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Des algues pour construire socialement et scientifiquement l'eutrophisation

Chapitre 2. Eutrophisation et blooms algaux : un nouveau problème écologique mondial ?

II. Des algues pour construire socialement et scientifiquement l'eutrophisation

grands cycles bio-chimiques.

II.

Des algues pour construire socialement et scientifiquement

l'eutrophisation

Le mouvement que je me suis efforcée de retracer est étroitement dépendant, dès l'origine, de l'observation de proliférations algales dans les milieux aquatiques. Il nous faut maintenant mieux comprendre comment les proliférations algales contribuent à rendre visible l'enrichissement en nutriments des eaux côtières et comment elles se constituent dans ce contexte en objet d'étude.

Les algues constituent le principal symptôme visible permettant aux scientifiques de caractériser un processus d'eutrophisation, qu'il intervienne en eaux douces ou dans les espaces estuariens et côtiers. Elles constituent donc historiquement un point de repère essentiel pour identifier un dysfonctionnement de l'écosystème et contribuent en elles-mêmes à la construction et à la complexification progressive du concept d'eutrophisation.

Au delà de cette dimension cognitive, les blooms algaux contribuent aujourd'hui largement à la double mise à l'agenda de l'anthropisation du milieu marin et de la perturbation du cycle de l'azote comme problèmes environnementaux mondiaux majeurs. Ils ont en effet un impact parfois majeur sur l'écosystème et sur les activités humaines qui en dépendent.

1. Du symptôme au mal : eutrophisation, blooms algaux et

activités humaines

1.1. La place des blooms dans la construction du concept et les représentations du phénomène d'eutrophisation

Un consensus scientifique émergent

Les proliférations de microalgues porteuses de toxines parfois létales constituent l'un des principaux sujets de préoccupation des chercheurs et des gestionnaires impliqués dans la prise en charge des phénomènes d'eutrophisation. Ces phénomènes, désignés désormais familièrement par l'acronyme « HAB » (pour Harmful

Algal Blooms) dans la littérature scientifique, donnent lieu à une abondante production. La définition

proposée en 2001 dans le cadre du programme Global Ecology and Oceanography of Harmful Algal Blooms

Programme (Glibert et Pitcher, 2001 ; Glibert, 2006), qui visait à stabiliser un cadre commun de description

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et d'analyse à l'échelle mondiale des relations entre eutrophisation et « HABs » a depuis été largement reprise. Elle inclut, non seulement les espèces toxiques, mais également les espèces les « importants producteurs de biomasse qui peuvent provoquer une hypoxie, une anoxie* et des mortalités généralisées de la vie marine après avoir atteint d'importantes concentrations, que des toxines soient ou non produites83»

(Heisler et al., 2008). La définition de GEOHAB n'exclut donc pas a priori les macroalgues, dont font partie les algues vertes du genre Ulva. Pourtant, il n'est que rarement question des proliférations de ce type dans la littérature scientifique traitant des blooms algaux.

L'identification des impacts

Certaines espèces de micro-algues développent des toxines qui rendent l'eau ou certaines espèces aquatiques impropres à la consommation. A un stade paroxystique du développement algal, des épisodes d'hypoxie et d'anoxie* peuvent mettre en danger les autres formes de vie présentes dans l'écosystème, du fait de la privation d'oxygène. Enfin, les épisodes de blooms peuvent nuire aux usages récréatifs du milieu.

La mise en évidence des impacts des blooms de macroalgues est beaucoup plus complexe que pour les microalgues. Les auteurs insistent généralement sur le caractère opportuniste des algues vertes et le fait qu’elles   se   substituent, dans un environnement dégradé et enrichi, à d'autres espèces, plus variées et plus vulnérables. En ce sens, leur présence et leur croissance excessive sont associées à une dégradation de la biodiversité floristique. Lorsqu'une activité de pêche est présente sur le littoral, elles occasionnent une gène, voire constituent un obstacle physique radical, du fait notamment de l'obstruction des filets. Mais certains relèvent aussi que la limitation de la pression de pêche et le fait que les algues en suspension dans l'eau puisse servir d'abri et d'habitat pour les juvéniles, peut être favorable à certaines espèces de poissons et de crustacés (Lenanton et al., 1985 ; Virnstein et Carbonara, 1985 ; Morand et Merceron, 2005). D'autres mentionnent d'éventuels effets de concurrence et de substitution entre micro et macroalgues (Sfriso et Marcomini, 1994): les blooms de macroalgues, non toxiques, pourraient éviter l'occurrence de blooms de phytoplancton toxique, et seraient donc un moindre mal. D’autant  que  si  les  microalgues  ne  peuvent  pas  être   collectées, en revanche les techniques de ramassage mécanique des macroalgues peuvent venir limiter les impacts négatifs des blooms. De plus, les épisodes d'anoxie* associés à des proliférations de macroalgues sont assez peu documentés, et vraisemblablement très ponctuels et circonscrits. Enfin, mis à part le cas de la baie de Belfast, très anciennement documenté et dans lequel les enjeux sanitaires ont été fortement mis en avant (Letts et Richards, 1911 ; Sauvageau, 1920) et celui auquel cette thèse se consacre, la santé humaine n'est   jamais   en   jeu   dans   la   description   des   impacts,   même   si   des   émanations   d’hydrogène   sulfuré   ont   été   relevées dans certains cas, les auteurs mettant en avant la gène olfactive pour les touristes et les riverains ( C’était   le   cas   en   Bretagne : Briand, 1989; et dans la lagune de Tunis : Stirn, 1968, cité par Morand et Merceron, 2005). Certains auteurs insistent par ailleurs sur la fonction de dépollution que jouent les proliférations algales, en les considérant comme une forme de réponse de l'écosystème à un stress (Brault, 1983).

L'impact sur l'économie locale est parfois considéré comme plus fort pour les proliférations à macroalgues, en plus des effets communs à l'ensemble des phénomènes de prolifération algale et d'eutrophisation, du fait de l'importance des coûts induits par le ramassage des algues (Morand et Merceron, 2005).

1.2. De l'eutrophisation comme processus à l'évaluation de l' « état écologique » des eaux et aux programmes de lutte

L'émergence progressive de consensus définitionnels et analytiques concernant les relations entre proliférations algales et apports de nutriments interagit avec l'institutionnalisation des résultats scientifiques au sein de dispositifs de lutte.

83 Traduction libre de l'auteur.

La stabilisation des analyses sur les causes et les leviers

Les relations entre blooms algaux et apports de nutriments sont présentées dans la littérature comme complexes : comptent non seulement les apports globaux, mais également le moment auquel ces apports interviennent. Il faut par ailleurs prendre en compte non seulement le type de nutriment jouant le rôle de « facteur limitant », mais une pluralité de facteurs pouvant jouer des rôles successifs de facteur limitant au cours du processus, et également la disponibilité relative des principaux nutriments (phosphore, azote, silice) dans le milieu, qui va favoriser telle ou telle espèce d'algue (Heisler et al., 2008). Entrer dans le problème par les algues, et non par l'enrichissement des eaux en sels nutritifs, change donc quelque peu la perspective : chaque espèce d'algue réagit différemment à un ensemble complexe de stimulations. Mais d'un autre côté, l'entrée par les algues permet de donner une résonance particulière aux alertes sur la vulnérabilité des milieux (Anderson et al., 2002).

La mise en évidence de cette complexité s'accompagne, dans la plupart des travaux d'expertise, d'une réaffirmation de l'efficacité des programmes de réduction dite « à la source » des flux de nutriments pour lutter contre les proliférations algales et l'eutrophisation : le « facteur limitant » devient alors le principal levier d'action des politiques publiques de restauration de la qualité des eaux côtières. Cela, pourtant, ne va pas sans soulever un certain nombre de problèmes de compréhension, que souligne par exemple cette note publiée par le Centre d'Etude et de Valorisation des Algues français84 (CEVA, 2011) :

« Alors qu’elles sont différentes [facteur limitant, facteur de contrôle, facteur de maîtrise], ces trois notions sont souvent amalgamées pour donner sans doute à la réflexion sur les moyens de lutte contre l’eutrophisation un caractère le plus opérationnel possible. […] Ensuite, s’il est logique à priori de considérer le facteur limitant d’une eutrophisation comme le facteur de maîtrise à privilégier (contrôler le facteur qui contrôle, plutôt que celui qui ne contrôle pas…), il est quand même intéressant de se poser la question du stade trophique que l’on prendra comme objectif de restauration. S’attaquer exclusivement au facteur limitant du stade trophique du moment pour en bloquer l’évolution (et éviter une crise dystrophique* par exemple), n’est pas la même chose que de s’attaquer (aussi) par anticipation au facteur limitant qui contrôlera le stade trophique de retour à un bon état du milieu. […] L’écart entre les concentrations naturelles et les concentrations atteintes sera aussi un élément de choix, comme la charge interne du système en différents éléments nutritifs qui devront être progressivement déstockés. Ce sera le cas, par exemple, pour le phosphore sédimentaire des zones à Ulves qu’il faudrait probablement enlever en très grandes quantités pour que cet élément soit limitant. » (CEVA, 2011)

L'efficacité des programmes de lutte contre l'eutrophisation, fondée sur le contrôle des apports nutritifs, est donc soumise à une analyse fine et circonstanciée des mécanismes à l'oeuvre sur chaque site, en même temps qu'elle implique des objectifs extrêmement ambitieux de réduction des apports (parfois de l'ordre de 70%). Cela implique, de la part des acteurs en charge de la qualité de l'eau, un effort cognitif, financier et de gouvernance souvent considérable.

Cette difficulté, encore plus sensible en milieu côtier que dans les milieux dulçaquicoles, apparaît dans la cartographie de Diaz et al. (2008)85: très peu de sites touchés peuvent être considérés comme en voie d'amélioration du point de vue de l'occurrence de blooms algaux (ce que le CEVA appelle des « crises

dystrophiques »), même si la qualité des eaux a pu dans le même temps connaître une amélioration

significative à d'autres points de vue et même si les programmes de lutte sont très anciens. A titre d'exemple, les travaux menés dans le cadre du programme européen AWARE86 ont permis de modéliser l'impact de

différents scénarios de réduction des flux de phosphore et d'azote à l'exutoire du bassin versant sur les

84 Le Centre d'Etude et de Valorisation des Algues est un institut de recherche appliquée basé à Pleubian, dans les Côtes d'Armor, co-fondé par l'IFREMER, les collectivités locales bretonnes et l'Agence de l'Eau Loire Bretagne en 1982. 85 Voir carte 5.

86 AWARE est  l'acronyme  du  projet  européen  “how  to  achieve  sustainable   water  ecosystems  management  connecting   research,  people  and  policy  makers  in  Europe”,  relevant  du  7ème  Programme  cadre  de  recherche  et  engagé  en  2009.

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blooms de microalgues du genre Phaeocystis qui s'accumulent, sur certaines portions du littoral français et

belge de la Mer du Nord, sous forme de mousse, et ceux de Dinophysis (produisant une toxine responsable d'intoxications alimentaires), très présents en baie de Seine. Leurs résultats font apparaître des effets significatifs, mais loin d'être linéaires. Ils montrent d'abord le caractère ultra-dominant des sources diffuses d'azote et leur origine agricole.Si les blooms d'algues ont significativement diminué depuis 1984 (de l'ordre de 50%), avec la prise en charge des pollutions ponctuelles (qui sont essentiellement, elles, d'origine urbaine), ils sont désormais largement dépendants des pollutions diffuses. L'un des scénarios a consisté à considérer toutes les terres agricoles des bassins versants de la Seine, de la Somme et de l'Escaut comme pratiquant une agriculture à bas intrants et à basses fuites d'azote. De ce scénario, il résulte une amélioration considérable des flux d'azote à l'exutoire des trois cours d'eau (diminution au moins de moitié), et une quasi- totalité des rivières classées en « bonne qualité » (avec des concentrations inférieures à 3 milligrammes de nitrates par litre d'eau). Pour Phaeocystis, le scénario aboutit à passer de 28 jours d'efflorescence massive à 26 jours ; l'effet est donc très limité. Pour Dinophysis, en baie de Seine, les résultats sont plus significatifs, mais, là encore, le nombre de jours de blooms ne baisse pas du tout proportionnellement à la baisse d'apports nutritifs (Thieu et al., 2009).

Les nuances et la prudence du CEVA se comprennent davantage avec cet exemple : celui-ci permet de prendre la mesure de la complexité des décisions à prendre : des résultats significatifs ne peuvent être obtenus  que  par  une  réduction  généralement  drastique  des  apports  nutritifs,  et  même  lorsque  c’est  le  cas,  la   complexité des mécanismes  en  jeu  et  le  poids  des  autres  paramètres  ne  permet  pas  de  garantir  l’efficacité  des   actions de façon certaine. Par ailleurs, il est difficile de savoir si les situations sont totalement réversibles. En juin  2013,  j’ai  eu  l’occasion d’assister,  en  compagnie de nombreux acteurs locaux de la gouvernance de la qualité  de  l’eau  en  Bretagne,  à  la  présentation  des  résultats  de  l’équipe  qui  a  réalisé  l’étude  sur  les  blooms de microalgues dans la Manche. Lorsque le jeune scientifique a présenté à la tribune les graphiques issus de la modélisation,   un   grand   silence   s’est   fait   dans   la   salle.   Mon   voisin,   qui   représentait   les   présidents   de   Commissions  Locales  de  l’Eau  de  Bretagne,  s’est  tourné  vers  moi  et  m’a  adressé  un  regard  lourd,  pensant   bien  sûr   à   toute  l’énergie  qu’il   dépensait   et   faisait   dépenser,   en  espérant   une   amélioration  sur  le  front   des   marées vertes :  et  si  c’était  la  même  chose ? Tout ça, pour ça ? Il a ensuite gardé le silence quelques minutes. Des algues devenues bioindicatrices

Les quelques grands programmes interdisciplinaires internationaux qui ont contribué à consolider une vision mondiale de l'ampleur des phénomènes d'eutrophisation en lien avec les occurrences de blooms algaux ont servi de point d'appui à leur prise en compte dans les politiques publiques visant à restaurer la qualité de l'eau.

La législation européenne est considérée, dans ce domaine, comme la plus ambitieuse et la plus intégrée à l'échelle mondiale. La Directive-cadre sur l'Eau (DCE), adoptée en 2000, oblige les Etats-membres de l'Union Européenne à mettre en place des mesures d'amélioration de la qualité de l'eau d'ici 2015, date à laquelle les masses d'eau doivent atteindre un « bon état écologique », caractérisé à la fois par des critères biologiques et physico-chimiques. Steyaert et Ollivier (2007) relèvent la densité exceptionnelle des références à l'écologie scientifique dans le texte. La référence constante à un bon état écologique comme objectif ultime des actions ne laisse, selon eux, que peu de place à un management adaptatif de la ressource en eau, prenant en compte les dynamiques sociales et cognitives de prise en charge des problèmes par les populations concernées. L'eutrophisation est identifiée, dans les annexes du texte, en lien direct avec la lutte contre les pollutions diffuses d'origine agricole, comme l'une des principales pressions pesant sur les masses d'eau, avec la disparition des habitats et les produits chimiques et médicamenteux. Mais le texte n'en donne pas de définition.

La directive-cadre sur la stratégie pour les milieux marins (DCSMM), adoptée en 2008, renforce le poids donné à l'évaluation de l'état trophique des écosystèmes marins, et fait de l' « eutrophisation d'origine

anthropique » l'un des onze critères globaux d'évaluation de la qualité de l'eau qui doivent être appréciés

conjointement pour en juger (Ferreira et al., 2011). Les macroalgues dites « opportunistes » ont été retenues comme un élément d'évaluation de la qualité biologique des eaux estuariennes et côtières. Les expertises menées pour tenter de décliner opérationnellement les indicateurs leur confèrent une place importante ; cette évaluation est à la fois directe (existence constatée de blooms au printemps et en été) et indirecte (mesure de la concentration en chlorophylle dans l'eau, transparence de la colonne d'eau, changements dans la structure de la communauté algale...). La déclinaison de ces lignes directrices implique, pour chaque pays, la mise en place de dispositifs de mesure précis, et fait évoluer parfois considérablement la place qu'occupaient, jusqu'à présent, les blooms de macroalgues dans l'appréciation des menaces pesant sur la qualité de l'eau et sur les écosystèmes côtiers (Scanlan et al., 2006).

Ce dispositif scientifique et légal institue, à la frontière entre les enjeux globaux et intégrés de lutte contre l'eutrophisation et de préservation de la biodiversité, les macroalgues proliférantes en bio-indicateurs. C'est une situation qui leur confère un caractère nodal dans l'évaluation de la qualité des masses d'eau, et une caractéristique à la fois centrale et ambiguë, dont elles ne disposaient pas jusqu'à présent : si les microalgues proliférantes sont « nuisibles », « nocives » (harmful), les macroalgues proliférantes sont « opportunistes ».

2. Les marées vertes, entre micro et macro-monde

L'eutrophisation a, nous l'avons vu, une histoire, étroitement liée à l'observation et aux problèmes que posent les efflorescences de microalgues. Mais l'histoire de la phycologie, elle, n'a pas été faite encore. Or, la recherche scientifique sur les blooms algaux m'a paru, au début de cette enquête, reposer sur au moins deux disciplines : l'écologie marine, centrée sur l'analyse des milieux, et, de façon moins structurante et plus difficilement repérable, la phycologie, centrée sur la connaissance des espèces d'algues impliquées dans les proliférations.

J'ai donc cherché à caractériser le paysage de la recherche autour des blooms algaux et des algues vertes, en m'appuyant, notamment sur une analyse scientométrique, qui vient compléter des analyses plus fines d'articles consacrés à ces sujets et des entretiens réalisés auprès des spécialistes français de ces questions.

2.1. Une brève histoire scientifique du genre Ulva et de son comportement : retour sur une existence problématique

L'histoire scientifique des ulves commence avec Linné, qui identifie et nomme quelques espèces du genre

Ulva, au premier rang desquelles Ulva lactuca, du fait de la ressemblance de l'espèce avec une feuille de

laitue. Ulva lactuca reste aujourd'hui le type du genre Ulva. Liminales, banales...invisibles ?

Bien illusoire, forcément incomplète et sujette à caution serait une tentative, de ma part, de rendre compte de la complexité de la systématique des algues vertes87. Mais la fréquentation régulière des chercheurs et des

ouvrages traitant de phycologie ces dernières années me permettent toutefois de mettre en évidence quelques traits saillants.

La liminalité, d'abord. D'un point de vue évolutif, les chlorophycées88 sont considérées comme beaucoup plus proches des plantes terrestres que des autres groupes d'algues, brunes et rouges89. Les macroalgues vertes sont inféodées aux eaux peu profondes, elles occupent les étages supérieurs des fonds marins.

En ce qui concerne le genre Ulva, cette liminalité entre terre et mer se double d'une nature incertaine, qui place les ulves à la frontière entre micro et macroalgues*, du fait de leur mode de reproduction, qui s'effectue

87 L'annexe 6 reprend quelques éléments fondamentaux de la systématique des macroalgues vertes et décrit les espèces dont il est question dans cette thèse.

88 Classe  d’algues  vertes ; par extension, dans le langage scientifique courant : ensemble des algues vertes. 89 Voir annexe 6.

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principalement par bouturage : les thalles90 se déchirent et les fragments donnent naissance à de nouveaux

individus. La plupart des espèces d'ulves ont ainsi la capacité de se développer en eaux libres, sans support, et de façon extrêmement rapide.

La systématique des algues vertes provoque, chez les spécialistes des algues que j'ai rencontrés, des réactions d'indifférence, de découragement, des expressions sceptiques (Levain, 2013). L'identification selon des critères morphologiques pose problème, au point que certains estiment impossible de différencier certaines espèces d'ulves à l'oeil nu. Les phénotypes91 des espèces sont si proches que, même à l'aide d'un microscope,

on n'est jamais vraiment sûr de savoir à quelle espèce on a affaire. D'autant que les cas de sympatrie92 ne sont

pas rares, et que les ulves ont une aire de répartition extrêmement large.

Qui plus est, le genre Ulva n'a jusqu'à présent pas suscité d'investissement en terme de recherche appliquée : il ne présentait de propriété intéressante et évidente ni pour l'agriculture, ni pour l'industrie.

Jusqu'à une période récente, la systématique des algues vertes a donc constitué une branche très peu développée de la phycologie. Lorsque des inventaires faunistiques et floristiques sont réalisés, y compris par des scientifiques spécialisés dans ce domaine, on se contente bien souvent d'identifications approximatives, en se référant à « Ulva spp. » ou à « Ulva lactuca » (Levain, op.cit.).

Mais deux phénomènes font évoluer cela : d'abord, la généralisation du travail d'identification des espèces par la génétique. Ensuite, la multiplication des épisodes de proliférations impliquant des espèces d'ulves, qui produit des effets ambivalents sur la recherche et l'intérêt qu'elles peuvent généralement susciter. D'un côté,