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2. Proposition de recherche et revue de la littérature littérature

4.2. La monnaie complémentaire

4.2.1. Définition de la monnaie complémentaire

Une monnaie complémentaire est un instrument d’échange pouvant être employée en complément à l’argent conventionnel/classique. Son principal objectif est de favoriser le développement durable précisément le développement économique d'un territoire, d’une communauté, ou encore d'un secteur d'activités spécifique. En outre, une monnaie complémentaire ne représente pas un substitut total à l'argent conventionnel/classique mais un complément. Afin de représenter plus facilement l’allure d’une monnaie complémentaire, vous trouvez en annexe II, page 172, un exemple du Sol-Violette de Toulouse. De plus, il existe une différence significative entre l’argent conventionnel/classique et la monnaie complémentaire.

En effet, cette disparité réside dans la nature légale de ces mécanismes d’échange ainsi que dans leur fonctionnement et leur utilisation. L’État impose une unité monétaire officielle afin de pouvoir percevoir des impôts et des taxes auprès de personnes physiques et morales. Ainsi, une monnaie est considérée complémentaire au moment où elle est créée et échangée dans un espace à échelle nationale. La naissance d’une monnaie

complémentaire provient d’une prise de conscience collective que l’argent conventionnel pose quelques problèmes et ne remplit pas ou plus totalement leurs fonctions initiales. Il est donc pertinent d’être à l’écoute des populations et leur permettre de s’exprimer davantage dans leurs rapports d’échange. Pendant plus de 3 décennies, de 1983 à 2012, environ approximativement 4'500 types de monnaies, de crédits communautaires et de systèmes financiers alternatifs pourraient avoir apportés, sans preuves communément acceptées, l'intégration économique par la réciprocité, la redistribution, le partage et plus encore la solidarité et la protection pour le développement régional ou local. La finance alternative, le crédit clearing, les monnaies communautaires et complémentaires, de 2'600 à 3'418 dans le monde entier2, ont l’habitude d’être appelés monnaies créatives, novatrices, pionnières, avant-gardiste, moderne, ou monnaies d'impact3 pour se différencier de l'argent conventionnel, habituel, traditionnel, usuel, standard et ordinaire4 (LIETAER et alii, 2008 ; SEYFANG et alii, 2013 ; PLACE et alii, 2013b).

Ces monnaies se distinguent selon les caractéristiques suivantes :

Tableau 3 : Différents types de biens, de services et de systèmes d’échange répertoriés Monétaire

Marché Régulier Avec intermédiaire d’échange

Non-Monétaire Marché de Troc Avec intermédiaire d’échange Crédit Mutuel

À partié avec l’argent conventionnel ou pas Possession abusive pénalisé ou pas

Troc Bilatéral

À partié avec l’argent conventionnel ou pas Monnaie Émise

À partié avec l’argent conventionnel ou pas Soutenu par un avoir cours ou pas Convertible en argent conventionnel ou pas

Avec fonte ou sans

Troc Multilatéral

À partié avec l’argent conventionnel ou pas

Systèmes d’Échanges Innovants Pas encore conceptualisé Source : PLACE et alii, 2013b

Ces monnaies se matérialisent de plusieurs manières et restent accessibles et simples pour les utilisateurs. Reflet de commodité et de modernité, plusieurs chercheurs soulignent la pertinence et l’efficacité de ce système. En effet, des sites de Web sociaux accessibles sur Internet grâce à un téléphone portable ont créés leur propre monnaie virtuelle pour échanger leurs marchandises et services. La monnaie complémentaire peut ainsi avoir un format physique avec les billets et pièces de monnaie ou un format digital avec un carte à puce gérée avec un terminal informatique voir une monnaie virtuelle sur Internet gérée avec une base de données informatique (PLACE et alii, 2013b ; BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE, 2012).

2 En 2007, environ 2'600 monnaies complémentaires et communautaires ont été développées dans le monde, dont 55 % en Europe, 36 % au Japon, 5 % aux États-Unis d'Amérique et Canada, 3 % en Australie et la Nouvelle-Zélande et seulement 1 % dans le reste du monde (LIETAER et alii, 2008). En 2012, 3'418 projets locaux liés aux monnaies complémentaires et sociales ont été identifiés dans 23 pays à travers 6 continents dont 68.3 % en Europe, 16.6 % en Asie, 9.8 % en Amérique du Nord, 2.7 % en Amérique du Sud, 7.7 % en Australie et en Nouvelle-Zélande et 0.9 % en Afrique. Parmi les 39 réseaux nationaux identifiés, 55.3 % étaient en croissance (12.5 ans d'existence), 15.8 % étaient stables (14.5 ans d'existence), 28.9 % déclinaient (17.8 ans d'existence) (SEYFANG et alii, 2013).

3 Egalement appelée alternative, complémentaire, communautaire, locale, allouée, sociale, mutuelle, d’assistance, verte, plurielle, parallèle, virtuelle, occasionnelle, exceptionnelle, à valeur ajoutée, monnaie dynamique ou en mouvement. Parfois aussi appelé système d’échange commercial.

Leur statut légal est dans une zone grise :

Tableau 4 : Statut légal des monnaies

Statut Légal

Non-régulé Certains types de monnaies locales Monnaie virtuelle

Régulé Billets et pièces de monnaie

E-monnaie (Monnaie Électronique)

Argent des banques commerciales (dépots)

Physique Digital

Format Monétaire Source : BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE, 2012 Et leurs objectifs varient en fonction de leur modalité et leur vision :

Tableau 5 : Objectifs subjectifs des systèmes de monnaies complémentaires en fonction de leur typologie Margrit KENNEDY / Bernard

LIETAER (2004) Social - Commercial

Jérôme BLANC (2011) Communauté Territoire Economie

Jens MARTIGNONI (2012) Orienté vers les autres (servir tout le monde) - Orienté vers soi (servir les individus) Gill SEYFANG / Noel LONGHURST

(2012) Solidarité locale Réutilisation Liquidité

Source : PLACE et alii, 2013b

Que ce soit des crédits mutuels, des monnaies émises, des trocs bilatéraux ou multilatéraux, qu’elles soient digitales ou physiques, ces monnaies complémentaires, pour la plupart non régulées, sont soit orientées vers des aspects sociaux, communautaires, locaux ou solidaires, soit vers des aspects commerciaux, économiques, individuels et de liquidité.

L’idée principale des monnaies complémentaires, qu’elles soient monétaires ou non monétaires (troc), qu’elles soient commerciales ou solidaires, est de promouvoir non seulement la pluralité des systèmes afin d’améliorer la résilience monétaire globale mais aussi de concevoir les modalités appropriées pour atteindre la vision d’un développement durable d’une communauté, d’un territoire, d’un secteur d’activité. Reconcevoir la monnaie comme un outil d’échange de richesses au service d’un but et non l’inverse.

Enfin, il devient nécessaire de se questionner sur le rôle et les principales fonctions de la monnaie complémentaire. Nous avions précédemment évoqué la valeur que nous attribuons à l’argent conventionnel/classique faisant naître un pouvoir de l’argent auprès du détenteur. Mais pourrions-en faire autant avec une monnaie complémentaire ?

4.2.2. Théorie de Gesell

Prétendue valeur

Qu'est-ce que la valeur ? Comment la définir ? S'agit-il d’une substance, d'une force, d'un élément tangible, d'une perception ?

Pour répondre à ces questions, attardons-nous sur la signification du mot "valeur" :

« L'or et l'argent étant universellement appréciés, on amassait ces métaux pour se réserver du pouvoir d'achat : ils servaient donc de réserves de valeur. Bientôt les monnaies ne furent plus de simple instruments d'échange : l'usage se répandit de mesurer la valeur de tous les produits à celle de la monnaie. La monnaie devint une mesure de valeur. Nous estimons toutes les valeurs, en monnaie. Toutes les variations de valeur, nous les percevons comme des changements par rapport à la valeur de la monnaie. La valeur de la monnaie semble service, pour tout, de commune mesure. » (ARENDT, 1893).

« L'idée de valeur, un dogme voilé de l'économie politique [..] la valeur est une chimère, un pur produit de l'imagination. » (GESELL, 1948).

Système atypique : la monnaie franche ou fondante

La monnaie franche que l’on nomme également la monnaie fondante désigne la monnaie que l’on emploie comme instrument d’échange et qui se déprécie à intervalle fixe. Par exemple de 2% par trimestre ou 6% par an. La monnaie franche est une monnaie qui, comme les biens de consommation tels que la nourriture ou les vêtements, perd de sa valeur au cours du temps. C’est Jean Silvio GESELL, un commerçant allemand, économiste autodidacte, réformateur monétaire qui conceptualisa la monnaie franche en 1916, au sein de son ouvrage intitulé L’ordre économique naturel, suite à son expérience de commerce en Argentine (GESELL, 1948).

Figure 4 : Exemple de monnaie franche émise à Wörgl en Autriche en 1932

Source : LIETAER et alii, 2008

Le concept de la monnaie fondante donne un avantage au producteur de biens et de services par rapport au détenteur de la monnaie, car sa valeur a la caractéristique de fluctuer dans le temps. Partant de ce constat, le consommateur est incité à utiliser au plus vite son moyen de paiement pour éviter qu’il perde de sa valeur. Selon la théorie de Silvio GESELL, l'argent devrait être uniquement un moyen d'échange couvert par la seule confiance dans le travail et l'activité du peuple. Aussi, il insistait sur le fait qu'une monnaie qui diminue progressivement sa valeur aurait une circulation plus rapide et augmenterait la productivité comparée à une monnaie permettant la thésaurisation (GESELL, 1948).

Nous pouvons relever plusieurs expériences positives qui ont eu lieu lors de la grande dépression comme à Schwanenkirchen5 en 1930 ainsi qu’à Wörgl6 en 1931. Cependant, malgré un succès certain de ces monnaies, elles

furent interdites car jugées comme trop concurrentielles par l’Etat et les banques, émetteurs exclusifs de l’argent conventionnel/classique. Fortement critiqué par ses homologues économistes académiques, mis à part Irving FISCHER7, Silvio GESELL était perçu comme un économiste atypique et autodidacte (GESELL, 1948). Partant de ce constat, nous pouvons nous demander si le courant dominant des économistes a une préférence pour les théories économiques abstraites éloignées de la réalité plutôt qu’aux expériences concrètes, issues d’une observation de terrain, apportant souvent un impact pertinent pour les communautés et les territoires.

Aujourd’hui Bernard LIETAER est l’un des rares économistes à soutenir la monnaie fondante. Dans de nombreux travaux, il identifie trois périodes clés durant lesquelles la monnaie fondante était en circulation : la période de l’Égypte antique, le Moyen Âge en Angleterre, et lors de la crise économique de 1929. Il faut noter que les deux premières périodes étaient fastes sur le plan économique et social (LIETAER, 2011).

Illustration de la monnaie fondante appliquée aux Systèmes d’Échanges Locaux (SELs)

Le système d’échange local organise de manière souple et conviviale les échanges locaux de services, de compétences et de biens. Il coordonne des offres et des demandes, permet aux gens de se rencontrer dans un réseau et valorise le savoir-faire. Les biens et les services échangés à l’intérieur de l’Association SEL sont rétribués en une monnaie locale créée à cet effet. C’est la particularité de ce système (LIETAER et alii, 2008).

La fonte, ou taux d’intérêt négatif, peut aussi être perçu comme une contribution à la circulation de la monnaie et à la non-thésaurisation de celle-ci. Ainsi, il existe plusieurs SELs qui appliquent un taux d’intérêt négatif et s’adapte à l’état des échanges. Le taux d’intérêt conseillé par Silvio GESELL s’élève annuellement à 6%, soit à environ 0.5% par mois (GESELL, 1948). Malgré ces préconisations peu de SELs appliquent ce taux.

En pratique, la monnaie franche peut être mise en place de la façon suivante : Tableau 5 : Monnaies franches Les monnaies franches peuvent :

1 Avoir une durée limitée d’utilisation. Il est possible de convertir les monnaies franches dont la durée d’utilisation est dépassée par de l’argent conventionnel/classique

2 Etre perçues comme contraignantes. Souvent sous la forme de coupon, lors d'un achat, nous devons détacher chaque jour un morceau du coupon. Il perd alors progressivement de sa valeur

3 Avoir ou comporter des cases mensuelles. Il faut mensuellement coller un timbre représentant x% de la valeur du billet pour qu’il puisse encore circuler sur le marché

4 Etre une monnaie électronique perdant par mois x% de sa valeur