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Modes de traitement et mobilisation des données dans la thèse

Chapitre 1. Une ethnographie itinérante et combinatoire Matériaux et méthodes

III. Modes de traitement et mobilisation des données dans la thèse

1. La mobilisation des données dans la thèse

1.1. Une gestion différenciée des corpus

L'usage classique des sources ethnographiques

Entretiens et observations participantes seront mobilisés dans chacune des quatre parties de la thèse, dans un usage classique.

Les données issues de la presse, des médias en général, et les productions artistiques et documentaires seront principalement mobilisées dans la 1ère et la 4ème partie.

Les données d'observation recueillies dans les instances locales et régionales du Plan algues vertes, dont la mise en œuvre a occasionné un nombre considérable de réunions sur un pas de temps très court, irrigueront l’ensemble  du  texte,  mais  plus  particulièrement  les  chapitres  10  et  12.  Trois  orientations  principales  ont  guidé   mon travail de collecte et d'analyse. Elles nécessitent de passer par différents niveaux de description. De façon générale, il s'agit d'abord de saisir la matière de l'expérience des personnes et des groupes qui sont amenés à participer. Pour ce faire, je décrirai d'abord comment ces espaces se livrent à l'observateur, instantanément et dans la durée. Je m'appuierai ensuite sur les éléments de narration recueillis auprès de participants pour tenter de caractériser leur singularité. Il s'agit ensuite de comprendre comment ces cadres se trouvent débordés, transformés, adaptés...et quelle est leur performativité, pour que certaines questions soient, ne soient pas abordées, ou le soient de telle ou telle façon. Parmi les individus et les groupes, certains participent à construire les cadres et d'autres ont à s'y insérer. Mais la distinction est-elle vraiment pertinente ? Je considèrerai que tous participent, à des degrés divers, à les configurer. Il s'agira alors de décrire ces principes, ces règles et les circonstances de leur transgression, tels que les acteurs les énoncent et les interprètent. Il faudra en particulier s'attacher à analyser ce que les innovations en matière de gouvernance affichées à l'origine comme de nature à renforcer la capacité des acteurs à prendre en charge le phénomène (appel à projets de territoire, introduction d'une expertise permanente avec le Comité scientifique, association des acteurs économiques agricoles...) ont produit. J'utiliserai aussi ce matériau pour comprendre la négociation entre faits et valeurs qui s'opère dans ces espaces, en décrivant les circonstances précises dans lesquelles il est fait appel à des éléments de connaissances et à des jugements sur leur validité.

Les méthodes moins classiques et leur traitement

Les délibérations des communes littorales comme source ethno-historique

Ce corpus peut paraître singulier dans le cadre d'une approche ethnographique. Singulier, d'abord, parce qu'il s'agit de sources écrites, qui ne sont en général utilisées en ethnologie que comme des sources complémentaires, destinées notamment à apporter des éléments de contextualisation. Singulier, ensuite, par son ampleur : il a fallu examiner toutes les séances de Conseil en parcourant les registres de délibérations, sélectionner les délibérations qui paraissaient pertinentes, les photographier sur place, puis constituer une base de données conséquente en classifiant les délibérations, ce qui m'a parfois donné du fil à retordre. Pourquoi se donner tant de peine ? Parce qu'il ne m'a pas paru exister, en appliquant un principe basique de parcimonie, de meilleure source pour comprendre comment (et si) la problématique des algues vertes émerge localement et pour rendre compte de la complexité et de l'évolution de la question au fil du temps. Cela vaut peut-être d'être mentionné : pour avoir longtemps fréquenté à titre professionnel ce type de textes, j'en connais les formes, les contraintes, les silences et la richesse. Les délibérations de Conseil municipal

contiennent à des degrés variables de l'expression spontanée d'élus pris sur le vif, des remontées souvent très directes de riverains, de représentants de groupes professionnels...Y apparaissent les tensions qui naissent inévitablement de la rencontre entre des dispositions et législatives et réglementaires à caractère général et des situations locales qui débordent perpétuellement ces cadres. On y rencontre des frustrations, des colères, des revendications qui sont, tant bien que mal, traduites en décisions que l'on espère justes et apaisantes. Bref, c'est l'un des lieux où les mécanismes de l'institutionnalisation sont les mieux perceptibles pour l'observateur. C'est sans doute moins vrai aujourd'hui, parce que les formats des délibérations se sont standardisés, mais cela l'était encore dans les périodes qui sont cruciales pour notre compréhension. Aussi est-ce   à   mon   avis   une   source   digne   d'intérêt   lorsqu’on   s'intéresse   de   près   à   la   façon   dont   les   institutions   « pensent », selon l'expression de Mary Douglas, c'est-à-dire dont elles cherchent à organiser, nommer, catégoriser le réel pour décharger l'individu de ce poids (Douglas, 2004). Au delà de cette lecture globale, une approche plus fine permet de percevoir les enjeux de pouvoir, la fabrique du consensus ou les modes de gestion des conflits par un petit groupe de conseillers municipaux qui, bien souvent, occupent des positions centrales dans la société locale, ainsi que les représentations qu'ils embarquent avec eux.

La   deuxième   raison   qui   m’a   poussée   à   un   haut   niveau   de   détail   dans   l’examen   de   ce   corpus   est   la   mobilisation régulière,  par  l’ensemble  des  acteurs  engagés  dans  les  débats  qui  entourent  la  prise  en  charge   des marées vertes – et ceux-ci sont nombreux –,   de   références   à   des   événements   passés   de   l’histoire   régionale  et  à  l’histoire  locale.  Il  paraît  de  ce  fait  crucial de « restituer  les  actions  du  passé  dans  l’horizon   effectif des attentes de leurs auteurs, (pour) veiller à ne pas projeter sur les faits passés la connaissance que nous  avons  des  suites  auxquelles  ils  donnèrent  lieu,  (et  pour)  rendre  compte  de  l’indétermination relative qui a présidé aux actions passées, indétermination que la survenue même de ces actions a souvent eu pour effet d’effacer »   (Barthe  et  al.,  2013).   En  ce   sens,  c’est  à  restituer   aux  expériences   plurielles   des   marées   vertes   leurs temporalités propres et à analyser les usages présents du passé que la mobilisation de ces sources contribue (Cerutti, 1991, 2008 ;;  Lepetit,  2013;;  Offenstadt  et  Van  Damme,  2009).  A  titre  d’exemple,  on  peut   ainsi relever le fait que les délibérations communales sont épisodiquement évoquées par certains acteurs lorsqu'il s'agit d'argumenter sur l'antériorité du phénomène ou de la mobilisation des élus locaux. Elles portent une charge d'administration de la preuve (encadré 3).

Encadré 3. Les délibérations communales comme outil d'administration de la preuve : l'exemple de P.

Juin 2012.

J'ai rendez-vous un samedi avec le Maire de S. Le bureau de poste et la Mairie de cette petite commune communiquent. Tandis que je l'attends, la postière engage la conversation. Elle aimerait savoir, je le comprends vite, ce qui m'amène, car le bourg et les services publics sont bien calmes, en ce matin d'avant-saison. Je lui explique l'objet de mes recherches, et que je compte interroger le Maire à ce sujet. « Oh, les algues vertes, ça a toujours existé ! », s'exclame-t- elle. Elle m'indique alors qu'elle sait de source sûre qu'existe une délibération de la commune de P., voisine, dans les années 1920, qui fait état d'épisodes d'échouage. C'est une personne de sa famille qui lui en a parlé. Trois mois plus tard, je me rends à la Mairie de la commune de P. Je consulte avec attention tous les registres, depuis la fin du XIXème siècle. Celui qui couvre les années 1920 à 1950 est le seul registre manquant. Il n'a pas été consulté depuis de très nombreuses années. « Jamais », me dit la secrétaire de Mairie, qui est là de longue date.

Il s'agit aussi d'une forme un peu particulière d'ethno-histoire, pas au sens originel (Brunschwig, 1965)54,

mais dans une définition qui trouve à s'appliquer dans l'ethnologie du proche et du contemporain : parce qu'il s'agit  d'une  histoire  endogène,  d’un  discours  sur  soi,  d'une  mise  en  scène  de  la  qualité  de  la  gestion  collective  

54 Pour Brunschwig, « L'ethno-histoire (expression récente et discutée) n'est à vrai dire qu'une branche de l'histoire

totale, celle-ci ayant aujourd'hui l'ambition légitime de déborder ses limites classiques et de s'étendre à la planète. Elle pourrait être définie : L'ensemble des méthodes permettant d'étudier l'histoire des peuples sans écriture. »

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des affaires publiques. Mais, aussi, une ethno-histoire parce qu'on accorde une place importante à la dimension temporelle dans l'analyse de la problématique. Je retiens donc la définition proposée par Izard et Wachtel (2010)

« Est ethnohistoire l’ensemble des procédures de mise en relation du présent au passé à l'intérieur d'une société ou d'un groupe, dans son langage et en référence à ses valeurs et à ses enjeux propres ; l'ethnohistoire devient une histoire sui generis, que la société ou le groupe constitue pour son seul usage, l'historicité s'exprimant à travers un souci – universellement partagé- d'avoir une histoire. [...] On aboutit finalement à un élargissement en apparence paradoxal de la définition de l'ethnohistoire : au lieu qu'elle soit l'histoire des ethnologues, ce serait celle qui combinerait au mieux les techniques des historiens et des ethnologues. L'ethnohistoire se confondrait alors avec l'histoire régressive au sens de Marc Bloch, sorte d'histoire à rebours, telle qu'à partir de ce qui, du passé, demeure vivace dans le présent, on s'efforce de reconstituer le cheminement d'un devenir, avec ses lacunes et ses oblitérations, ses redondances et sa part d'invention ». (Izard et Wachtel, 2010 : 337-338)

Le corpus est de ce fait exploité de plusieurs manières. D'abord, je l'utiliserai pour situer le problème dans un ensemble de questions et d'enjeux environnementaux auxquels les communes sont confrontées. Il s'agira, ce faisant, de mettre en évidence la façon dont elles cadrent et situent la problématique des algues vertes dans une histoire et dans une trajectoire de développement, et la façon dont ces cadrages évoluent. Ensuite, je l'utiliserai pour mettre en relief les traductions qui s'opèrent dès l'espace micro-local lorsqu'il s'agit de publiciser le problème : ces sources seront donc utilisées par comparaison avec des témoignages concernant les relations entre élus et habitants sur les communes, notamment en ce qui concerne l'alerte, le mode de formulation des problèmes, les enjeux qui y sont attachés par les élus etc. Enfin, il m'aidera à réaliser une typologie des formes possibles de prise en compte par les communes du phénomène, en réalisant des comparaisons entre communes. Ces comparaisons peuvent s'effectuer à l'échelle d'une seule baie, entre communes voisines, ainsi qu'entre les trois baies étudiées.

Au delà de l'intérêt qu'il présente en lui-même, le corpus des délibérations présente aussi, par ce fait même, un certain nombre de limites intrinsèques, qui nécessitent l'utilisation de sources complémentaires issues de l'enquête ethnographique. La deuxième partie s'efforcera de les articuler.

La fouille des bases de données scientifiques pour caractériser le paysage de la recherche

En  l’absence  d’une  littérature qui permette de caractériser suffisamment le paysage de la recherche sur les algues,  j’ai  pris  appui  sur  la  scientométrie,  qui  permet  d’approcher  par  les  grands  nombres  la  structuration   des réseaux scientifiques et leur dynamique (Callon et al., 1986 ; Callon et al., 1993). Les résultats obtenus seront  croisés  avec  ceux  qui  sont  issus  de  l’enquête  ethnographique,  notamment  des  entretiens  menés  avec   les chercheurs en écologie et en biologie marine. Ce croisement de méthode permet de produire une analyse plus robuste (Velden et Lagoze, 2013), dans   le   chapitre   2,   d’éclairer   les   conditions   de   production   des   connaissances scientifiques et la façon dont elles contribuent à faire émerger des cadres généraux d'analyse des problèmes de proliférations algales.

L’analyse de co-citations  constitue  une  méthode  d’analyse  classique    en  scientométrie.  Elle  postule  que  deux   documents, deux auteurs, deux journaux se citant mutuellement peuvent être considérés comme entretenant ou  témoignant  de  l’existence  d’une  relation  intellectuelle (Small, 1973 ; Bellardo, 1980 ; Riviera, 2012). Ici, j’ai  choisi  de  travailler  sur  la  base  des  co-citations de journaux, parce que le champ couvert était très large et que,  n’étant  pas  moi-même spécialiste du sujet, je ne pouvais que marginalement identifier, par exemple, les auteurs des articles.

Ce  même  corpus  est  également  exploité  au  travers  d’une  analyse  sémantique,  c’est-à-dire à partir des termes mentionnés dans les articles. Cette analyse permet de compléter la précédente en prenant un autre point de vue : celui des espèces étudiées, de leurs liens avec les institutions de recherche et avec les différentes

régions du monde dans lesquelles elles se développent.

1.2. Modes de gestion de l'abondance et de la diversité des sources

La lecture de ce qui précède met en évidence la surabondance des données et leur caractère très hétérogène. La dimension multi-site et multi-échelle de l'enquête, de même que son caractère résolument diachronique, impliquent de pouvoir naviguer entre passé et présent, entre lieux et « non-lieux »55 provisoires, dont la

nature et la liaison à l'expérience restent à interroger.

L'exploitation de chacune de ces sources a pris un caractère souvent systématique, fastidieux, répétitif, difficilement restituable tel quel. Il m'a semblé que, dans le cadre de cette thèse, un niveau élevé d'explicitation méthodologique devait permettre d'en éviter l'épreuve au lecteur, tout en respectant l'impératif de transparence et d'explicitation que requiert la méthode ethnographique.

Il n'y aura donc pas un chapitre par corpus, mais plutôt des tentatives de réflexion sur les usages sociaux et cognitifs que mes interlocuteurs ont fait ou font de ces sources pour construire leur expérience du changement écologique et lui donner un sens, qui accompagnera la progression de mon raisonnement.

2. Les formes de totalisation réalisées par l'analyse

2.1. Le traitement de la comparaison

La démarche anthropologique est –doit être- fondée, selon Claude Lévi-Strauss, sur le procédé comparatif (Lévi-Strauss, 2003), seul à même de mettre en évidence les similitudes et les permanences permettant une montée en généralité et une analyse structurale.

La première question qui se pose à nous provient du changement de perspective qu'induit le travail au sein de sociétés très ouvertes, dans lesquelles individus, idées, connaissances circulent selon des voies multiples et rapides : s'agit-il de comparer des cultures ou des ensembles culturels, entendus comme attachés à l'expérience prolongée d'un ancrage territorial et d'une vie commune ? C'est une question à laquelle il me faut répondre, sous un angle restreint : peut-on observer des traits culturels spécifiques liés à l'expérience du phénomène de prolifération, ce que Greg Bankoff appelle, à partir de son analyse des formes d'adaptation à la multiplicité des catastrophes naturelles au Philippines, des « cultures du désastre » (Bankoff, 2002) ? Ici, les terrains sont de petites aires géographiques éloignées les uns des autres de 50 à 100 kilomètres, et si des traits culturels distinctifs existent, c'est sur la période la plus récente (deux générations) que nous posons notre  regard,  et  sur  un  objet  bien  spécifique.  Les  formes  d’indifférenciation  que  l'enquête  a  permis  de  repérer   dans le traitement institutionnel et médiatique des marées vertes , de même que la construction de catégories globales qui participent à penser le phénomène mettent ainsi en tension expériences localisées et montées en généralité.

Notre effort de comparaison va ainsi porter principalement sur l'analyse des systèmes de gestion et les systèmes d'interprétation localisés et sur leur confrontation avec d'autres grilles d'analyse du phénomène. C'est le sens que revêtira l'analyse comparée de l'histoire socio-environnementale des trois terrains d'étude, développée au chapitre 4. Dans les autres développements de cette thèse, je m'efforcerai de ne pas juxtaposer les monographies, mais plutôt de saisir ces mouvements, ces circulations de sens. De ce fait, la comparaison changera   de   statut   épistémique   :   il   ne   s’agira   plus de comparer des cas mais de considérer chaque entité comme reliée aux autres et intégrée à des réseaux socio-techniques (Callon, 2006).

55 « Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme

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2.2. Un exercice de composition : la clôture de l'enquête

Mon travail s'apparente donc à un exercice de composition. Il me faut retisser, en privilégiant l'intelligibilité pour le lecteur et donc à l'aide de techniques narratives appropriées, une trame qui permette à chacune des sources évoquées dans ce chapitre d'alimenter le propos. Leur diversité fait écho à la pluralité de niveaux de lecture possibles de la problématique des algues vertes.

La clôture de l'enquête ne résulte pas uniquement d'une « saturation » du terrain (Glaser et Strauss, 2010), dans le sens où les catégories que l'enquêteur s'est efforcé de forger à partir de ses données n'évoluent plus significativement par l'adjonction de données nouvelles. Nicolas Dodier et Isabelle Baszanger (1997) distinguent différents modes de clôture de l'enquête, par le biais de trois formes de « totalisation ethnographique » :

« l'ethnographie intégrative a suggéré que l'on pouvait accéder, grâce à des totalisations monographiques, aux entités collectives qui gouvernent les conduites, dès lors que les personnes leur appartiennent ; l'ethnographie narrative a remis en cause, d 'une manière radicale, la façon dont les sciences sociales, et notamment l'ethnographie intégrative, ont prétendu pouvoir rapporter leurs observations à des totalités d'appartenance, s'intégrant à un mouvement plus vaste de critiques de la totalisation en sciences sociales, et se sont engagées dans la production de récits fortement individualisés du fil des enquêtes ; enfin, des pratiques de l'ethnographie ont mis en place des formes de généralisation qui, à partir du travail sur des séries de cas, ne visent pas tant la totalisation des données sur des entités d'appartenance, que la mise en évidence d'une combinatoire entre des formes d'actions hétérogènes, voire contradictoires. » (Dodier et Baszanger, 1997)

La clôture de l'enquête n'est pas que la fin du terrain : elle inclut, aux termes du « pacte ethnographique », également le travail d'ordonnancement des données et leur mise en récit. Elle s'appuie sur des formes de totalisation qui, toutes, posent problème, parce qu'elles supposent l'établissement de frontières établies par référence   à   une   conception   de   l'altérité.   L’ethnographie   combinatoire   se   clôt   par   la   reformulation   d’un   problème.

***

Conclusion

Une ethnographie forcément combinatoire : caractérisation synthétique

de la méthode de recherche

De tout ce qui précède, il résulte que ma démarche s'apparente à ce que Dodier et Baszanger (1997) nomment l' « ethnographie combinatoire » :

« Alors que l'ethnographie intégrative propose à ses lecteurs, lorsqu'elle est réussie, la confrontation à des individus sensiblement différents, l'ethnographie combinatoire offre l'explicitation de ce qui est présent de fait entre nous tous, quoique non nécessairement activé du fait des occasions limitées que nous offrent nos engagements situés : des capacités communes ; ou alors des capacités plastiques, indéfiniment modelables en raison du surgissement des non-humains, auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de transformations incessantes des réseaux socio-techniques. » (Dodier et Baszanger, 1997)

Elle est ainsi combinatoire parce qu'elle cherche à informer sur ce que la situation de confrontation à un phénomène comme les marées vertes nous dit de la façon dont la « crise écologique » a transformé notre rapport aux êtres vivants environnants et dont la mise en évidence du caractère socialement construit de cette

crise déstabilise des ordres et des statuts qui semblaient acquis. Et cette expérience a quelque chose de commun.

Elle est combinatoire également à un autre niveau, parce qu'elle postule que l'expérience de confrontation au phénomène, dans la durée, n'est pas qu'un engagement situé, ici et maintenant. Elle a construit par sédimentation des formes de partage plus restreintes et plus ancrées.

Enfin, elle est aussi une épreuve : celle de la transformation du ou des sens donnés au phénomène, qui débordent largement l'exposition directe à la situation, impliquant des acteurs dont les conditions précises de l'action sont inaccessibles à la description dans le cadre de cette thèse. C'est pourquoi il demeure des éléments d'ethnographie intégrative et d'ethnographie narrative dans ce qui va suivre.

PREMIERE PARTIE

EXISTER ET FAIRE SENS.

LES ALGUES VERTES DANS LA CONSTRUCTION DES PROBLEMES

ECOLOGIQUES CONTEMPORAINS