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L'eutrophisation littorale comme phénomène mondial

Chapitre 2. Eutrophisation et blooms algaux : un nouveau problème écologique mondial ?

I. L'eutrophisation littorale comme phénomène mondial

Ce sous-chapitre vise à resituer l'émergence de l'eutrophisation littorale à l'échelle mondiale, en montrant comment le phénomène semble s'accélérer et comment il est de plus en plus repéré et analysé. Il s'agira d'en montrer l'ampleur et les enjeux.

L'eutrophisation des eaux côtières et marines a accédé au cours de la décennie 2000 au statut de problème environnemental majeur à l'échelle planétaire (Selman, Greenhalgh, Diaz et Sugg, 2008). Les préoccupations scientifiques et politiques relatives au changement climatique, à la modification de la composition biochimique des océans et à ses impacts (Doney, 2010)58, d'une part, à la gestion globale du cycle de l'azote

et au coût des pollutions azotées, d'autre part, jouent un rôle important dans ce changement d'échelle et dans cette mise à l'agenda.

Ce mouvement s'accompagne d'un effort important de formalisation des connaissances scientifiques et d'une multiplication des expertises. Il faut recenser, inventorier, catégoriser les sites touchés. Il faut aussi s'accorder

56 Le terme anglais de bloom, qui signifie « efflorescence », est utilisé en écologie pour décrire une augmentation brutale de la biomasse algale. Son usage se répand en Bretagne au delà des cercles de spécialistes.

57 On peut la définir à ce stade comme le processus d'enrichissement en sels nutritifs d'un milieu aquatique, générant un appauvrissement en oxygène et susceptible d'affecter fortement son fonctionnement. Nous serons amenés à analyser précisément les usages de cette notion dans le cours de cette thèse.

58 Voir également sur ce point, par exemple, le thème de l'exposition internationale de Yeosu (Corée du Sud) d'août 2012, consacrée à l'avenir de la biodiversité océanique et intitulée « Pour des côtes et des océans vivants ».

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sur la définition des concepts fondamentaux à l'aide desquels ces situations sont décrites et problématisées, mettre en évidence la dynamique commune de ces phénomènes, par delà leur singularité difficilement réductible.

1. Des eaux douces au littoral, retour sur une transposition

problématique

1.1. L'eutrophisation comme schème majeur de l'écologie fonctionnelle

L'eutrophisation des eaux douces est l'un des mécanismes les mieux étudiés en écologie terrestre. Elle joue historiquement un rôle majeur dans la constitution de l'écologie en tant que discipline, singulièrement en matière d'écologie fonctionnelle (Drouin, 1993). Jean-Marc Drouin rappelle le caractère fondateur des travaux de Hutchinson (figure 3) et Lindeman (1942) qui font du lac l'archétype de l'écosystème, en ce qu'il permet de modéliser la relation entre relations trophiques, transferts d'énergie et succession des états du milieu :

« Le lac, généralement le lac de région tempérée, est l'un des exemples les plus constants de l'écologie tant en ce qui concerne la recherche que l'enseignement ou la vulgarisation. […] La disposition visible (des) groupements végétaux déploie dans l'espace la succession théorique qui doit se réaliser dans le temps en un lieu donné du lac. A terme, c'est l'existence même du lac en tant que lac que sa propre dynamique menace. La mort du lac (son comblement progressif, sa transformation en marécage) prépare la naissance de la forêt » (Drouin, 1993 : 120-122)

Cette représentation classique décrit donc un processus de dégradation d'un écosystème considéré comme un compartiment étanche (l'image de la mare) aboutissant à un changement de sa nature : il s'épaissit, se densifie, se fige, meurt.

Figure 3. Les prémisses du modèle de l'eutrophisation lacustre chez G.E. Hutchinson59

Légende :

« Diagramme idéal des étapes précoce et tardive du développement d'un lac dans une région oligotrophe ou pauvre en nutriments, et dans une région eutrophe ou riche en nutriments »60.

Le modèle de l'eutrophisation est ainsi indissociable de la naissance de l'écologie fonctionnelle. Mais, comme le relève non sans malice Scott W.Nixon, si l'eutrophisation des systèmes lacustres en eau douce a accédé rapidement au statut de concept structurant en écologie, sa définition opérationnelle a posé bien des

59 Source : Hutchinson, 1948. 60 Traduction libre de l'auteur.

difficultés : presque vingt ans après sa formalisation conceptuelle, les écologues américains peinent à s'accorder sur une grille descriptive commune permettant de caractériser les situations qu'ils étudient (Nixon, 1995). La définition du processus d'eutrophisation a en effet évolué et s'est ramifiée à mesure que la discipline s'est développée. Au point qu'il est paru nécessaire de redéfinir la succession d'états modélisée par Hutchinson en un processus d'« ontogénèse » qui ne préjuge pas des dynamiques et des pressions par lesquelles ces changements s'opèrent, pour l'en distinguer (Whiteside, 1983).

L'écologie marine s'est construite en tant que spécialité autour d'un effort de transposition de ces grands schèmes et grandes catégories à l'environnement maritime, et Nixon relève que :

« Ving-cinq ans après, la communauté de recherche et de management des écosystèmes maritimes se débat encore avec une terminologie floue qui confond souvent les causes et/ou les effets de l'eutrophisation avec le phénomène lui-même. »61 (Nixon, 1995)

La qualification de l'eutrophisation en « phénomène » révèle cette difficulté à articuler modèle théorique et modèles opérationnels de description de l'état et de l'évolution des écosystèmes étudiés. Dans le cas des écosystèmes marins, cette difficulté se trouve accrue par l'incertitude radicale qui affecte l'étude des dynamiques océaniques, l'adjonction de paramètres supplémentaires et l'ouverture des systèmes qu'il s'agit de décrire.

1.2. Comment penser l'ouverture dans le système ? Du microcosme au macroscope, changements de modèle et changements d'échelle

La lente émergence de l'eutrophisation marine et côtière, comme concept et comme réalité à décrire

La reconnaissance de tels processus en milieu côtier ne va pas de soi. Elle est soumise à trois pré-requis. D'abord, il faut que l'existence de masses d'eaux confinées en mer soit identifiée : cela implique d'introduire dans les modèles des analyses courantologiques. Ensuite, il faut que l'intensité et la finesse du suivi permette de mettre à jour la récurrence de phénomènes qui sont multifactoriels et par conséquent irréguliers. Ainsi, les situations d'anoxie62 et d'hypoxie en milieu côtier sont documentées à partir du début du siècle, alors que la première évocation d'un état eutrophisé concernant un espace littoral n'intervient que dans les années 195063. Enfin, il faut, d'une façon ou d'une autre, que soient mis en évidence des phénomènes de circulation des nutriments sur l'espace concerné. Dans l'histoire de l'identification et de la prise en compte des phénomènes d'eutrophisation côtière par les sciences, ces trois conditions ont également été des obstacles.

L'on comprend donc à quel point les études sur l'eutrophisation marine sont historiquement et géographiquement situées, et que l'émergence du concept comme catégorie commune à partir de laquelle penser les phénomènes observés prend du temps et implique un important effort définitionnel.

A cet égard, deux grandes traditions émergent : une tradition nord-américaine, centrée sur l'étude des Grands Lacs, et une tradition nord-européenne, essentiellement centrée sur l'étude de la mer Baltique.

Les Grands Lacs d'Amérique du Nord sont l'espace privilégié d'expérimentation et d'étude à partir duquel la transposition commence à s'opérer. Les chercheurs partent de l'étude des lacs, et vont vers les estuaires et les baies, dont certaines sont de grande taille et physiquement presque fermées. La motivation des premières recherches, dans les années 1950, est liée à des épisodes de blooms phytoplanctoniques64, qui affectent l'aquaculture, les activités de pêche et les activités récréatives. D'emblée, les premières recherches sont associées à une préoccupation relative à la fragilité des milieux lacustres, et l'enjeu est de modéliser les flux d'azote et de phosphore qui aboutissent au développement de microalgues toxiques. Les modèles de

61 Traduction libre de l'auteur.

62 L'anoxie désigne une situation de carence sévère en oxygène dans un milieu, conduisant à des formes d'asphyxie des organismes vivants. L'hypoxie en constitue une forme atténuée.

63 Il s'agit de Puget Sound, sur la côte Nord-Ouest des Etats-Unis, près de Seattle.

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l'écologie fonctionnelle classique de Hutchinson sont retravaillés, complexifiés en ce sens. John Ryther, en 1954, réalise les premières expériences sur les effets des apports de nutriments sur les blooms. Il conclut à un lien direct entre la présence d'un important élevage de canards et la dégradation de la qualité des eaux du lac. Il y associe toute une série de dommages : la disparition des activités récréatives, une turbidité accentuée, le déclin de l'ostréiculture. Ce travail séminal n'est pas tout de suite repris. On n'entend plus parler d'eutrophisation dans les grands lacs jusqu'à la fin des années 1960. Aux Etats-Unis, un Comité de l'eutrophisation est alors constitué par la National Academy of Sciences, et seules deux contributions concerneront les eaux côtières, dont l'une insiste sur le fait que cela peut accroître la productivité des estuaires.

En Europe, les phénomènes de blooms phytoplanctoniques en milieu marin sont les premiers à avoir mobilisé un effort de recherche coordonné dans les années 1960, du fait de l'occurrence précoce de phénomènes de grande ampleur en Mer Baltique (illustration 6). Rhode (1969) relève très tôt l'importance accordée en Europe du Nord à la recherche d'indicateurs permettant de classifier le niveau trophique des écosystèmes. Plus qu'en Amérique du Nord, les définitions européennes de l'eutrophisation insistent sur les sources et les secteurs d'activité à l'origine de l'enrichissement des milieux (Elliot et al. 1999 ; Andersen et al., 2013).

Illustration 6. Photographie satellite d'un épisode de bloom phytoplanctonique en Mer Baltique, prise par le satellite MERIS le 13 juillet 200565

Ce n'est qu'à la toute fin des années 1970 que s'observe une forme de consolidation du schème descriptif général de l'eutrophisation côtière. Dans celui ci, le phosphore est encore considéré comme le principal facteur limitant66 dans les zones estuariennes. A partir de cette période, le champ de recherche se structure autour de quatre entrées générales : les sources de nutriments, les effets sur la productivité de l'écosystème et sur les macroalgues, la modélisation, les analyses longitudinales fondées sur les sédiments. Le thème de

65 Source : Agence Spatiale Européenne.

66 La notion de facteur limitant est fondamentale   dans   l’émergence   des   sciences   agronomiques : elle est initialement développée   à   propos   des   éléments   du   sol   susceptibles   de   limiter   la   croissance   d’une   plante   (loi   de   Liebig   sur   le   minimum,   1912).   Elle   désigne   aujourd’hui   plus   généralement   l’élément dont l'excès ou le défaut conditionne le développement des êtres vivants (CNTRL, 2013) à un instant t.

l'eutrophisation littorale est très corrélé aux actions de gestion des milieux, s'agissant de zones fortement anthropisées.

La recherche s'organise alors majoritairement vers l'étude de sites de référence, comme Cheasapeake Bay, dans le Nord-Est des Etats-Unis. Les analyses évoluent en effet vers une prise en compte de plus en plus importante de la complexité des systèmes estuariens et côtiers, qui renforce la nécessité de disposer de séries longues et d'une métrologie fine, du fait de la multiplicité des variables et des variations rapides des flux et des concentrations de nutriments et de phytoplancton. Cette concentration des mesures et des analyses sur certains sites contribue à faire de certaines baies des « laboratoires » dont les chercheurs évaluent globalement l'état écologique. La question non résolue de l'opérationnalisation du schéma théorique de l'eutrophisation se trouve ainsi traitée de façon inversée : c'est à partir de l'étude approfondie d'un site que l'on construit désormais des propositions de modèle, dans une perspective de plus en plus influencée par la gestion.

La modélisation des relations entre nutriments disponibles et changements qualitatifs dans les communautés d'algues concentre un important effort de recherche dans les années 1980 et 1990 : les communautés d'écologues impliqués dans l'étude de l'eutrophisation s'efforcent de construire des ratios de nutriments qui permettent d'identifier des configurations géophysiques et nutritives « à risque ». La concentration sur cet enjeu, qui consiste à établir une typologie des systèmes estuariens et côtiers sensibles aux Etats-Unis, est ainsi relevée par Bricker et Stevenson (1996) :

« Le message irrésistible qu'adressent ces travaux est que l'eutrophisation est un problème qui menace les eaux côtières à des degrés variés d'urgence. La question qui demeure est de savoir comment utiliser cette information provenant d'études isolées, qui se concentrent sur un système spécifique ou un groupe de systèmes du même type, pour atteindre un niveau d'organisation qui peut utiliser des traits particuliers dans une approche unifiée permettant de combattre le problème. […] (Les modèles disponibles) sont les premières étapes pour construire un diagnostic utile et des modèles prédictifs avec lesquels justifier des actions de gestion pour la prévention de dégradations supplémentaires.» (Bricker et Stevenson, 1996)

Aussi la communauté scientifique états-unienne s'efforce de sortir d'une vision trop domestique, qu'alimente la recherche de solutions à la dégradation rapide des écosystèmes côtiers, pour tenter d'accéder à des modèles plus généraux, descriptifs et éventuellement prédictifs. Mais la diversité des formes du phénomène et des dispositifs de collecte de données constituent, pour cette entreprise, un obstacle majeur, et les chercheurs peinent à disposer d'une vision générale permettant de relier entre elles les études de cas.

Cette difficulté est à l'origine de débats conceptuels autour de la définition-même de l'eutrophisation : faut-il décrire le processus par ses symptômes ou par ses causes ? Comment dissocier la définition-même de l'évaluation de ses impacts négatifs ? Comment disposer d'une grille de lecture commune aux cas étudiés ? L'ampleur des enjeux et des débats autour de l'unification de la problématique est telle que plusieurs éminents spécialistes se livrent à une activité réflexive et analysent en détail la production scientifique désormais surabondante qui concerne l'enrichissement en nutriments et les blooms algaux dans les zones côtières. Dans l'analyse scientométrique réalisée par Nixon (2009), le thème de l'eutrophisation apparaît comme le plus développé jusqu'au milieu des années 1990, cédant ensuite le pas devant des portes d'entrées pour lesquelles le niveau de structuration de la problématique à l'échelle internationale est plus avancé (changement climatique, biodiversité). La surpêche et les espèces invasives sont les deux thèmes les plus cités ensuite.

James E. Cloern (2001) analyse quant à lui la complexification progressive des modèles descriptifs et analytiques  de  l’eutrophisation  (figure  4).  

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Figure 4. La complexification des modèles descriptifs de l'eutrophisation côtière67

Il montre que le premier modèle de l'eutrophisation (celui qui correspond à ce qu'il appelle la « phase 1 ») était directement issu de l'intense activité de recherche en limnologie sur les écosystèmes lacustres dans les années 1960. Le modèle contemporain, qui correspond pour lui à une deuxième phase, prend en compte les différences fondamentales de « réponse » des écosystèmes côtiers à l'enrichissement nutritif, l'ouverture du milieu et l'abondance de certains composés minéraux et organiques constituant des « filtres » et les impacts et rétroactions étant plus complexes. La phase 3 pose, selon lui, une série de questions d'ordre très général qui contribuent à une articulation bien plus étroite entre l'analyse localisée des phénomènes et les perturbations écosystémiques à grande échelle.

La complexité accrue des modèles descriptifs est ainsi liée à l'intégration d'interactions entre échelles, qu'il s'agisse d'analyser les « facteurs de stress » qui ne sont plus identifiés comme des causes mais comme des paramètres, et les impacts, conçus jusques et y compris dans leurs rétroactions sur le système : à une analyse en termes d'équilibre de l'écosystème, mis à mal par une pollution, se substitue une «écologie de la perturbation » dans laquelle c'est une vision plus dynamique et plus ouverte de l'écosystème qui prévaut. En ce sens, les écologues marins participent du mouvement général d'éloignement des principes de l'écologie fonctionnelle  observable  dans  les  années  2000  et  d’ébauche  d’un  nouveau  paradigme  (Blandin,  2009).  Mais   ils ont été et sont encore beaucoup plus directement touchés par les bouleversements que constitue l'imbrication croissante, dans les analyses du changement écologique, entre le vivant et le non-vivant. En effet, ils travaillent à caractériser les relations étroites qui lient les formes de vie hyper-réactives comme les

algues et les modifications rapides de la disponibilité en nutriments, de la température, des courants, de la lumière dans les écosystèmes étudiés. Ces variations, même légères, peuvent avoir des effets majeurs sur les phénomènes de production primaire et secondaire dans les écosystèmes qu'ils étudient :

« L'eutrophisation marine […] est un parfait exemple de problème qui doit être étudié en regardant à la fois les larges échelles et les détails microscopiques. Alors que l'essentiel de l'équipement (par exemple l'imagerie satellite) pour le mythique macroscope a été développé durant les trente dernières années, beaucoup d'écologues regardent toujours l'eutrophisation comme un problème local lié à des sources locales d'enrichissement nutritif. Une vision étroite de ce type isole l'eutrophisation de sa longue histoire intellectuelle – une histoire qui est liée au développement de notre compréhension de la production68 dans les eaux côtières. Elle néglige aussi la richesse intellectuelle et la complexité de l'eutrophisation. Un exemple de cette importance d'une vue macroscopique est l'importance croissante des changements induits par le climat dans la phénologie69 et les conséquences de cette évolution de la phénologie sur la productivité. » (Nixon, 2009)

Cette  vision  macroscopique  que  Nixon  appelle  de  ses  vœux  peine  encore  à  émerger.  Elle  met  en  jeu  à  la  fois   les représentations des scientifiques, leur outillage intellectuel et opérationnel, leurs relations avec les gestionnaires, et les dynamiques des phénomènes d'eutrophisation elles-mêmes.

De la diversité des formes à la mondialité d'un problème

A partir des années 1990, si les communautés d'écologues marins peinent encore à s'accorder sur une définition et une caractérisation communes des phénomènes d'eutrophisation, ils s'accordent sur le constat d'une accélération considérable de l'enrichissement des milieux côtiers en matière organique et en sels nutritifs. Une évaluation globale de l'évolution de l'état trophique des lacs, des réservoirs et des rivières s'avère possible dès la fin des années 1990 : 1/3 des lacs, 60% des rivières américaines sont par exemple considérées comme en voie d'eutrophisation avancée, mais une évaluation à plus large échelle, a fortiori prenant en compte les espaces côtiers, s'avère franchement problématique (Smith, 2003). Toutefois, Smith considère que la connaissance des mécanismes descriptifs des processus d'eutrophisation est désormais suffisamment complète leur conférer le caractère d'un « problème global », parce qu' « une remarquable unité est  évidente  dans  la  réponse  globale  de  la  biomasse  algale  à  la  disponibilité  en  azote  et  en  phosphore  […]   même si notre compréhension des effets de l'eutrophisation sur les écosystèmes marins et côtiers est bien plus limitée » qu'en ce qui concerne les eaux douces. L'évaluation du caractère global du problème de l'eutrophisation s'appuie ainsi désormais sur le double constat de l'augmentation de la biomasse algale à l'échelle mondiale et de l'évaluation de l'augmentation des apports de nutriments dans les écosystèmes aquatiques, calculés mondialement.

Au final, la construction d'une représentation mondiale de ces phénomènes n'intervient que tardivement : la première carte mondiale paraît en 2008, à la suite d'un long travail de compilation de données réalisé par le World Resources Institute (WRI) et le Virginia Institute of Marine Science. Cet important travail a bénéficié d'un large écho dans la communauté des écologues, et la carte représentée ci-dessous (carte 5) a été largement diffusée, faisant figure d'alerte sur l'état très dégradé des écosystèmes littoraux à l'échelle mondiale et mettant en évidence la multiplication des sites concernés dans les pays en développement et les pays nouvellement industrialisés70. La notion de « zone morte » prend un relief particulier chez les commentateurs de ces travaux.

68 L’auteur  utilise  ici  les  termes  de  « production » et « productivité » pour désigner la production de matière organique dans  l’écosystème  par  la  croissance  et  la  multiplication  des  organismes  végétaux  et  animaux.

69 La  phénologie  étudie  l’apparition  d’événements  périodiques,  liés  aux  variations  saisonnières  et  climatiques,  dans  le   monde vivant.

70 Voir, pour la France, l'article consacré par Le Monde (dimanche 17 et lundi 18 août 2008) à ce sujet : « L'activité humaine menace d'asphyxie les eaux côtières ».

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Carte 5. Carte mondiale des zones touchées par les phénomènes d'eutrophisation et d'hypoxie71

Légende :

Diaz et Rosenberg (2008) identifient 169 zones d'hypoxie (« documented hypoxic areas »), 233 zones dont l'état est préoccupant (des observations ont été réalisées, mais les travaux scientifiques sont insuffisants), 13 zones dont la