vingt, notamment du fait des travaux de r. rhodes, qui introduit la notion de dépendance financière entre les acteurs du sous-système : « Le réseau d’action

publique est un groupement ou un complexe d’organisations, liées les unes aux autres par des dépendances en termes de ressources, et qui se distingue des autres groupements ou complexes par des différences dans la structure de cette dépendance » 156. Les réseaux « présentent un continuum dont les deux pôles sont des réseaux thématiques et les communautés de politiques publiques » 157.

Plusieurs auteurs 158 distinguent différents types de réseaux de politiques publiques allant du

plus intégré, la communauté de politiques publiques, au moins intégré, le réseau thématique, à partir de quatre dimensions : la stabilité du membership, le nombre de participants, le type d’interdépendance (verticale ou horizontale) et l’articulation entre les acteurs. L’intérêt de ces typologies est de proposer plusieurs niveaux entre la communauté de politiques publiques – fermée, stable, proche du corporatisme lorsqu’elle rassemble un ou plusieurs groupes d’intérêt et les acteurs publics – et, à l’opposé, le réseau thématique, souple, rassemblant un nombre élevé d’acteurs privés et publics faiblement liés entre eux. Ces travaux montrent que, dans un secteur donné et pour un ensemble de politiques publiques, plusieurs réseaux peuvent coexister, voire s’opposer. C’est le cas dans le champ de la formation professionnelle abordé par la suite, dans lequel coexistent des réseaux d’acteurs qui n’ont pas les mêmes caractéristiques.

Une approche complémentaire des réseaux de politique est proposée par M. Ouimet et V. Lemieux à partir des travaux de M.S. Granovetter et r. Burt 159. Elle présente l’intérêt

de caractériser les réseaux à partir des liens forts ou faibles entre les différents acteurs (gouvernement, groupes intermédiaires, groupes subordonnés) et de distinguer des réseaux corporatistes, clientélistes, pluralistes. Elle permet de souligner l’importance de l’information et du contrôle des ressources des acteurs comme composantes des réseaux de politiques publiques.

160) B. JOBErT. Actualités des corporatismes. In E. GrOSSMAN. Lobbying et vie politique.

d) La Fédération Française du Bâtiment s’inscrit

dans un réseau de politiques publiques

Même si le concept de réseaux de politiques publiques présente des insuffisances, notamment sur l’émergence des sous-systèmes et les liens qui s’opèrent entre eux dans le cadre global d’une politique publique, il n’en demeure pas moins très précieux pour le champ de l’analyse engagée, compte tenu de la diversité des politiques publiques observées. Cette approche n’exclut pas les précédentes. Elle fournit un cadre de lecture supplémentaire des relations professionnelles, utile pour une approche sectorielle. Elle introduit la notion d’interaction, dans la mesure où la politique publique se met en œuvre à différents niveaux à la fois, concept essentiel dans le cadre d’une approche systémique.

B. Jobert 160 observe qu’« une même profession peut être impliquée dans des mécanismes de régulation corporatistes ou se diviser en groupes de pression rivaux selon le contexte sociopolitique ». Elle peut ainsi participer à différentes politiques publiques sectorielles dans

lesquelles elle n’entretient pas les mêmes relations avec l’état.

Sur la base de ces éléments, il est possible d’affirmer que la Fédération Française du Bâtiment participe à un réseau de politiques publiques au sens où l’entendent B. Jobert, M. Ouimet et V. Lemieux et non r. rhodes, car il n’y pas de dépendance financière entre les acteurs de ce réseau. Plusieurs arguments militent dans ce sens.

La FFB entretient des relations d’intensité variable avec l’état : forte pour ce qui concerne le domaine du logement et, globalement, de la construction ; moyenne ou faible avec des ministères disposant d’une compétence transversale. Elle participe à des politiques néocorporatistes lorsqu’elle gère pour le compte de la puissance publique et en liaison avec elle des enquêtes d’activité dans le secteur de la construction ou des organismes techniques participant à la production de normes professionnelles, lorsqu’elle administre un système professionnel de gestion des congés et intempéries pour l’ensemble des entreprises et salariés de la profession. Elle entretient également des relations de type néocorporatiste lorsque, en sa qualité de partenaire social, elle assure, avec d’autres organisations de la profession et avec les organisations syndicales, la gestion de nombreuses structures paritaires dans le domaine de l’emploi et de la protection sociale, ou lorsqu’elle négocie avec les partenaires sociaux. Elle s’inscrit, enfin, dans des politiques de type pluraliste lorsqu’elle se retrouve en

161) J. MEYNAUD. Les Groupes de pression. p. 54.

concurrence avec d’autres secteurs professionnels, dans des domaines ou l’état intervient peu ou lorsqu’elle développe une activité de lobbying traditionnelle, sans participer à la mise en œuvre des décisions publiques. Par ailleurs, disposant elle-même d’un réseau sur l’ensemble du territoire, elle mène des actions à plusieurs échelons et entretient, avec les acteurs publics nationaux et territoriaux, des liens plus ou moins étroits.

Cette approche présente, cependant, une limite pour l’analyse car elle donne une place équivalente à l’état et aux acteurs non étatiques – dont les organisations professionnelles – alors qu’en France, l’état joue un rôle majeur dans la structuration des relations professionnelles. La notion de réseau de politique publique apparaît la plus adaptée pour caractériser la diversité des relations entretenues par la Fédération avec les pouvoirs publics.

Après avoir qualifié les relations que peut entretenir la Fédération du Bâtiment avec les différents acteurs publics et en particulier avec l’état, il convient d’en préciser maintenant les modalités selon leur nature. On s’attachera à montrer, à cette occasion, que selon que l’on est dans une configuration pluraliste ou néocorporatiste, les effets ne sont pas identiques pour la Fédération.