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Les moments premiers du changement

Dans le document CLAN9 LA PHYSIQUE ARISTOTE (Page 93-97)

LIVRE VI: LE MOUVEMENT ET SES PARTIES

Chapitre 5: Les moments premiers du changement

Le changement de fait et le changement en train de se faire.

Puisque tout ce qui change, change d’un terme à un autre, nécessairement ce qui a changé est, au moment premier où il a changé, dans le terme vers lequel il a changé. En effet, ce qui change sort du terme initial du changement et le quitte; alors, ou bien le fait de changer et celui de quitter sont identiques, ou bien le fait de quitter est une suite de celui de changer. Si le fait de quitter est une suite de celui de changer, le fait d’avoir quitté est une suite du fait d’avoir changé; car c’est le même rapport dans les deux cas.

Puis donc qu’il faut compter parmi les changements le changement par contradiction, quand le sujet a changé du non-être à l’être, il a quitté le non-être; il sera donc dans l’être, car il faut que tout, ou soit, ou ne soit pas. On voit donc que, dans le changement par contradiction, ce qui a changé est dans le terme vers lequel il a changé. Or, s’il en est ainsi pour ce changement, de même pour les autres; car ce qui vaut pour un vaut pour tous.

‘ En outre, on le verrait aussi en examinant chaque changement, puisque ce qui a changé doit être forcément quelque part ou dans quelque chose. En effet, puisque ce qui a changé a quitté le terme initial du changement et qu’il doit forcément être quelque part, ce sera, soit dans le terme vers lequel il a changé, soit en un autre. Si c’est en un autre, par exemple en T pour le changement dont B est le terme final, partant de nouveau de T, il change vers B; car T n’est pas contigu à B puisque le changement est continu. Par suite, ce qui a changé, au moment où il a changé est en train de changer vers le terme final de ce changement achevé. Or c’est impossible; donc nécessairement ce qui a changé est dans le terme vers lequel il a changé.

On voit donc aussi que ce qui a été engendré, au moment où là génération en a eu li existera, et que ce qui a été détruit n’existera pas. Car ce qui précède vaut, en général, pour tout changement, mais c’est surtout visible pour le changement par contradiction.

Indivisibilité du moment premier.

Que ce qui a changé au moment premier où il a changé est dans le terme en question, on le voit. Quant au moment premier où a changé ce qui a changé, il est nécessairement indivisible (j’entends par premier ce qui est tel sans que le soit, pour autant, une chose autre que la chose elle-même). Soit, en effet, supposé divisible AT ce moment premier; divisons-le selon B. Si donc le changement est accompli en AB ou encore en BT, AT ne sera pas le terme premier du changement accompli. Si maintenant le changement était en train de se produire dans l’un et l’autre (nécessairement en effet le changement doit, ou être accompli, ou être en train de se produire dans l’un et l’autre), il sera aussi en train de se produire dans le tout; mais on a supposé le changement accompli. Même conclusion si l’on suppose le changement en train de se faire dans une partie, accompli dans l’autre; il y aurait en effet un terme [ainsi BT] plus premier que le premier; donc le terme où le changement est accompli ne peut être divisible.

On voit donc que ce qui a été ou détruit ou engendré a été détruit ou engendré en un indivisible.

Le moment premier.

Mais le moment premier où le changement est accompli se prend en deux acceptions: d'une part, c est le moment premier où le changement a été porté à son terme (alors, en effet, il est vrai de dire que le changement est accompli); d’autre part, c’est le moment premier où le changement a commencé de se produire. Le moment qui est dit premier selon le terme du changement est donc réel et il existe; car un changement peut être porté à son terme, et il existe un terme de changement duquel on a démontré qu’il est indivisible parce que c’est une limite.

Non existence du moment premier initial quant au temps.

Quant au terme qui est selon le commencement, il n’existe absolument pas; car il n’y a pas de commencement du changement, et pas davantage, dans le temps, de moment premier où la chose se soit mise à changer. Soit en effet AD, ce moment premier. Il n’est pas indivisible, car il en résulterait que les instants sont contigus. En outre, si dans tout le temps [précédent] TA, il y a repos (supposons-le), il y aura repos aussi en A; par suite si AD est sans parties, il y aura en même temps repos et changement accompli, repos en A, changement en D. Donc, puisqu’il n’est pas sans parties, il doit être divisible et le changement doit être accompli en l’une quelconque de ses parties; en effet, A étant divisé, si le changement n’est accompli dans

aucune, il ne le sera pas dans le tout; s’il y a d’autre part changement en train de se faire dans ses deux parts, de même dans le tout; si enfin le changement est accompli dans l’une des deux, ce ne sera pas dans le tout comme moment premier. Par suite il doit être changement accompli en l’une quelconque des parties. On voit donc qu’il n’y a pas de moment premier où il y ait changement accompli; car les divisions vont à l’infini.

Quant au sujet.

Pas davantage il n’y a pour le sujet changeant de terme premier du changement accompli. Soit en effet DZ, terme premier du changement accompli de DE; tout ce qui change, on l’a démontré [chap. 4 début], est divisible. Soit OI le temps pendant lequel AZ a réalisé son changement. Si donc DZ a accompli son changement pendant tout OI, dans la moitié de ce temps une moindre partie aura accompli son changement et ainsi sera antérieure à DZ, et de nouveau une autre, antérieure à celle-ci, et une autre encore à cette dernière, et ainsi de suite indéfiniment. Par conséquent, il n’y a aucun terme premier du sujet qui change qui ait accompli son changement.

Quant au domaine.

Donc il n’y a pas de terme premier, ni du sujet qui change, ni du temps du changement: on l’a vu d’après ce qui précède. Mais il n’en est plus de même pour ce qui précisément change, c’est-à-dire pour ce selon quoi il y a changement. En effet on énonce trois termes par rapport au changement: le sujet, le domaine, le terme final: par exemple l’homme, le temps, le blanc.

Or l’homme et le temps sont divisibles. Mais pour le blanc c’est une autre affaire; certes par accident tout est divisible, oui; car le sujet dont le blanc ou la qualité est attribut, voilà ce qui est divisible. Et. dans tout ce que nous disons en effet divisible en soi et non par accident, ce n’est pas là non plus que nous trouverons le moment premier; ainsi dans les grandeurs. Soit en effet une grandeur AB, et soit T le moment premier vers lequel aura eu lieu le mouvement parti de B; si BT est indivisible, il y aura contiguïté entre choses sans parties; mais s’il est divisible, il y aura un moment premier de l’achèvement du mouvement qui sera antérieur à T son terme final, et un autre encore, antérieur à celui-ci, et ainsi de suite indéfiniment parce que la division ne s’arrête jamais; par conséquent il n'aura pas de moment premier vers lequel il y aura eu changement accompli. De même aussi pour le changement quantitatif, car celui-là se fait encore dans le continu. On voit donc que c’est seulement dans le mouvement selon la qualité qu’il peut y avoir un indivisible en soi.

Chapitre 6: Le changement achevé et le changement en train de se faire.

Préliminaires.

Tout ce qui change, change dans le temps. Or ce changement dans un temps est considéré, soit comme premier, soit relativement à un autre (ainsi rapporter à l’année le changement qui se passe dans un jour de celle-ci). Il est donc nécessaire que le changement se produise dans une partie quelconque du temps premier du changement. C’est d’abord évident par définition (ainsi a été défini le "premier" [page 51]); mais on le voit encore par ce qui suit.

Soit XP, le temps où se meut le mû, comme temps premier, et divisons le en L (tout temps en effet est divisible). Dans le temps XK, ou il se meut, ou il ne se meut pas; même alter native pour KP. Maintenant, s’il ne se meut ni dans l’un ni dans l’autre, il sera en repos dans le tout;

car il est impossible que le tout se meuve s’il n’est mû dans aucune de ses parties. Si enfin il

se meut seulement dans l’une, il ne se mouvra pas dans XP comme temps premier, car son mouvement se fait relative ment à un autre temps. Donc il est nécessaire qu’il ait accompli son mouvement dans une partie quelconque de XP.

Le mouvement achevé précède le mouvement en train.

Ceci démontré, on voit que tout ce qui se meut doit être passé par des états antérieurs de mouvement achevé. En effet, si la grandeur KA a accompli son mouvement pendant XP comme temps premier, dans un temps moitié ce qui se meut d’une vitesse égale et qui a commencé en même temps aura accompli un mouvement moitié. Mais, si ce qui est de vitesse égale a accompli un mouvement dans le même temps, nécessairement l’autre mobile doit avoir accompli un mouvement de la même grandeur. Par suite, ce qui se meut aura passé par des mouvements accomplis.

En outre, quand on dit: le mouvement est accompli dans le tout du temps XP ou, d’une façon générale, dans une partie quelconque de ce temps, et cela en considérant l’extrémité du temps, à savoir un instant (car c’est l’instant qui délimite, et l’intervalle des instants est le temps), on pourra semblablement dire qu’il a achevé son mouvement dans les temps antérieurs. Or le point de division de la moitié du temps est une extrémité. Par suite, le mobile aura passé par un mouvement accompli dans la moitié et, en général, dans une partie quel conque du temps;

en effet, du fait même qu’il est sectionné, le temps se trouve délimité par les instants. Si donc tout temps est divisible et si l’intervalle des instants c’est le temps, tout ce qui change aura passé par une infinité de changements accomplis.

En outre, si le sujet qui change d’une façon continue, sans être détruit, sans cesser de changer non plus, doit, ou être en train de changer, ou avoir accompli son changement dans une partie quelconque du temps; si, d’autre part, il ne peut y avoir de changement en train de se faire dans l’instant, il faut qu’il ait accompli son changement selon chacun de ces instants. Par suite, si les instants sont en nombre infini, tout ce qui change aura passé par une infinité de changements accomplis.

Le changement en train précède le changement achevé.

Mais il ne faut pas dire seulement que ce qui change doit être passé par des états de changement accompli, il faut dire encore que ce qui a accompli son changement a dû auparavant être en train de changer. Car tout ce qui a accompli son changement à partir d’un terme vers un autre a accompli son changement dans le temps. Supposons en effet qu’une chose ait accompli dans l’instant son changement de A vers B; assurément ce n’est pas dans l’instant où elle est en A qu’elle a accompli son changement, car elle serait alors à la fois en A et en B; en effet la chose qui a changé, dans le temps où elle a changé, n’est pas dans ce premier terme, on l’a montré plus haut [chap. 5 début]. Si c’est dans un autre, il y aura donc un temps intermédiaire, car les instants ne sauraient être contigus. Puis donc que c’est dans un temps qu’elle a changé et que tout temps est divisible, dans le temps moitié elle aura accompli un autre changement, et de nouveau un autre dans la moitié de celui-ci, et ainsi sans fin. Par suite le changement en train de se faire sera antérieur au changement accompli.

Enfin, dans le cas de la grandeur, ce qu’on vient de dire est encore plus net par suite de la continuité de la grandeur, domaine du changement de ce qui change. Soit en effet un changement accompli de T vers D. Si TD est indivisible, une chose sans parties sera contiguë à une chose sans parties; mais, puisque c’est impossible, il est nécessaire que l'intervalle soit

une grandeur c’est-à-dire qu’il soit divisible à l’infini; par suite tin changement en train de se poursuivre selon ces divisions aura précédé. Donc il est nécessaire que tout ce qui est en changement accompli ait passé auparavant par un changement en train de se faire.

La même démonstration, ajouterai-je, s’applique au cas des choses non continues, ainsi aux contraires et à la contradiction: on n’a alors qu’à prendre le temps où le changement est accompli, et on répétera le même raisonnement.

Conclusion.

En conséquence, il est nécessaire que ce qui a accompli son changement soit en train de changer et que ce qui est en train de changer ait été auparavant changement accompli, le changement accompli étant antérieur au changement en train de se faire et celui-ci à celui-là;

et jamais on ne saisira celui des deux qui est premier. La cause en est que jamais une chose sans parties n’est contiguë à une chose sans parties, car la division va à l’infini, comme pour les lignes progressivement augmentées ou réduites.

On voit donc que forcément ce dont la génération est accomplie a été en train de s’engendrer et que ce qui est en train de s’engendrer a été engendré, et ceci pour tout ce qui est divisible et continu; cependant ce n’est pas toujours vrai du sujet engendré lui-même, mais quelquefois d’autre chose que lui, par exemple d’une de ses parties: ainsi, pour la maison, les fondements.

De même pour ce qui est en train de se détruire et pour ce dont la destruction est accomplie.

Car une certaine infinité appartient immédiatement à ce qui est engendré ou détruit, en tant au moins que c’est du continu Et il n’est pas possible; ni que rien soit en train de s’engendrer sans avoir été engendré, ni engendré sans avoir été en train de s’engendrer. De même pour la destruction en train de se faire et la destruction accomplie; car la destruction accomplie sera toujours antérieure à la destruction en train de se faire, et celle-ci à celle-là.

On voit donc bien que ce qui a été engendré doit avoir été en train d’être engendré, et que ce qui est en train d’être engendré doit avoir été engendré, puisque toute grandeur et tout temps sont divisibles à l’infini; par suite, dans quelque grandeur ou temps que le changement soit, il n’y est jamais comme dans un terme premier.

Dans le document CLAN9 LA PHYSIQUE ARISTOTE (Page 93-97)