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Chapitre I. Le rôle de la logique dans le cursus artien : caractérisation de la logique dans les textes artiens

III. La logique comme méthode

III.2. Les « modes » de la science : définition, division, argumentation et supposition d’exemples

Les modes de la science que la logique fournit concernent surtout les modes sous lesquels toute doctrine est transmise : voilà pourquoi les introductions des cours artiens ont l’habitude de distinguer, sur le plan de ce qu’ils appellent « la cause formelle » du livre traité, la forma tractatus (correspondant à l’ordre des différentes parties du livre) de la forma tractandi, correspondant à la méthodologie (ou modus agendi ou procedendi) employée par l’auteur dans l’œuvre à l’étude3. En ce qui concerne les œuvres étudiées à la Faculté des arts, ces modes sont le plus souvent les modi diffinitivus, divisivus, collectivus, inductivus et exemplorum suppositivus, les trois premiers étant liés explicitement à la méthode proprement scientifique4.

1 Boèce lui-même avait entrepris la fusion de ces deux divisions, dans un effort de montrer l’harmonie entre les

traditions grecque et latine. À la première division tripartite de la logique ébauchée dans son premier commentaire sur l’Isagoge, Boèce superposa, dans son deuxième commentaire, la division cicéronienne ; il finira pour les combiner dans son commentaire sur les Topiques de Cicéron. L’évolution du traitement boécien de ce problème est très bien décrite dans F.MAGNANO, « Boethius : the Division of Logic between Greek and Latin traditions », dans BRUMBERG-CHAUMONT (éd.), Ad notitiam ignoti, p. 141-171. Une vision plus synthétique de ce parcours se trouve dans J.BRUMBERG-CHAUMONT, « Les divisions de la logique selon Albert le Grand », p. 346-349.

2 Chaque traité de l’Organon visait l’une de ces procédures ; en suivant encore l’autorité de Boèce, les logiciens

du XIIIe siècle identifient l’ars iudicandi (ou ars resolutoria) avec les Analytiques (qui correspondaient, chez

Cicéron, à la dyalectikê) et l’ars inveniendi avec les Topiques. En outre, les divers types de syllogismes étaient étudiés dans l’ars colligendi : on étudiait les syllogismes probables dans les Topiques, les nécessaires dans les Analytiques, les sophistiques dans les Réfutations sophistiques ; la division et la définition, dans les Premiers analytiques et dans le Liber divisionum de Boèce ; etc.

3 L’énumération des modi comporte plus ou moins d’éléments, selon que les modi en question se trouvent ou

non être utilisés dans l’œuvre étudiée. Le Commentaire sur les Catégories de Jean le Page, par exemple, exclut le modus collectivus, mais inclut la supposition d’exemples. Cf. JEAN LE PAGE, Rationes super Predicamenta, éd. HANSEN, p. 10, l. 4-7 : « Forma in duobus consistit, in forma tractatus et in forma tractandi. Forma tractandi est modus agendi, et est definitivus, divisivus et exemplorum suppositivus ».

4 Cf. par exemple LAMBERT D’AUXERRE, Summa logicae, éd. ALESSIO, p. 4 : « [...] modus enim scientificus, id

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Or, comment ces modi sont-ils présentés dans les textes artiens ? Dans son cours sur la Logica Vetus Kilwardby affirme que la division, la définition et l’argumentation (modus collectivus) sont nécessaires dans toutes les sciences spéciales, car elles comportent tous les éléments suivants : le sujet étudié, dont l’existence est supposée (connue par division) ; ses parties et ses espèces (connues à travers la définition) ; leurs propriétés ou passions (que l’on connaît en les prouvant par le syllogisme)1. L’ordre des trois opérations est clair : on divise d’abord le sujet pour en arriver à une série de définitions (définitions qui sont, considérées en elles-mêmes, à partir des choses premières en soi [ex prioribus], le genre et l’espèce) ; la définition fournit à son tour le moyen terme des syllogismes par lesquels on prouve les propriétés des parties du sujet. Il y a pour Kilwardby une quatrième manière de procéder, la supposition d’exemples (que Kilwardby fait dériver de Boèce)2, qui n’est guère nécessaire en vue de la connaissance du sujet, mais qui facilite l’apprentissage aux auditeurs. La présentation de Kilwardby est trop générale et quasi identique dans toutes les introductions aux livres de l’Ars Vetus, et ne vise que les modi agendi des livres commentés ; il faut se tourner vers sa division des sciences, le De ortu scientiarum (un texte produit hors du milieu parisien), pour trouver une description plus détaillée sur l’articulation de ces trois éléments,

1 Dans son cours sur la Vieille logique, Kilwardby présente ces modes comme étant la forma tractandi de chacun

des livres commentés (mais qui sont nécessaires dans toute science). Cf. ROBERT KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 359, l. 6-20 : « Verumtamen, sciendum quod sunt hii tres modi qui in qualibet speciali sciencia sunt necessarii, scilicet modus diffinitiuus, diuisiuus et collectiuus. Cum enim in omni sciencia sunt tria, subiectum et partes et species subiecti et passiones probate de partibus et speciebus, ad congnicionem sciencie necessaria est harum cognicio. Cognicio quedam subiecti habetur per diuisionem : non enim per diffinicionem, cum subiectum sit prinicipum in sciencia, et diffinicio debet esse ex prioribus. Cognicio quoque parcium et specierum habetur per diffinicionem ; species enim est quod diffinitur. Diffinicionibus quoque harum habitis colliguntur et sillogizantur per eas passiones de partibus et speciebus, cum diffinitio sit medium in demonstracionibus, et sic cognoscuntur passiones ».

2 À strictement parler, Boèce ne pose que les premiers trois modes ; cf. BOÈCE, Commentaria in Ciceronis

Topica, I, 6-7, cité ci-dessus ; P.O. Lewry croit que l’attribution erronée de cette idée à Boèce peut se fonder sur sa traduction des Premiers Analytiques ; certains autres l’attribuent directement à Aristote. L’idée se trouve aussi dans le florilège Auctoritates Aristotelis, et on peut imaginer qu’elle était ainsi transmise dans d’autres recueils d’autorités. Cf. ARISTOTE, Analytica Priora, I, 41 (49b34-50a4), trad. BOÈCE (recensio Florentina), éd. L.MINIO-PALUELLO, Analytica Priora. Translatio Boethii (recensiones duae), translatio anonyma, Pseudo- Philoponi Aliorumque scholia, specimina translationum recentiorum, Bruges, Paris ; Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », III, 1-4), 1962, p. 81, l. 26, p. 82 – l. 1-9 : « Nos oportet autem arbitrari propter expositionem accidere aliquid inconveniens ; nihil enim utimur eo quod hoc aliquid sit, sed quemadmodum geometer pedalem et rectam hanc esse et sine latitudine dicit quae non est, sed sic utitur ut ex his syllogizans. Omnino enim quod non est ut totum ad partem et aliud ad hoc ut pars ad totum, ex nullo talium ostendit qui demonstrat, neque enim fit syllogismus. Expositione autem utimur velut qui dicunt ut sentiat discens ; non enim sic ut sine his non possibile sit demonstrare, quemadmodum ex quibus est syllogismus » ; cf. aussi IOHANNES DE FONTE (comp.), Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 309, no 16 : « Exempla ponimus non quod ita sint,

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la diffinitio, la divisio et la collectio, nommée parfois ratiocinatio. Il en va de même pour Nicolas de Paris et pour Jean le Page : les commentaires consacrés soit à la logique, soit à la grammaire, ne font qu’énumérer les modi agendi des sciences à l’étude : ainsi, dans le Commentaire sur les Catégories, Nicolas mentionne les modi diffinitivus, divisivus, probativus, improbativus et exemplaris1, alors qu’il considère que le Liber sex principiorum ne concerne que la définition, la division et l’exemple2 (les mêmes trois modes que Pagus considère pour les Catégories). C’est dans sa Philosophia que Nicolas de Paris offre une vision d’ensemble de l’articulation des trois (ou quatre, si l’on considère aussi l’induction) modes de la science.

Examinons donc comment sont articulés les trois modes de procéder de la science dans la division générale de la logique, pour examiner ensuite, plus en détail, le modus exemplorum suppositivus, particulièrement pertinent dans l’étude de l’Éthique.

III.2.1. Définition, division, argumentation. Articulation avec l’ars inventiva et l’ars iudicativa

Toute science portera forcément sur le complexe ou l’incomplexe ; en voici la distinction qui sépare d’abord le duo complémentaire diffinitio-divisio de l’argumentation (ou encore du tandem collectio-inductio)3.

La division et la définition s’opposent selon la connaissance de la réalité qu’elles offrent : la définition (consistant dans le genre et la différence spécifique) donne la connaissance « en soi », et procède à partir de ce qui est premier en soi ; la division pour sa part prend le chemin inverse : elle nous fait connaître la chose par ses parties, de sorte qu’elle

1 NICOLAS DE PARIS (?), In Predicamenta, M, f. 42ra : « Forma tractandi est modus agendi, qui est diffinitivus,

diuisivus, probativus, improbativus, exemplaris ». Pour l’attribution incertaine, voir WEIJERS, Le travail intellectuel … VI. Répertoire des noms commençant par L-M-N-O, p. 195.

2 NICOLAS DE PARIS (?), In librum sex principiorum, M, f. 174ra : « [...] et modus tractandi qui est diffinitivus,

diuisivus et exemplaris ». Pour l’attribution douteuse, voir également WEIJERS, Le travail intellectuel … VI. Répertoire des noms commençant par L-M-N-O, p. 196.

3 ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 179, 524, l. 6-11 : « Cum enim logica sit modus

scientiarum et in scientiis oportet habere notitiam incomplexorum et complexorum, et complexorum cognitio fiat per ratiocinationem, et incomplexorum per divisionem que est per posteriora natura et per definitionem quae est ex prioribus natura, oportet logicam non solum artem ratiocinandi docere sed et definiendi ac dividendi » ; NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR etCARRIER, p. 462, § 39 : « Differunt autem uie in cognitionem rerum incomplexarum et in cognitionem complexionis earum. Incomplexum habet connosci duplici uia : aut enim per priora natura, et sic per diffinitionem ; aut per posteriora, et sic per quandam diuisionem. Complexio rerum habet connosci duobus modus similiter : aut per priora, et sic uia sillogistica ; aut per posteriora, et sic uia inductiua [...] Et secundum hoc diuiditur loyca in artem diuidendi, diffiniendi, colligendi siue arguendi ».

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procède « ex posterioribus »1. Or, la connaissance commence toujours à partir de ce qui est premier pour nous : diviser2 le sujet en parties (en genres et espèces) nous permettra de trouver les définitions qui seront les moyens termes employés dans la construction des syllogismes visant à montrer quelles sont les propriétés des parties du sujet3.

Un mouvement similaire s’applique à la matière complexe, tout en expliquant la distinction classique entre le syllogisme (via sillogistica) et l’induction (via inductiva) : le syllogisme procède ex prioribus, alors que l’induction procède per posteriora à partir de ce qui est plus connu selon nous. Le modus collectivus ou ars colligendi (incluant les deux viae, sillogistica et inductiva) est exprimé au moyen d’une terminologie assez variable, qui laisse voir que le terme peut bien se traduire par « argumentation » ou « raisonnement ». Nicolas de Paris utilise plusieurs formules : l’ars colligendi siue arguendi est remplacée parfois par les termes sillogismus et inductio ; mais on trouve aussi les expressions probativus et improbativus. Kilwardby utilise indifféremment collectio et ars ratiocinandi (formule de laquelle se rapproche Arnoul de Provence)4, en établissant aussi, parfois, un rapport étroit entre colligere et syllogizare5. En tout cas, le mot collectio évoque toujours l’acte de tirer une certaine conséquence à partir d’un groupe de propositions ou d’énonciations, et s’identifie parfois au syllogisme démonstratif (le seul à donner une connaissance certaine et véritable),

1 ROBERT KILWARDBY, Liber divisionum, éd. LEWRY, p. 410, l. 34-36 : « [...] propter hoc quod diffinicio magis

significat de esse absolute, cum det cognicionem rei in se, quam diuisio, cum cognicionem rei det in suis partibus [...] ». Cf. aussi ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 179, 524, l. 6-11, et NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR etCARRIER, p. 462, § 39, cités ci-dessus.

2 ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 179, 525, l. 17-18 : « Ideo ex se non habet scientia

unde notificet subiectum nisi per divisionem ».

3 ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 179, 525, l. 18-22 : « Diviso autem genere subiecto

in partes et species eius, ex diviso et differentiis dividentibus colligit definitiones partium et specierum eius. Tertio autem per definitiones ratiocinatur de partibus illis et speciebus proprietates earum sive passiones » ; NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 462, § 40 : « Sed quia diuisio est uia in diffinitionem, et diffinitio est uia in demonstrationem – est enim medium diffinitio in demonstratione et causa – [...] ideo non separatur ab Aristotile ars diuidendi et diffiniendi ab arte demonstrandi [...] ».

4 ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 343, l. 642 : « Pars autem colligendi, id est

ratiocinandi [...] ».

5 ROBERT KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 359, l. 16-17 : « Diffinicionibus quoque

harum habitis colliguntur et sillogizantur per eas passiones de partibus et speciebus ». ROBERT KILWARDBY, In librum Topycorum, éd. O. WEIJERS, « Le commentaire sur les Topiques attribué à Robert Kilwardby », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, 6 (1995), p.127-128,l.149-156 :« Et dicendum quod si due sint species argumentationis dyaleticem nobilior et perfectior est sillogismus quam inductio, unde potest inductio aliquo modo in sillogismum reduci ; convenienter ergo nominat et intelligit ratiocinationem dyaletica per speciem eius principalem. Et eius consonat alia translatio, in qua ponitur ‘ratiocinari’ ubi in nostra translatione habemus ‘sillogiçare’. Hoc etiam consonat Porphirio exponenti ‘sillogiçare’ sic, dicens quod ‘si’ idem est quod ‘cum’ et ‘logos’ ratio, inde sillogiçare quasi conratiocinari, et secundum hoc omnis argumentatio sillogismus dici potest ».

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mais inclut aussi les syllogismes procédant à partir des prémisses probables et l’induction1. En effet, les maîtres ès arts divisent le syllogisme « simpliciter »2 (dont la science est transmise dans les Premiers Analytiques), défini dans sa nature générale comme étant matériellement composé de trois termes (deux extrêmes et un moyen terme les réunissant)3 permettant le mouvement des prémisses à la conclusion4, en deux espèces, distinguées par la matière spéciale à partir de laquelle le syllogisme est fait (et non pas par la forme, commune à la démonstration et à la dialectique)5 : le syllogisme démonstratif (le sujet des Seconds Analytiques) est fait à partir des prémisses nécessaires (de sorte que sa conclusion sera aussi nécessaire), alors que le syllogisme dialectique (traité dans les Topiques) est fait à partir des prémisses probables (les opinions généralement admises ou endoxa)6.

Or, ces deux formes du syllogisme ne sont pas égales quant à la « puissance » ou la force avec laquelle ils produisent la connaissance dans l’esprit de l’auditeur (quoique le syllogisme, pris communément, soit supérieur à d’autres formes d’argumentation). Le syllogisme démonstratif occupe une place privilégiée : c’est au moyen de la démonstration dans le sens le plus strict du mot qu’il est possible d’engendrer chez l’auditeur la

1 Le sens très technique de ce mot est bien décrit par M.D. Chenu dans ses notes de lexicographie. Cf. M.D.

CHENU, « Notes de lexicographie philosophique médiévale : collectio-collatio », RSPT, 16 (1927), p. 442-444. Il faut bien le distinguer du mot collectio entendu comme simple « acte de recueillir » ou de « rassembler », associé parfois à la description de l’universel ; Ibid., p. 439-442.

2 Le syllogisme lui-même est considéré comme « instrument » des autres sciences, quoiqu’il soit aussi le sujet

de la science transmise dans les Analytiques. Cf. ANONYME, De communibus artium liberalium, éd. LAFLEUR, p. 172, l. 478-481 : « Ad minorem dico quod sillogismus demonstratiuus potest considerari dupliciter : uel quantum ad eius usus, et sic est instrumentum huius scientie ; uel quantum ad eius artem, et sic est hic subiectum ».

3 Dans le cas de Kilwardby, le syllogisme inclut trois termes et deux propositions, car la conclusion ne fait pas

partie du syllogisme.ROBERT KILWARDBY (publié sous le nomGilles de Rome), In libros Priorum analeticorum Aristotelis Expositio, dans Reverendi Magistri Egidii Romani in libros Priorum analeticorum Aristotelis Expositio et interpretatio sum perquam diligenter visa recognita erroribus purgata. Et quantum anniti ars potuit fideliter impressa cum textu, Venise, 1516, p. 5b, In 3o : « [...] syllogismus demonstrativus et dialecticus

habent quasdam passiones communes ut quod sint ex tribus terminis et duabus propositionibus [...] ». Sur la nature du syllogisme chez R. Kilwardby, voir P.THOM, « Robert Kilwardby on syllogistic form », dans P.THOM

et H.LAGERLUND, A Companion to the Philosophy of Robert Kilwardby, Leiden, Boston ; Brill, 2012, p. 131- 161, notamment p. 134-144.

4 Cf. P.THOM, « Robert Kilwardby on syllogistic form », p. 140.

5 Suivant une tradition alexandrine, les auteurs de la première moitié du siècle considèrent le syllogisme comme

un composé de matière et forme. Cf. BRUMBERG-CHAUMONT, « Les divisions de la logique selon Albert le Grand », p. 345.

6 ANONYME, De communibus artium liberalium, éd. LAFLEUR,p. 173, l. 509-513 : « Primo quod sillogismus

simpliciter, de quo dictum est in libro Priorum, diuiditur tanquam genus in species in sillogismum demonstratiuum, de quo <dictum est> in libro Posteriorum, et sillogismum dyaleticum, qui est presentis speculationis » ; p. 174, l. 514-517 : « ‘demonstratiuus est ille qui est ex propositionibus necessariis syllogizatus’, ‘dyaleticus est ille qui ex probabilibus est sillogizatus’, et isti sunt species sillogismi recti ».

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connaissance la plus certaine et la plus complète1, une connaissance par les causes2, s’opposant à la connaissance incomplète que nous offre le syllogisme dialectique (portant sur le probable, et non pas sur le nécessaire)3. Ainsi, la démonstration « la plus puissante » (potissima)4 se fait à partir du nécessaire5, et se fonde sur des principes premiers, vrais,

1 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR etCARRIER, p. 462, § 40 : « [...] et per demonstrationem

completissimus et certissimus habitus generatur [...] ».

2 La notion de certitude se trouve associée à la connaissance des causes (obtenue par démonstration) depuis la

traduction des Seconds Analytiques par Jacques de Venise, qui utilise les termes « certitudo » et « certior » pour rendre akribeia et akribesteros. Particulièrement importante est la traduction du passage I, 27 (87a31-33), où Aristote énumère les conditions rendant une science « plus certaine » et « antérieure » aux autres ; cf. éd. MINIO- PALUELLO, p. 60, l. 14-16 : « Certior autem scientia est et prior queque ipsius quia et propter quid eadem est, sed non est ipsius quia extra eam que est propter quid ». Une science qui fait connaître les causes est ainsi « plus certaine » que la science qui ne donne que la connaissance du fait sans le pourquoi (voilà pourquoi l’éthique peut être regardée comme une science non certaine [car, selon Aristote, une connaissance suffisante du fait pourrait permettre d’exclure la connaissance du pourquoi ; cf. ÉN I, 2, 1095b6-7]). L’importance de cette traduction dans l’élaboration médiévale de la notion de certitudo est mise en avant dans EBBESEN et al., « Case study 4. Aristotle and the Medievals on Certainty », dans EBBESEN et al., History of Philosophy in Reverse, p. 148-165, où les auteurs analysent aussi les apports que les auteurs médiévaux peuvent offrir à la discussion moderne sur le passage en question.

3 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR etCARRIER, p. 463, § 43 : « Quidam autem facit notum et a

parte rei note et connoscentis, et horum quidam generat completam notitiam, scilicet scientiam per causam, et hic demonstratiuus ; quidam autem incompletam notitiam, scilicet opinionem, per signa probabilia, et sic est dyalecticus [...] » ; § 47 : « Ex dictis iam patet quod loyca, que necessaria est ad doctrinam, est de uis .IIII.or que sunt ad connoscendum res et rerum complexiones, scilicet diffinitio, diuisio, sillogismus et inductio – et maxime et principaliter sillogismus demonstratiuus, qui completum habitum generat in disciplinabilibus ».

4 Sur ce terme, voir la traduction latine des Seconds Analytiques de Jacques de Venise, qui utilise le terme

« potior » pour caractériser la démonstration universelle (en traduisant ainsi le grec beltiôn, « meilleur ») ; ce terme ne se retrouve ni dans la traduction de Gérard de Crémone (faite à partir de l’arabe) ni dans la traduction anonyme (mais on la retrouve dans la recension de Guillaume de Moerbeke) ; cf. par exemple ARISTOTE, Analytica Posteriora, I, 24 (85b14-15), trad. JACQUES DE VENISE,éd. MINIO-PALUELLO, p. 54, l. 13-14 : « Potior itaque est universalis quam particularis » ; et I, 24 (86a3), p. 55, l. 20-21 : « Et universale autem tunc ; universalis itaque potior ».

5 ANONYME, De communibus artium liberalium, éd. LAFLEUR,p. 170, l. 425-428 : « [...] in tertia parte ostendit

Philosophus quod demonstratio potissima est ex necessariis, ex hiis etiam que sunt per se et non per accidens, non ex contingentibus nec ex communibus, set ex propriis principiis sempiternis et incorruptibilis [...] » ; ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY,p. 171, 504, l. 16-19 : « Causa autem huius continuationis potest esse quod potissimus modus syllogizandi et principaliter ac finaliter intentus, quo habito quiescit humana inquisitio, demonstrativus est ».

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connus en soi et universels1 ; tandis que le syllogisme dialectique est recherché en vue de la science ultimement transmise par la démonstration2.

Or, cette distinction tripartite de la logique en diffinitio, divisio et collectio n’entre pas en contradiction avec l’autre division présentée par les maîtres, la distinction cicéronienne entre l’ars inveniendi et l’ars iudicandi3. Les maîtres ès arts les rendent compatibles de manière variable. Le plus souvent la collectio est simplement divisée en ars inveniendi (ou art de la découverte) et ars iudicandi (ou ars resolutoria4, l’art du jugement)5 : l’art de découvrir des arguments visant à prouver une conclusion déterminée et l’art de juger la qualité des arguments trouvés (se rapportant tous les deux au syllogisme, comme le remarque

1 ROBERT KILWARDBY, In librum Topycorum, éd. WEIJERS,p.126,l. 87-99 : « Patet etiam iste ordo eo quod

necessitas, que est dispositio necessaria ad sillogismum completum, reperitur in sillogismo demonstrativo, quia tam in inferentibus quam in illatione ; in sillogismo autem dyalectico minus complete ; in ipso enim secundum quod huiusmodi non est necessitas set probabilitas dispositio propositionum, licet possit inveniri necessitas in consequentia ; in sillogismo autem dyaletico minime reperitur hec dispositio [...]. Potest enim accipi iste ordo