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Un « modèle » de développement remis en cause

Chapitre 3. Le cas breton Les algues vertes, compagnes indésirables de la modernité

II. Un « modèle » de développement remis en cause

Que de fois, au cours de cette recherche, j'entends parler du « modèle breton » ! S'y trouvent accolés, suivant les circonstances, divers qualificatifs et des descriptions variées : « productif », « productiviste », « de l'élevage hors-sol », « économique », « agricole », « de développement »...

L'évocation du modèle breton s'est chargée, depuis une vingtaine d'années, d'une dimension critique dont elle est aujourd'hui indissociable. La Bretagne est en effet l'une des régions françaises dans lesquelles la performance agricole évaluée selon les critères de la production de masse entre le plus en tension avec des enjeux environnementaux et patrimoniaux locaux, dans un contexte de fragilité du système hydrologique.

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Les conflits autour de ces questions sont anciens et récurrents ; ils ont contribué à construire une polarisation qui s'est consolidée progressivement autour des enjeux littoraux et de l'opposition entre tourisme et agriculture. Dans la construction et dans la formulation de ces clivages, les proliférations d'algues vertes occupent une place croissante.

1. Grandeurs et misères d'un « modèle »

1.1. Le « problème breton »

Dans les années 1950, le développement économique de la Bretagne est vécu par ses élites comme problématique. La population est encore très rurale, le niveau de vie sensiblement plus bas que la moyenne, et le solde migratoire négatif. La région est décrite comme archaïque du point de vue des valeurs et des comportements, cumulant des retards structurels considérables, figée dans une forme d'immobilité. Ce type de vision domine, par exemple, dans les manuels scolaires (Renard, 2005).

Le Comité d'Etude et de Liaison des Intérêts Bretons (CELIB), composé d'industriels, d'élus, de représentants professionnels, d'universitaires, est constitué pour défendre les intérêts de la région auprès du gouvernement et des administrations parisiennes159. La plupart des communes bretonnes y adhèrent. L'association mène à cette époque un important travail de mobilisation et de lobbying pour obtenir l'adoption d'une loi-programme pour la Bretagne. Lors d'une visite à Dinan, en septembre 1960, Charles De Gaulle prononce une phrase qui, encore aujourd'hui, est souvent évoquée par les responsables politiques de cette époque : « La Bretagne doit avancer, et la France doit l'y aider. ». La plupart des dix communes dont j'ai étudié  les  délibérations  ont  adopté,  en  1961,  le  vœu  que  le  CELIB  leur  soumet160. Il est question dans les délibérations des communes cette année-là d'injustice, de « carence », de « retard », de « souffrance », de la nécessité de « mesures exceptionnelles », de « perspectives dramatiques ». Il est aussi question d'identité régionale, car le CELIB développe ses arguments sur fond de valorisation du progrès comme dynamique d'émancipation de toutes les tutelles, cherchant à dépasser les clivages politiques et économiques par un discours mobilisateur sur l'élan commun vers le développement.

Ce moment de l'histoire bretonne se caractérise ainsi par une convergence de vues de l'ensemble des élites régionales. Il faut obtenir « de Paris » des engagements concrets pour la construction de routes, de réseaux d'électricité et d'eau, et pour l'implantation d'entreprises.

1.2. Une agriculture modernisée comme moteur du développement régional

Ces constats sont particulièrement mis en exergue lorsqu'il s'agit d'évoquer la situation du monde paysan « menacé dans son existence » et « le départ de milliers de jeunes Bretons, paysans, ouvriers et étudiants ».

159 « Le CELIB est une association [...] (qui a pour but) d'étudier en liaison étroite avec les associations existantes les

problèmes économiques, administratifs et culturels qui intéressent la région bretonne dans le cadre de l'unité française et en vue de l'action coordonnée près du parlement et des pouvoirs publics. Son siège social est fixé à la Chambre de commerce des Côtes du Nord [...], son secrétariat général est installé à Paris afin de faciliter les démarches, les interventions auprès des organismes officiels. Le CELIB a été créé sur l'initiative de parlementaires, conseillers généraux, Maire et dirigeants d'organisations professionnelles qui avaient ressenti combien l'absence d'une liaison permanente rendait difficile la défense méthodique et par conséquent efficace des intérêts de la région. Devant l'importance des problèmes de tout ordre qui se posent de la même façon aux départements constituant la Bretagne, ils ont estimé indispensable d'assurer une coordination entre les élus et les responsables de la vie économique de ces départements. Le CELIB constitue à la fois un organisme d'étude des problèmes bretons et un centre de liaison en vue d'une action appuyée par l'ensemble de la représentation régionale. » (Délibération du Conseil Municipal de Concarneau  du  27  juillet  1956,  adaptée  à  partir  d’un  texte  type   proposé par le CELIB à toutes les communes de Bretagne). Pour une histoire du CELIB, voir : Cressard, 2000. 160 Voir par exemple, le voeu adopté par le CM de Concarneau le 20 octobre 1961.

Après la période faste de l'immédiat après-guerre, la situation des paysans s'est en effet beaucoup dégradée du fait de la baisse des prix des denrées, et la mobilisation pour la défense des intérêts paysans s'agrège à celle qui concerne le développement régional. De ce fait, renforcé par le relatif isolement géographique de la région, les analyses concernant les perspectives de développement de la Bretagne convergent pour envisager un développement industriel prenant avant tout appui sur la main d'oeuvre abondante et les compétences disponibles en agriculture.

Le tournant des années 1960 est ainsi un moment de grâce dans le dialogue entre les élus et les organisations professionnelles industrielles et agricoles. Le projet de faire de la Bretagne, selon les mots du nouveau ministre de l'agriculture Edgar Pisani, un «immense atelier de production de viande et de lait»161, suscite

l'enthousiasme. Il peut permettre d'envisager un développement de l'ensemble du territoire régional, au delà d'une zone littorale qu'irriguent déjà le tourisme, la pêche et les cultures légumières. Le mot d'ordre « Vivre et travailler au pays », largement repris à l'époque dans les discours et les manifestations, traduit bien cette idée : il s'agit de mettre fin à l'exode rural massif que connait la région, notamment en opérant une conversion massive de la polyculture-élevage à l'élevage hors-sol162 et en développant l'ensemble des filières

de transformation agro-alimentaire correspondantes.

La transition d'un système à l'autre est aujourd'hui considérée comme une « révolution agricole » qui s'est opérée de façon extrêmement rapide, non sans brutalité (Deléage, 2012). A l'époque cependant, de nombreux commentateurs regrettent les blocages « psychologiques » dans le monde paysan et la lenteur des changements, comme ce groupe d'étudiants venus, en 1968, réaliser leur enquête de fin d'études dans le Porzay :

« Ce passage de la culture à l'élevage n'a pas été sans poser de problèmes : les agriculteurs âgés ont toujours considéré l’élevage comme un mal nécessaire (vaches à fumier) et ils ont beaucoup de mal à s'adapter à ses techniques particulières. » (Bonhommeau et al. 1968)

L'impulsion politique de grande ampleur que je viens d'évoquer s'est déclinée, il est vrai, d'un point de vue matériel, très rapidement sur le terrain, au point que ce sont les hommes qui apparaissaient comme des freins. Dans les « pays » les plus engagés dans ce processus de modernisation accélérée, les opérations de remembrement comment à la toute fin des années 1950 et sont achevées dans les années 1964-65, bouleversant complètement le paysage rural et facilitant la mécanisation et la circulation. Les productions changent, les relations avec les fournisseurs et les distributeurs aussi, avec la montée en puissance spectaculaire des coopératives de producteurs. La mise en place de dispositifs de formation continue, fondés sur un maillage local très dense et pris en charge en partie par les organisations paysannes elles-mêmes, au premier rang desquelles la JAC163, accompagnent l'évolution des techniques. Le quotidien et les perspectives

de vie s'en trouvent, aussi, bouleversés, pour une part importante de la population. La rapidité avec laquelle l'ensemble des pratiques et de l'organisation sociales se sont modifiées a particulièrement impressionné les observateurs, l'exemple de Plozévet en constituant l'archétype bien connu (Morin, 1967). Education

161 Archive INA, citée par Peschet (2012).

162 La définition agronomique de l'élevage hors-sol met l'accent sur le fait que l'alimentation des animaux d'élevage n'est pas assurée à titre principal par les cultures produites sur l'exploitation, mais par de l' « aliment » transformé, et sur le fait que les sous-produits de l'élevage (déjections) sont exportés. Le sens commun est plus large et comporte une dimension péjorative : il insiste sur le confinement des animaux et le caractère industriel de l'élevage. Le très court article que Wikipédia consacre à l'élevage hors-sol indique ainsi que « La filière de l'élevage hors sol émet beaucoup de gaz à effet de serre, à cause du volume de déjection animale (émissions de méthane)   et   du   transport   d'aliments   d’élevage   (émission   de protoxyde d'azote), très coûteuse en énergie. Elle produit beaucoup de lisier, ce qui suscite des problèmes d'épandage, notamment en Bretagne, affectant la qualité des eaux »

163 La   Jeunesse   Agricole   Catholique,   créée   dans   l’entre-deux-guerres, se donnait   pour   objectif   l’évangélisation   et   l’éducation  populaire  dans  le  monde  rural.  Elle  a  joué  un  rôle  central  après  1945  dans  cette  région  où  les  pratiques   et croyances religieuses restaient très structurantes dans la vie sociale, en promouvant la modernisation des techniques   de   culture   et   l’accroissement   des   rendements   comme   outil   d’amélioration   des   conditions   de   vie   et   d’émancipation  des  paysans

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populaire, mouvement coopératif, luttes victorieuses pour l'obtention de droits sociaux, amélioration de l'accès aux services de base et des conditions de travail...la dimension émancipatrice de la modernisation agricole est particulièrement visible dans les années 1960.

1.3. De quoi le « modèle breton » est-il le nom ?

Ce « modèle » breton dont il est souvent question sert donc à d'abord à décrire une trajectoire de modernisation agricole rapide fondée sur un changement radical de mode de production, ayant vocation à employer le maximum d'actifs sur une surface limitée, en augmentant parallèlement considérablement la productivité du travail et les rendements. Ce changement s'accompagne d'un processus de spécialisation des producteurs et d'intégration au sein de filières organisées principalement sur un principe coopératif.

Mais l'expression « modèle breton » sert aussi à décrire le fonctionnement du nouveau régime socio- technique lui-même, celui de l'agriculture « moderne », abstraite (dans le sens où elle ne trouve plus ses débouchés dans un marché local) et sectorisée, caractérisée par le passage de politiques publiques de maintenance à des politiques d'adaptation (Muller, 1984) dont l'exemple breton constituerait l'idéal-type pour ce qui concerne l'élevage :

« On assiste au cours de cette période [1950-1965] à la transformation d'une agriculture formée jusque-là pour l'essentiel de communautés villageoises relativement autarciques et constituant une sorte de « monde » à part dans la société française en un secteur économique intégré à l'économie nationale par de multiples réseaux : crédits, marchés, réseaux de commercialisation et d'approvisionnement, etc.[...] Après 1945, tous les termes du rapport global/sectoriel vont s'inverser. Le choix de l'industrialisation comme objectif structurant va relativiser les fonctions d'épargne et de stabilité sociale [qui guidaient jusqu'alors les politiques agricoles]. Dans ces conditions, la préservation d'un secteur agricole hétérogène et « en surnombre » va paraître de plus en plus scandaleuse par rapport au mouvement d'industrialisation et d'urbanisation. L'agriculture devenait un secteur économique, comme les autres. Dès lors, un changement complet de l'action de l'Etat devenait nécessaire : on allait passer d'une régulation de maintenance à une régulation d'adaptation. » (Muller, 1984 : 10-11)

Certains travaux insistent davantage sur sa singularité fondamentale que sur sa dimension idéal-typique et englobent, dans l'expression, toute l'histoire agricole régionale de l'après-guerre à nos jours (Canévet, 1992), qu'il s'agisse des systèmes de production, des structures foncières, des conditions de vie des agriculteurs, des organisations agricoles, des industries-alimentaires.

Le « modèle breton » comporte également une signification élargie, qui se réfère non seulement à l'économie agricole, mais également à l'ensemble des axes stratégiques du développement régional. Le CELIB insistait beaucoup, dans les années 1960, sur l'industrialisation nécessaire de la Bretagne. Celle-ci, mises à part quelques réalisations symboliques marquantes, n'a vraiment eu lieu que dans le domaine agro-alimentaire. De ce fait, le développement régional s'appuie essentiellement sur l'attractivité touristique et résidentielle du littoral d'une part, l'agriculture et l'industrie agro-alimentaire de l'autre.

Figure 12. Quatre lectures du modèle breton164

Bien que l'agriculture bretonne n'ait aujourd'hui que peu de choses à voir avec ce qu'elle était au moment où l'expression a été forgée, les effets des politiques structurelles menées au tournant des années 1960 leur ont survécu bien longtemps après que les objectifs de développement ont cessé d'être formulés en ces termes et que l'unanimité de ces visions a cédé la place à des regards plus hétérogènes sur sa trajectoire. La puissance symbolique de ce projet de développement, qui s'appuie sur une image rénovée de l'agriculture et de la ruralité comme lieu de fraternité et de progrès, peut être résumée autour de deux propositions. L'une, très datée mais encore présente dans le discours des dirigeants agricoles, se pense à l'échelle du monde : la croissance infinie de la production agricole est la source d'un progrès civilisationnel pour l'ensemble de l'humanité. L'autre en constitue une déclinaison locale : tourisme et agriculture sont les deux piliers du développement de la Bretagne (Levain, 2011).

Ces deux propositions complémentaires placent, dans la France de l'après-guerre, les communautés agricoles au coeur d'un projet de société humaniste global: leur force productive est le moteur d'un bonheur collectif. Et leur statut social, comme leur statut symbolique, s'en trouve complètement transformé. Les chances de mobilité sociale de ceux qui restent, par rapport à ceux qui partent, se rééquilibrent : l'intensification agricole reste largement synonyme aujourd'hui d'accès à l'égalité et de rétablissement de la justice.

1.4. Entre permanence des discours et transformations structurelles

La Bretagne est aujourd'hui la première région française d'élevage. Les statistiques relatives à l'agriculture bretonne ne laissent pas d'impressionner, au premier abord, ceux qui n'en sont pas familiers. Sur 6% de la surface agricole utile française, la Bretagne concentre plus de la moitié du cheptel porcin national, 40% des poules pondeuses, 20% des vaches laitières (figure 13).

164 Source : Levain, 2014.

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Figure 13. Chiffres-clefs de l'agriculture bretonne au recensement général agricole165

Le cheptel breton

735100 vaches laitières (20% du cheptel national) 607500 truies (54% du cheptel national)

4,8 millions de porcs charcutiers (56% du cheptel national) 18,8 millions de poules pondeuses (41% du cheptel national)

La production porcine La pression azotée

La réduction du nombre des exploitations et des exploitants

Légende :

La charge animale supportée par la « ferme bretonne » est considérable. Ces chiffres apportent un élément de compréhension du sentiment, fortement exprimé par une majorité des habitants interrogés166, d'avoir payé et de payer

encore un lourd tribut au développement agricole. Y cohabitent une grande variété de types et de systèmes de production animale. La production de porcs et de volailles s'y réalise essentiellement dans des ateliers hors-sol. Les cultures sont essentiellement dédiées à l'alimentation animale.

165Source : AGRESTE, 2011.

166 Qu'ils soient issus, ou non, du monde agricole : les premiers parce que les transformations de leur métier et de leur cadre de travail ont été considérables, les seconds parce qu'ils estiment que l'activité d'élevage constituent une « charge » excessive pour le territoire.

Les chefs d'exploitation de 50 ans et plus détiennent 38% de la SAU régionale. 58% d'entre eux ne connaissent pas leur successeur. Dans 18% des cas, l'exploitation va disparaître.

Ces chiffres méritent un regard diachronique, ne serait-ce que parce qu'ils semblent refléter une augmentation exponentielle et continue des effectifs animaux, confirmant le projet pisanien. En fait, les grandes transformations de l'agriculture européenne ont accentué le projet initial de modernisation, en même temps qu'elles l'ont en partie invalidé : comme ailleurs, la population active agricole a considérable diminué, et ce mouvement a touché à la fois les salariés et les chefs d'exploitation. Les exploitations se sont agrandies167, et le cheptel n'a pas diminué. Les conditions de travail des éleveurs sont difficiles, et leur revenu est devenu plus aléatoire. La dépendance au cours des céréales, la faiblesse des prix de vente, occasionnent certaines années des tensions extrêmes, qui se traduisent par des situations individuelles parfois dramatiques (liées notamment au niveau d'endettement) et par des actions collectives parfois violentes. La tension entre la situation réelle des éleveurs et les discours de la profession, oscillant entre alerte et défense de la pertinence du « modèle » est vite devenue très forte : si une agriculture devenue si performante est en crise, c'est bien que quelque chose ne va pas, ou que quelqu'un ne fait pas ce qu'il devrait faire. L'évaluation de la performance agricole via celle de l'évolution des rendements trouve de fait ses limites. Prével (2008) a pu, à cet égard, évoquer le productivisme agricole comme « un « fait social total » [Mauss 1993 : 147] complexe qui comporte, au niveau du travailleur qu’est  l’exploitant  agricole,  quatre  dimensions   majeures   :   l’activité   machinale,   la   vulnérabilité   symbolique,   l’hétéronomie   politique   et   le   progressisme   imaginaire. ». Et, effectivement, l'attachement viscéral d'une grande partie du monde agricole au projet de modernisation agricole en Bretagne permet de bien mettre en évidence la forte dimension messianique de ce projet, de cette « annonce », qui correspond à une conviction très profonde chez des acteurs majeurs du développement agricole en Bretagne, souvent issus des JAC (Levain, 2011). Même si aujourd'hui cette fraction du discours subsiste alors que d'autres parties se sont effacées...

Si l'on retient l'énonciation de cette prophétie comme structurant la fonction sociale de l'agriculture mais également comme déterminant l'horizon à l'aune duquel les décisions sont prises et les comportements construits au sein des institutions liées au monde agricole, il reste un point à examiner : quelle peut être la nature d'un démenti apporté à cette prophétie à caractère global ?

2. De la critique environnementale à la critique globale

2.1. Des failles dans l'union sacrée, ou la critique interne du « modèle breton »

Le syndicalisme paysan a peiné à se fédérer, particulièrement dans le Finistère168, et, depuis qu'il y est parvenu, a fait du discours sur l'unité du monde agricole, comme de la défense de l'exploitation familiale, la pierre angulaire de sa légitimité. Pourtant, tant du point de vue politique que du point de vue économique, les disparités sont importantes. Et les non-dits, aussi. Car l'encouragement du progrès technique et la modernisation des exploitations, dans un contexte de prix bas, entraînent un mouvement de concentration des exploitations et une perte d'autonomie des producteurs, qui accroît les tensions au sein du monde paysan. André Pochon169, éleveur des Côtes d'Armor et créateur du CEDAPA170, s'est fait le narrateur infatigable des contradictions de plus en plus manifestes, dans les années 1970, entre un discours émancipateur et la dégradation inexorable de la situation des paysans et plus largement, du monde paysan (Pochon, 2006 ; 2008 ; 2009). Ces critiques prennent aujourd'hui un relief particulier, mais elles sont très peu audibles à

167 Entre les deux derniers recensements agricoles, leur nombre a ainsi baissé de 30% en moyenne dans la région (AGRESTE, 2011).

168 Pour une histoire de la mise sur pied des FDSEA dans les départements bretons, des différents courants qui dominent historiquement les fédérations départementales, et du rôle des CDJA dans la modernisation technique, voir Sainclivier, 1989, p.260 et s.

169 Nous retrouverons « Dédé » Pochon à plusieurs reprises dans le cours de ce texte :  il  s’agit  d’une  personnalité  locale   dont   l’expérience   singulière   et   la   personnalité   hors du   commun   ont   attiré   l’attention   bien   au   delà   des   limites   régionales.  Dédé  Pochon  est  aujourd’hui  une  icône  de  l’agriculture  alternative.

170 Le Centre d'Etude pour un Développement Agricole Plus Autonome est créé en 1982 par un groupe d'éleveurs costarmoricains, qui souhaitent promouvoir le « lien au sol » et les systèmes herbagers, économes en intrants.

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l'époque. Elles mettent en évidence une partie des lignes de fracture qui ont conduit à la fin de l'unité