• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 : L’ANALYSE D'UN PROCESSUS DE

2. Les modes de changement :

Dans ce qui suit, nous traitons les mécanismes du processus du changement à travers les facteurs engendrant le changement. Dans le quatrième chapitre de la deuxième partie,

nous allons la traiter, les acteurs de changement.

Une distinction est faite entre un changement imposé et un changement volontaire. Les auteurs Guilhon (1998) et Hafsi et Fabi (1997) sont d’accord sur l’idée qu’il n’existe pas d’approche ou de modèle consensuel sur le changement organisationnel. Toutefois, une distinction entre le changement volontariste et le changement déterministe subsiste. Cette distinction a d’ailleurs fait l’objet d’un débat qui a structuré une grande partie des recherches en théorie des organisations (Astley et Van de Ven, 1983, Mbengué, 1997, Guilhon, 1998).

2.1. Le changement volontaire :

La vision volontariste s’oppose à celle déterministe en mettant en évidence le rôle prépondérant des choix stratégiques et de l'acteur dans la décision du changement organisationnel. Dans le cadre de cette perspective, nous pouvons citer les travaux des tenants de la théorie du choix stratégique (Andrews, 1971, Child, 1972) qui ont mis en avant le rôle crucial des membres clés de l'organisation et de leurs choix stratégiques dans l’action du changement. Il s’agit d’une vision qui donne aux sources du changement un caractère endogène. Nous pouvons aussi intégrer dans cette vision volontariste du changement les travaux des théoriciens du «Développement Organisationnel» tels que Beckard (1975) et Beer (1976), qui ont donné au leader un rôle central dans le processus.

Les postulats de cette vision volontariste se fondent sur le fait que les individus maîtrisent relativement la construction de leurs actions futures qui sont elles-mêmes expliquées par le passé vécu par les acteurs et le contexte. Aussi, cette perspective du changement organisationnel met en avant le rôle des sentiments personnels des dirigeants dans les choix stratégiques à réaliser (Stopfrod et Baden-Fuller, 1994) et stipule donc que le changement décidé est fortement influencé par l’orientation cognitive et motivationnelle des décideurs (Bobbitt et Ford, 1980).

131 Dans ce sens, ce mode de changement, nous l'avons ressenti quand nous avons posé la question aux salariés, est ce que la direction générale accorde une place stratégique aux TIC. Un certain nombre de salariés enquêtés ont exprimé leur regret, par exemple, pour, le départ d'un ancien directeur général ou ministre qui selon eux donnaient de l'importance aux TIC et étaient à la page. Ce qui prouve que le changement peut être personnifié et tributaire des choix prioritaires du leader dans l'organisation.102

Un salarié au ministère de la formation professionnelle et de l'emploi nous déclarait qu'à l'époque de l'ancien ministre, le personnel était plus motivé, travaillant avec les outils des TIC et ayant une culture numérique beaucoup plus développée qu'à l'époque du ministre actuel.

Enfin, dans le cadre de l’approche volontariste du changement nous pouvons citer aussi l’analyse de Crozier et Friedberg (1977) qui offre une vision du changement en termes d’apprentissage par l’acquisition de nouvelles capacités nécessaires à une logique d’action.

Le ministère de la formation professionnelle et de l'emploi ainsi que la poste tunisienne ont choisi, éventuellement, d'insérer les nouvelles technologies d'information et de communication dans leur gestion interne et externe et ce, pour améliorer leur image auprès de leurs différents publics. C'est un changement volontaire vu que tous les deux ne souffrent pas de concurrence et qu'ils monopolisent le marché dans leurs secteurs respectifs. Ils ont fait ce choix stratégique d'être en harmonie avec le progrès des ressources humaines en Tunisie et en vue de faciliter le travail en interne pour les salariés et les usagers.

2.2. Le changement imposé :

Ce genre de changement nous l'avons perçu clairement dans notre terrain à travers le cas de Tunisie Telecom. Souffrant d'une concurrence accrue, Tunisie Telecom s'est trouvée obligée de moderniser ses outils de travail à l’interne comme à l'externe. Nous avons constaté une réelle prise de conscience de la réalité du marché. Premier fournisseur de la

102

Nous revenons plus en détails à ce point dans le quatrième chapitre de la deuxième partie qui analyse le rôle des acteurs internes et externes de l'organisation.

132 téléphonie fixe, portable et internet en Tunisie, avec l'accroissement des fournisseurs des TIC en Tunisie, Tunisie Telecom s'est trouvée dans le cas de figure du changement imposé. Ajoutons à cela, la privatisation de la moitié de son capital. Deux modèles organisationnels se sont cohabités à l'intérieur de l'organisation, celui de l'étatique et du privé. Cette « confrontation » entre ces deux modèles a fait surgir un réel changement du management à l’intérieur de l'agence. De cette confrontation est né aussi un réel problème d'adaptation des salariés avec ces changements. Ceci nous allons le voir quand on parle du rôle de l’environnement dans le processus du changement d’une organisation.

Pour récapituler, nous dirions que la direction générale de Tunisie Telecom n'a pas choisi de développer ses moyens de travail en ayant recours aux nouveaux outils des TIC, mais des facteurs déterminants de son environnement interne et externe lui ont été imposés et surtout le style de management de l'actionnaire majoritaire privé.

Nous retiendrons donc que les différents travaux ancrés dans la conception déterministe du changement mettent en exergue l’influence du contexte organisationnel externe et interne dans l’action du changement. De plus, cette vision revendique le caractère d’inflexibilité de l’organisation et les caractéristiques de cette dernière (la structure et la culture), comme étant des facteurs d’inertie freinant le changement (Perret, 2003).

Dans ce sens, Bertrand Cabedoche103, en analysant les retombés du changement organisationnel imposé de France Telecom sur les salariés, nous a éclairée sur les difficultés interculturelles dans le cas de la fusion entre France Telecom et Orange. Selon ce chercheur, France Telecom a dû accepter un changement « sauvage » et sans préparation aucune des salariés, à la suite d’un triple Big Bang : une dérégulation brutale, une concurrence sauvage et d’incessantes ruptures technologiques. Il ajoute à cela qu’une révolution culturelle en interne, dont la tonalité avait été immédiatement exprimée par le directeur général, en rappelant que l’entreprise n’était plus au service d’usagers, mais qu’elle se battait désormais pour satisfaire des clients et que les collaborateurs devaient s’adapter à cette demande.

103

CABEDOCHE, Bertrand, « Culture du chiffre et responsabilité sociale: le déplacement de la charge de l’incertitude sur le facteur humain chez France Telecom » in LEPINE, Valérie, MARTIN-JUCHAT, Fabienne, MILLET- FOURRIER Christelle (dir), 2014, Acteurs de la communication des entreprises et organisations, pratiques et perspectives, PUG, pp 21-40.

133 Le changement à France Telecom a donc été agressif, rien qu’en voyant le taux de suicide et ce, après la dite fusion. Ceux-là avaient pu également se sentir remis en cause dans leurs valeurs même quand le management leur était apparu centré sur les résultats économiques du groupe, des équipes et des personnes- plus que sur l’humain. Ceux- là enfin s’étaient sentis déstabilisés quand la mutation de l’ex-monopole des télécommunications en champion mondial des industries de l’information semblait réduire l’évaluation au contrôle des coûts aux dépens de l’expertise : lancé en 2005, le plan Next/ pour Nouvelle Expérience des Télécommunications/ devait conduire à la suppression de 22000 postes entre 2006- et 2008 avec la réorganisation des activités par pays et non plus par métiers ainsi que le redéploiement des salariés.

2.3. Le changement brutal :

Le changement brutal traduit une modification globale et en profondeur du système et une destruction irréversible de l’ancienne situation. Ce changement peut être qualifié de «pénétrant» et «profond» (Ledford et al, 1991) ou encore de «stratégique» ayant un impact sur l'ensemble du système de l'organisation et sa stratégie, par rapport aux changements plus incrémentaux affectant seulement certains éléments de l'organisation, sans modifier le système dans sa « globalité» (Durieux et Vandangeon, 1996).

La poste tunisienne incarne, par excellence, ce type de changement. Une administration classique créée depuis le début du siècle dernier avec des salariés dans la majorité âgés entre 41 et 55 ans et travaillent à l'ancienne, a « brutalement » imposé des nouvelles méthodes de travail à ses salariés. Un petit déséquilibre se ressent, lors de notre observation participante, entre les anciens salariés qui, travaillant toujours avec leurs méthodes habituelles parce s'adaptant mal avec la nouvelle gestion de travail, et les jeunes salariés qui jonglent avec les TIC et n'ont aucun problème d'adaptation : déséquilibre générationnel et d'adaptation.

Ce type de changement touche «non seulement les caractéristiques tangibles de

l’organisation comme la stratégie, la structure organisationnelle et le système de gestion, mais aussi, inévitablement, ses valeurs fondamentales et son système de croyances et de présupposés, c’est-à-dire la culture de l’entreprise» (Allaire et Firsirotu, 1993, p104).

134 Toutefois, le changement brutal peut avoir un effet destructeur puisque les anciens schémas cognitifs sont remplacés par des nouveaux (Moch et Bartunek, 1987, Johnson et Scholes, 2000). Aussi, les pratiques de management existantes cèdent la place à des nouvelles et la structure organisationnelle en présence disparaît. Pour ce type de mutation, le facteur temps est important, car pour qu’elle soit efficace, il faut la réaliser rapidement afin de minimiser les coûts (Miller, 1982). De plus, il importe que tous les sous-systèmes soient modifiés en même temps, faute de quoi les anciennes pratiques peuvent nuire à celles qui ont été modifiées (Vandangeon, 1998a).

Pour Vendangeon et Durieux (1996), l’évolution de l’organisation n'est pas continue, elle s’établit étape par étape suivant des «cycles réguliers» composés de périodes relativement longues de changements incrémentaux et d'adaptation. Périodes relativement courtes de transformations radicales, discontinues durant lesquelles sont remis en cause la stratégie, le pouvoir, la structure et le mode de contrôle (Pettigrew, 1987, Tushman et Romanelli, 1985; Sheldon, 1980; Ramaprasad, 1982, Miller et Friesen, 1980).

Par ailleurs, Tunisie Telecom a mis en place de nouveaux objectifs stratégiques pour faire face à la concurrence accrue avec les fournisseurs de télécommunications et internet en Tunisie. Elle a vécu un double changement. À commencer par le rachat de 49 % de son capital par un groupe fournisseur de télécommunications du Dubaï et une grande et rapide modernisation de ses outils de travail. En peu de temps, les salariés ont dû faire face à ces deux grands événements sans aucune préparation ni implication.

Plusieurs salariés que nous avons interviewés à Tunisie Telecom se plaignent de la marginalisation de la direction générale en tout ce qui concerne l'information sur les objectifs de leur agence. Une jeune cadre nous confie ne pas sentir appartenir à l'agence et elle ajoute qu'elle s'informe sur son agence de la presse, de bouche à oreille, et de Facebook, mais jamais de la direction générale. Une telle marginalisation informationnelle, que nous allons évoquer en détails dans la troisième partie de la thèse où nous allons évoquer la démarche communicationnelle de nos études de cas.

135