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Chapitre I. Le rôle de la logique dans le cursus artien : caractérisation de la logique dans les textes artiens

III. La logique comme méthode

III.1. Divisions de la logique

Malgré l’intérêt que pourrait revêtir une étude détaillée des différentes manières de diviser la logique en usage à la Faculté des arts dans la période qui nous concerne, on se contentera ici de dresser un portrait assez synthétique, limité aux aspects qui peuvent s’avérer pertinents pour le présent travail1.

Les divisions présentées par les artiens varient selon le point de vue sous lequel est considéré le sujet de la logique, le syllogisme (ou, dans un sens plus large, l’argumentation ou le raisonnement réductibles au syllogisme)2. Ainsi, selon l’une des divisions courantes,

1 La variété des divisions utilisées dans le milieu artien est bien représentée par le Guide de l’étudiant, qui en

examine plusieurs. Ce point est mis en avant par C. Lafleur, qui offre aux lecteurs de nombreux tableaux facilitant la compréhension. Cf. C.LAFLEUR, « Logique et théorie de l’argumentation dans le ‘Guide de l’étudiant’ (c. 1230-1240) du ms. Ripoll 109 », Dialogue, XXIX (1990), p. 335-355. Sur la grande variété et complexité de ces divisions, voir aussi C.LAFLEUR, D.PICHÉ et J.CARRIER, « Porphyre et les universaux dans les Communia logice du ms. Paris, BnF, lat. 16617 », LTP, 60, 3 (2004), p. 500, note 2. C. Marmo donne une vision synthétique des différentes divisions de la logique utilisées vers 1250 ; MARMO, « Suspicio: A Key Word », p. 156-159. On consultera aussi avec profit l’article de J.BRUMBERG-CHAUMONT, « Les divisions de la logique selon Albert le Grand », dans BRUMBERG-CHAUMONT (éd.), Ad notitiam ignoti, p. 335-416.

2 ANONYME, De communibus artium liberalium, éd. LAFLEUR, p. 155, § 3, l. 13-14 : « Subiectum in logica est

sillogismus, quia de sillogismus et eius partibus et passionibus determinatur per totam logicam » ; ROBERT

KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 178, 523, l. 20-26 : « Ex his perpendi potest facile subiectum logicae et finis atque definitio. Subiectum enim ratiocinatio est. Ad ipsam enim reducuntur omnia quae in logica traduntur tamquam partes subiectivae vel integrales vel aliquo tali modo. Qui autem ponunt eius subiectum sillogismum in idem redeunt. Omnes enim modi ratiocinationum, sicut docet Aristoteles in Prioribus, vim habent ex sillogismo et in ipsum reducuntur » ; PSEUDO-JEAN LE PAGE, Sicut dicit philosophus, éd. préliminaire de C.LAFLEUR et J.CARRIER, § 25 (Padova, Bibl. Univ. 1589, f. 4 [=P2] ; Vat. lat. 5988, 63vb-64ra [V1]) : « [...]

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les traités de l’Organon sont distingués selon les différents aspects du syllogisme qu’ils traitent : les termes composant ses propositions, qui en sont la matière « éloignée » (Catégories), les propositions qui composent à leur tour le syllogisme, ou sa matière « rapprochée » (Peri Hermeneias), le syllogisme en général ou traité de manière exemplaire (Premiers Analytiques), le syllogisme démonstratif (Seconds Analytiques), le syllogisme dialectique (Topiques) et le syllogisme apparent (Réfutations sophistiques)1.

Or, l’Organon est, dans le milieu universitaire, complété par d’autres traités dont il faut expliquer l’utilité : si les ouvrages d’Aristote exposent tout ce qui concerne l’être de la logique (de esse logices), les traités supplémentaires sont en vue du « bien-être » de la logique (de bene esse logices)2. Cette partie inclut donc l’Isagoge de Porphyre, introduisant à l’étude des Catégories, les traités de Boèce Sur la division (qui est parfois censé traiter aussi de la définition), sur les Topiques et sur les syllogismes hypothétiques et catégoriques et le complément aux Catégories qu’est le Liber sex principiorum. La signification de cette expression « de bene esse logices » mérite quelque attention, car on trouve ici, encore, l’aspect pédagogique qui était si important dans la description des sciences du langage. Certains thèmes semblent en effet « superflus », car ils ne font pas partie de la discipline « quant à son intégralité » ; mais ils sont utiles « propter addiscentes » ou « propter audientes » (pour ceux qui apprennent ou entendent)3 ; ces livres sont en effet très utiles aux

circa logicam insistamus. Et quia unaqueque scientia secundum partes sui subiecti diuiditur, cum logica sit tota ad sillogismum, diuidamus eam secundum acceptionem sillogismi » ; ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR etCARRIER, § 503 : « [...] et ideo dicitur quod tota logica propter sillogismum est. Et ex hoc ponitur sillogismus esse subiectum totius logices ».

1 Cette division est très courante, mais les différentes expositions présentent des variantes que nous laissons ici

de côté.

2 LAFLEUR, « Logique et théorie de l’argumentation dans le ‘Guide de l’étudiant’ », p. 338-340 ; S.EBBESEN,

« What counted as logic in the thirteenth century ? », p. 95 (avec la note 3) ; ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 513 : « Et per hoc etiam patet quod sunt .VI. libri principales logice. Vnde si sint alii, dicimus quod potius sunt de bene esse quam de esse logices, ut patet, quia liber Porphirii est introductorius ad librum Predicamentorum [...] ». Une telle distinction se trouve aussi en grammaire : cf. ANONYME, Philosophica disciplina, éd. LAFLEUR, p. 277, l. 366-368 : « [...] et quia est solum pars accidentalis gramatica et de bene esse, ideo Priscianus deseruiens artis necessitati nichil de ethimologia determinauit ».

3 Ainsi, Kilwardby déclare, par rapport à l’Isagoge : « Ad hoc notandum quod doctrina hic tradita est de

integritate logices quantum ad bene esse, non tamen de esse ; nec Aristotiles considerans artem fuit diminutus, nec Porphirius considerans addiscentes [N.B. : le manuscrit Madrid, Biblioteca universitaria, 73 lit « audientes »], uolens eas satisfacere, erat superfluus : sic igitur est de bene esse artis logices » (ROBERT

KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY,p. 360, l. 19-23). La même formule se répète de manière quasi identique (en mentionnant cette fois le nom de Boèce) dans le Commentaire sur le Liber diuisionum : « Dicendum quod non est de esse logices sed de bene esse, nec Aristoteles considerans artem erat diminutus,

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« studentes in logicalibus »1, et sont transmis « en vue de l’explication »2 ou encore pour que soient connues « plus facilement » les choses exprimées de manière difficile dans les traités d’Aristote lui-même.

Or, deux autres divisions se superposent à ces deux premières, centrées cette fois sur le rôle méthodologique et instrumental que la logique acquiert face aux autres sciences. Ainsi considérée, la logique contient en soi l’étude des modi applicables à toute science spéciale, par lesquels nous arrivons à connaître son sujet quant à ses propriétés, ses parties et ses espèces : appuyés principalement sur l’autorité de Boèce3, les maîtres distinguaient trois

nec Boecius considerans addiscentes fuit superfluus » (ROBERT KILWARDBY, Liber divisionum, LEWRY, p. 409, l. 36-40).

1 ROBERT KILWARDBY, Liber divisionum, éd. LEWRY, p. 411, l. 1-7 : « In prima ergo parte terminat hanc

questionem in partem affirmatiuam, an sit utilitas, etc., per talem racionem ad illud per auctoritatem : Andronicus, Plotinus, Porfirius in quibusdam suis libris asserunt maximam esse huius utilitatem studentibus in logicalibus. Et sic tangitur ad quid, et patet quod hec scientia est de bene esse logices, quia propter addiscentes, ergo maxima est huius utilitas ». Pour sa part, Nicolas de Paris, dans sa Philosophia, omet l’expression « de bene esse logices », mais rappelle tout de même la fonction « pédagogique » de ce traité : « Finis autem communis est communis utilitas istius scientie que prodest communiter omnibus audientibus [...] » (éd. LAFLEUR etCARRIER,p. 465, § 53).

2 ANONYME, Communia logice, éd. C. LAFLEUR et D. PICHÉ (avec la collaboration de J. CARRIER), « Porphyre

et les universaux dans les Communia logice du ms. Paris, BnF, lat. 16617 », LTP 60, 3 (oct. 2004), p. 501, § 6 : « Alii uero sunt magis de bene esse et traditi causa explanationis, ut liber Sex principiorum agit de sex formis de quibus breuiter erat actum in scientia Predicamentorum » ; Id., § 8 : « In libro uero Diuisionum determinatur quedam utilia ad artem diuidendi et diffiniendi. Vnde artem diuidendi et diffiniendi tradit Boecius eodem libro explanatiue, quas magis occulte determinat Aristotiles in secundo Posteriorum » ; ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 513 : « Liber uero Topicorum Boetii ualet ad cognoscendum facilius ea que cum maiore difficultate traduntur in Topicis ».

3 Qui provenait à son tour de l’Isagoge de Porphyre, dont Boèce visait à expliquer l’utilité. Au début de son

Isagoge, Porphyre remarque l’importance de connaître les cinq prédicables « [...] pour donner des définitions, ainsi que pour ce qui concerne la division et la démonstration [...] » (Isagoge, 1, trad. A. DE LIBERA et A.P. SEGONDS, Isagoge. Texte grec, translatio Boethii, Paris, Vrin, 1998, p. 1) ; PORPHYRE, Isagoge, trad. BOÈCE, éd. L.MINIO-PALUELLO, Porphyrii Isagoge translatio Boethii et Anonymi fragmentum vulgo vocatum « Liber sex principiorum » accedunt Isagoges fragmenta M. Victorino interprete et specimina translationum recentiorum categoriarum, Bruges, Paris ; Desclée de Brouwer, 1966 (coll. « Aristoteles Latinus » I, 6-7), p. 1, l. 5-6 : « [...] et ad definitionum adsignationem, et omnino ad ea quae in divisione vel demonstratione [...] ». Ces trois procédures constituent, déjà pour Boèce, la division tripartite de la logique que nous retrouvons chez les maîtres ès arts ; cf. BOÈCE, In Isagogen (editio prima), I, 4, éd. G.SCHEPPS, revision S.BRANDT, Anicii Manlii Severini Boethii In Isagogen Prophyrii commenta, Vienne, Leipzig ; F. Tempsky, G. Freytag, 1906, p. 10, l. 25, p. 11, l. 1-3, 23-27 – p. 12, l. 1-2 : « Definitionum quoque, quod ad logicam pertinet, magna atque utilis uberrimaque cognitio est ; quas definitiones nisi per genera, species, differentiae proprietatesque tractaveris, nullus umquam definitionibus terminus inponetur [...] in divisione vero tantum prodest, ut nisi per horum scientiam nulla res recte distribui secarique possit. Nam quae generum vel specierum recta distributio divisione erit, ubi ipsarum per quas dividitur rerum nulla scientiae cognitione dirigimur ? Probationem vero veritas in his, quod per ea quae dividis, id quod dividis vel quid aliud probas » ; cf. aussi BOÈCE, Commentaria in Ciceronis Topica, I, 6-7, éd. J.C.ORELLI, dans I.G.BAITER (éd.) Ciceronis opera, vol. 5.1, Zürich, Fuesslini, 1833, p. 274, l. 4 et ss. : « Omnis namque vis logicae disciplinae aut definit aliquid aut partitur aut colligit. Colligendi autem facultas triplici diversitate tractatur : aut enim veris ac necessariis argumentationibus disputatio decurrit, et disciplina vel demonstratio nuncupatur : aut tantum probabilibus, et dialectica dicitur : aut apertissime falsis, et sophistica, id est, cavillatoria perhibetur ».

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modes nécessaires à toute science, le modus diffinitivus (permettant de former adéquatement des définitions), le modus divisivus (permettant de diviser le sujet étudié : le tout en parties, le genre en espèces, etc.), et le modus collectivus (appelé parfois argumentativus) ; ce dernier comportait à son tour la division cicéronienne en ars inveniendi (l’art de trouver des arguments) et ars iudicandi (l’art de juger l’exactitude des arguments)1. Cet ensemble méthodologique était parfois complété d’un quatrième mode qui, n’étant pas nécessaire, était toutefois utile « propter addiscentes » : le modus exemplorum suppositivus, que l’on voit parfois remplacé (sans qu’il soit possible d’établir une équivalence) par l’inductio2.