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CHAPITRE 2 : LA DIMENSION CONCEPTUELLE DE LA

2. De la technique à la technologie, nouveaux techniques et usages :

3.2. L'approche de l'innovation :

Représenté par les sociologues (Callon, Latour et Akrich) du centre de sociologie de l'innovation de l'école des Mines de Paris, dont les recherches s'inscrivent dans l'école de la traduction. Les travaux de Flichy (1994, 1995) s'inscrivent dans la même lignée s'ils s'en distinguent en ce qui concerne notamment sa position sur les compétences des acteurs (concepteurs et usagers). Flichy se distingue également par son approche socio-historique et par l'introduction dans l'analyse des notions d' « imaginaire technique » et d « imaginaire social », à l’œuvre dans le processus d'élaboration du dispositif technique.

Dans ce sens, Vedel et Vitalis (1994) ont développé une socio-politique des usages qui plaide pour une réintégration au moment de la conception de la figure du citoyen dans le modèle de l'usager. Leur analyse pose les questions de la représentation institutionnelle de l'usager dans le processus d'innovation technique et du rôle des institutions publiques dans les choix concernant l'offre technique. Cette approche se démarque par le fait qu'elle tente de lier la dimension macro-sociale de l'étude des usages en pratique. En ce sens, cette approche tente de faire le pont entre les démarches centrées exclusivement sur l'analyse des processus d'innovation et celles basées exclusivement sur l'analyse des usages en situation, et réussit, en fin de compte, à dresser un tableau intéressant des différentes « logiques » qui président à la formation des usages38.

La notion de médiation est primordiale dans l'approche d'innovation, elle montre la relation de la technique et du social. L'objet technique est appréhendé comme « une

suite de compromis entre différents acteurs sociaux porteurs d'un projet social inscrit dans leurs propositions techniques » (Chambat, 1994, p247). Sur le plan

méthodologique, les techniques ethnographiques sont privilégiées pour « le suivi de

l'innovateur au travail », afin de décrire les mécanismes par lesquels il mobilise

différentes entités (Akrich, 1993b, p35), et l'analyse des discours permet de discerner les différentes transformations des énoncés.

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MILLERAND, Florence, 1998, « Usages des NTIC : les approches de la diffusion, de l'innovation et de l'appropriation (1ère partie)», In Composite, vol.98/1.

71 Une des principales limites de l'approche de l'innovation tient à son absence de considération du rôle des pratiques, c'est à dire de l'action de l'usager sur le façonnage de l'objet technique.

Akrich s'est penché sur ce problème de l'absence de la prise en compte du rôle des pratiques des usagers. La relation de l'usager avec le dispositif est perçue comme une coopération : « il y a une inscription de l'utilisateur dans le dispositif, ainsi qu'une

inscription, par la pratique, du dispositif dans le corps de l'utilisateur par le recours à des intermédiaires » (ibid, p56). Cependant même si cette approche réussit à démontrer

comment le dispositif prend en charge les actions futures de l'utilisateur, elle ne permet pas d'en restituer les pratiques effectives.

Bardini a analysé la notion d'inscription, et propose de la remplacer par celle d'affordance pour « réintroduire la matérialité des objets dans l'analyse ». (Bardini, 1996, p128). Selon Bardini, l'utilisation de la notion d'affordance permet d'appréhender les objets à travers leur rapport concret et matériel avec les usagers et, par-là, de dépasser l'unique dimension symbolique à l’œuvre dans l'étude des usages dans les termes du modèle texte-lecteur. Pour lui, les objets technologiques ainsi considérés sont plus que des textes à lire : au- delà de la dimension symbolique d'analyse, le rapport qu'ils entretiennent avec les individus est d'abord concret et relève de la perception.

Les travaux de Flichy (1994, 1995) sur l'innovation s'inscrivent dans la même mouvance, même s'ils se distinguent des travaux entrepris au CSI sur un terrain nombre de points. En s'inspirant des notions de « cadre naturel » et de « cadre social » de Goffman, Flichy définit un « cadre de fonctionnement », qui renvoie aux fonctionnalités de l'objet et à l'usage technique, et un « cadre d'usage », qui réfère à l'usage social. L'alliage de ces deux cadres mène à la constitution d'un nouveau « cadre socio-technique », mélange de socio-technique et de social, une fois l'innovation stabilisée. La mise au point du cadre de fonctionnement implique plusieurs acteurs, et pas seulement les innovateurs (les usagers peuvent participer à la création de ce cadre) ; le cadre d'usage n'est pas fixe, il peut être transformé via les premières utilisations (exemple du minitel français) ou modifié selon les époques (exemple du téléphone) (Flichy, 1994, p 412).

Les premières interrogations sur les usages ont été formulées suite au constat de l'inadéquation des usages prévus et des usages effectifs. Selon Perriault, « il y a de

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de supposer l'existence d'un modèle du fonctionnement chez les divers utilisateurs »

(Perriault, 1989, p203).

En reprenant les propos de Simondon sur les rapports entre magie et technique, il différencie plusieurs alternatives dans l'usage : « certains appareils se trouvent

cantonnés dans des pratiques magiques, alors que d'autres en sont au stade instrumental, sans compter ceux qui ont été définitivement rejetés » (Id, p 203).

Michel De Certeau, quant à lui, analyse l'écart entre les usages inventés et ceux constatés en posant l'existence de deux mondes, celui de la production, et de l'autre, celui de la consommation ou des usages, perçus comme des pratiques inventives et créatives, qui participent de l'invention du quotidien. Il conçoit la consommation comme une production, ou plutôt une « fabrication », qui est « rusée, dispersée, silencieuse,

quasi invisible, et qui s'oppose ou négocie avec les messages de l'institution centralisée, rationalisée et spectaculaire de la production dominante des industries culturelles »

(Proulx, 1994, p 174).

Il utilise les notions linguistiques de la performance et de la compétence pour fonder théoriquement son modèle d'analyse des pratiques, de Certeau cherche à appliquer les caractéristiques de l'énonciation aux pratiques quotidiennes : à se placer dans la perspective de l'énonciation, on privilégie l'acte de parler : il opère dans le champ d'un système linguistique ; il met en jeu une appropriation, ou une réappropriation, de la langue par des locuteurs ; il instaure un présent relatif à un moment et à un lieu ; il pose un contrat avec l'autre (l'interlocuteur) dans un réseau de places et de relations (ibid p175).

Selon Michel de Certeau et Lazarfeld, l'usager n'est pas un consommateur, en ce qui est actif dans sa relation avec la technique. Pour Joüet « l'usager dicte ses ordres à

la machine qui, en retour, lui impose la logique technique de son mode d'emploi »

(Joüet, 1993, p5) nous retrouvons cette même hypothèse chez serge Proulx, pour qui l'usager construit ses usages selon ses sources d'intérêt (Proulx, 2002).

La question de l'accès ne résout pas celle de l'appropriation et cette notion-même prête à la discussion. Est-ce que l'usage se réduit à des données statistiques (taux d'équipement, fréquence et durée d'utilisation, typologie des utilisateurs par CSP et

73 classes d'âge) ou est ce qu'il y a d'autres facteurs à prendre en considération. C'est ce que nous allons vérifier dans notre terrain.

La diffusion massive des objets techniques ne débouche pas sur l'uniformisation des pratiques. Quant à la catégorie analytique de l'appropriation, elle remonte aux préoccupations initiales des chercheurs qui ont formé le noyau idéologique constitutif des premières études d'usage des TIC (Chambat, 1994, Proulx, 1994b).

En fait cinq principaux courants ont été mis à contribution : diffusion sociale des innovations (Rogers, 1995), travaux portant sur la genèse de l'innovation sociotechnique (en particulier, le modèle de la traduction : Callon, 1986), étude des significations d'usage (qui constitue le noyau fondateur de la sociologie française des usages : Jouet, 2000), microsociologie (ethnométhodologie, interactionnisme, pragmatique de l'action située et de la cognition distribuée : Conein, 2004), sociopolitique et sociologie critique des usages (Vitalis, 1994).

Les études sur la sociologie des usages s'inscrivent d'emblée dans le rejet d'une perspective techniciste et mettent au jour le rôle actif de l'usager dans le modelage des emplois de la technique39.

Les recherches montrent que les individus s'approprient ces outils à des fins d'émancipation personnelle, d'accomplissement dans le travail ou à des fins de sociabilité. Le potentiel des TIC, leur polyvalence, le dialogue homme/ machine conduisent certes à des pratiques diversifiées qui se prêtent à un fort investissement personnel.

Plusieurs auteurs se sont penchés sur la relation des SIC avec l’humain qui se sert de l’objet technique. Adrian Staï, dans l’un de ses articles40

, a présenté une analyse pertinente qui met en place et débat de la relation de ces composantes avec les sciences de l’information. Il souligne qu’on peut se concentrer sur la technique, sans avoir pour autant une vision techniciste. Il ajoute que l’un des intérêts majeurs des sciences de

l’information pourrait être justement cette préoccupation constante d’améliorer la

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JOUËT, Josiane, 2000, « Retour critique sur la sociologie des usages », In Réseaux n°100-CNET/Hermès Science Publications, Paris.

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STAÏ, Adrian, 2004, « Réflexions sur les recherches et le champ des sciences de l’information », In Les Enjeux de l’Information et de la Communication/http://www.u-grenoble3.fr/les _enjeux/2004.

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technique, de réfléchir aux fonctionnalités et aux contraintes des outils, voire de proposer des solutions de fonctionnement concrètes.