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II. Modes d’action des longs ARN non codants

1. Modes d’action nucléaire

a. Formation de sous-domaines nucléaires

Les lncRNA peuvent réguler la formation de sous-domaines nucléaires appelés paraspeckles. Ces structures sont composées de protéines impliquées dans le transport des ARNm, de facteurs d’épissage, d’ARNm en cours de maturation et d’ARN non codants. Plusieurs études ont montré que l’ARN non codant NEAT1 (nuclear enriched autosomal transcript 1) est essentiel à la formation de ces domaines. En effet, dans les cellules souches embryonnaires, où NEAT1 n’est pas exprimé, les paraspeckles ne sont pas formés (Chen & Carmichael, 2009). Al’inverse, dans les cellules en différenciation, une augmentation du nombre et de la taille des paraspeckles a été retrouvée associée à une augmentation de l’expression de NEAT1 (Sunwoo et al., 2009). Par ailleurs, des expériences d’imagerie sur des cellules où l’expression de NEAT1 est sous l’action d’un promoteur inductible ont montré que la formation des

paraspeckles se produit uniquement lorsque cet ARN est transcrit (Mao et al., 2011). Un

second ARN non codant MALAT1/NEAT2 (Metastasis-associated lung adenocarcinoma

transcript 1) est également localisé dans les paraspeckles ; cependant il n’est pas essentiel à

l’intégrité de ce domaine nucléaire contrairement à NEAT1 (Bernard et al, 2010 ; Tripathi et al., 2010 ; Nakagawa et al., 2012). Ce dernier est conservé entre les espèces, ce qui lui suggère un rôle important dans la cellule. En effet, il a été mis en évidence que NEAT2 est capable de se fixer sur des facteurs d’épissage SR, notamment la protéine SF2/ASF, et d’en modifier leur phosphorylation. Cependant, bien que MALAT1 soit associé à un mauvais pronostic dans les cancers, des souris déficientes en MALAT1 sont viables et ne possèdent pas de retard de croissance (Eißmann et al., 2012) ; ceci suggère la présence d’autres ARN assurant les fonctions de MALAT1 dans la cellule.

Introduction

Figure 9. Stabilité chromosomique. (A) Sur un télomère normal, l’extrémité chromosomique, constituée du motif répété UUAGGG, est assez longue pour être reconnue par les protéines du complexe Shelterin, notamment Rap1. Ce complexe, en se fixant sur ces extrémités, permet la formation de la boucle T et empêche l’expression de l’ARN non codant TERRA. (B) Lorsque les télomères sont courts, les protéines du complexe Shelterin ne sont plus associées aux motifs répétés. La boucle T ne se forme plus et l’ARN non codant

TERRA est exprimé. Cet ARN non codant recrute alors l’ARN TERC et la télomèrase TERT.

L’unité minimale catabolique de la télomèrase est ainsi constituée au niveau des télomères courts. Elle permettra l’ajout de motifs UUAGGG en tandem à ces extrémités, ce qui augmentera leur taille et les protégera de l’action d’exonucléases. (adapté de Cusanelli et al., 2013).

b. Stabilité chromosomique

Les longs ARN non codants ont un rôle majeur dans la stabilité chromosomique. L’extrémité des chromosomes est composée d’un motif répété UUAGGG. Ce motif est reconnu par un certain nombre de protéines : TRF1, TRF2, TIN2, RAP1, TPP1 et POT1. Elles forment le complexe « Shelterin » qui permettra la formation de la boucle T à chaque extrémité chromosomique (Artandi & DePinho, 2010). Cette boucle protège les chromosomes de l’action des exonucléases. A chaque cycle de réplication, une partie des télomères est éliminée, faute de matrice à répliquer. Lorsque les télomères sont courts, la boucle T ne peut plus se former, les extrémités chromosomiques sont alors reconnues comme des cassures doubles brins susceptibles d’être dégradées par les exonucléases. La télomèrase reconnait ces chromosomes courts, elle y ajoute un motif répété ; ce qui permet d’allonger les extrémités chromosomiques et ainsi de protéger les chromosomes de la dégradation. La télomèrase est constituée de la protéine TERT, qui est une Telomerase reverse transcriptase, et de l’ARN non codant TERC (Telomerase RNA component), qui sert de matrice à la télomèrase. Une fois associée au télomère, cette enzyme va ajouter ces séquences répétées aux extrémités qui seront reconnues par les protéines du complexe Shelterin et la boucle T se formera de nouveau.

Un second ARN non codant est impliqué dans le maintien des télomères : TERRA (Telomeric

Repeat containing RNA). Cet ARN est transcrit par l’ARN polymérase II, il est rarement

polyadénylé (7% des cas) et est nucléaire. TERRA est transcrit à partir d’une région riche en CpG subtélomérique des chromosomes, sa longueur peut varier de 100 à 9000 bases paires (bp). Cet ARN est transcrit uniquement lorsque les télomères sont courts (fig 9). Lorsqu’il est transcrit, il s’associe au télomère de son chromosome d’origine. Il a souvent été admis que

TERRA était en compétition avec la télomèrase pour se fixer sur les télomères (Artandi &

DePinho, 2010; Feuerhahn et al., 2010). Récemment, Cusanelli et collaborateurs ont mis en évidence que TERRA était capable de s’associer à la télomèrase (TERT) ainsi qu’à l’ARN

TERC (Cusanelli et al., 2013). De plus, ils ont également observé que l’association TERRA/télomère permet une mise en conformation de l’extrémité chromosomique favorable

à l’activité de la télomèrase. Il semblerait donc que TERRA possède un rôle d’ARN « scaffold » et que son association avec la télomèrase favorise l’activité de cette dernière. Lorsque la télomèrase est recrutée au niveau des télomères courts, elle va ajouter plusieurs fois le motif UUAGGG à l’extrémité du chromosome. Elle ajoute en moyenne 200 nts mais elle peut en ajouter jusque 400. Ceci permettra au chromosome de reformer sa boucle T et ainsi de le protéger de la dégradation et donc de le stabiliser. Ce processus est retrouvé dans les cellules en prolifération, non différenciées ; c’est pourquoi, l’ensemble de ces études a été réalisé dans des levures.

Introduction

Figure 10. Mécanisme d’inactivation du chromosome X. (A) Composition du centre d’inactivation du chromosome X (Xic). Les gènes du Xic permettent l’expression de plusieurs ARN non codants (Xist, Tsix, Jpx) impliqués dans la régulation de l’inactivation du chromosome X chez les mammifères. (B) A partir du chromosome X actif, le gène Tsix s’exprime en un ARN non codant qui recrute Dnmt3a. Cette enzyme est responsable de la méthylation du promoteur de Xist sur cet allèle et par conséquent empêche l’expression de ce gène. Ce chromosome restera donc actif dans la cellule. Sur le chromosome inactif, l'expression de l’ARN non codant Jpx favorise l’expression de Xist. Cet ARN va alors se fixer au complexe PRC2 via son motif RepA et induire l’inactivation du chromosome. (C) Lorsque Xist est exprimé, il recrute le complexe PRC2 et en s’associant avec son chromosome d’origine, il induit la méthylation du chromosome. Cette méthylation se réalise de proche en proche le long du chromosome X.

c. Régulation de l’expression des gènes

Les lncRNA peuvent réguler l’expression des gènes par des modifcations épigénétiques. L’épigénétique est l’étude des changements héréditaires dans la fonction des gènes, ayant

lieu sans altération sur la séquence ADN. Ils sont également capables de moduler l’activité du

complexe d’initiation de la trancription. L’inactivation du chromosome X

Au cours du développement embryonnaire, les modifications épigénétiques permettent, entres autres, l’inactivation de l’un des deux chromosomes X chez la Femme.

Il s’agit du processus épigénétique le plus décrit et le plus étudié. Elle est permise par l’expression différentielle de trois ARN non codants : Xist, Tsix et Jpx. L’ARN non codant Xist est l’un des premiers à avoir été découvert chez les mammifères (Brockdorff et al., 1992 ; Brown et al., 1992). Cet ARN non codant est responsable de l’inactivation de l’un des deux chromosomes X chez la femme. Il a une taille comprise entre 17 et 20kb et son expression est régulée par l’ARN non codant Tsix (Lee, 2012). Ces deux ARN non codants (Xist et Tsix) sont transcrits à partir du centre de régulation : le centre d’inactivation du chromosome X (Xic). Lorsque Tsix est exprimé, il recrute une ADN méthyltransférase (Dnmt3a) qui méthylera l’ADN et empêchera ainsi l’expression de Xist ; le chromosome sera donc actif (fig 10). A l’inverse, sur le second chromosome X, l’expression de l’ARN Jpx active l’expression de Xist en trans. Une fois transcrit, Xist recrute le complexe polycomb PRC2 par l’intermédiaire de motifs répétés RepA et s‘associe à son chromosome d’origine. Sur celui-ci, le complexe PRC2 induira une triméthylation de la lysine 27 de l’histone H3 ; cette marque épigénétique sera responsable de l’inactivation de ce chromosome X (Brockdorff et al., 2013) (fig 10). L’inactivation de l’un des deux chromosomes X chez la Femme est donc un exemple de compensation génique. Ce mécanisme permet ainsi un équilibre de l’expression des gènes présents sur ce chromosome entre les individus.

A partir du chromosome X actif, une transcription associée au motif RepA a été retrouvée. Bien que le rôle de cette transcription ne soit pas encore clairement défini, il semblerait que l’ARN RepA fixe les protéines du complexe polycomb et empêche leur action sur ce chromosome.

Ces modifications épigénétiques ont également lieu lors de la mise en place de l’empreinte génomique. Un chapitre sera consacré à cette régulation d’expression génique (voir P. 73). Régulation de l’expression des gènes HOX

Les modifications épigénétiques par les lncRNA peuvent aussi avoir lieu en trans. Le premier ARN non codant à réguler l’expression des gènes en trans identifié est l’ARN non codant

Introduction

Figure 11. Mécanisme d’action des ARN non codants HOTAIR et HOTTIP. (A) Le lncRNA HOTAIR, exprimé à partir du locus HOX C, en s’associant à la protéine EZH2, permet le recrutement du complexe PRC2 au locus HOX D. HOTAIR se fixe également avec le complexe LSD1/CoREST. Ainsi HOTAIR permet la triméthylation de la lysine 27 et la déméthylation de la lysine 4 de l’histone H3 ; ce qui réprime l’expression des gènes du locus. (B) Lorsqu’il est exprimé, HOTTIP est capable de recruter la protéine MLL1 par l’intermédiaire de WDR5. La MLL1 (une histone méthyltransférase) va méthyler la lysine 4 de l’histone H3 : une marque activatrice de l’expression des gènes. Cette modification permettra l’expression des gènes HOX A.

En vert : les marques activatrices de l’expression génique. En rose : les marques inhibitrices de l’activation génique. (Angrand et al., 2015).

sur le chromosome 12. Une fois exprimé, HOTAIR fixe la sous-unité catalytique EZH2 du complexe polycomb PRC2. Cette association va alors permettre la triméthylation de la lysine 27 de l’histone H3 sur le locus HOX D, situé sur le chromosome 2. Cette modification épigénétique étant une marque répressive de l’expression, les gènes du locus HOX D ne seront pas exprimés (Brockdorff, 2013 ; Bergmann & Spector 2014) (fig 11A). De plus, il a été mis en évidence que HOTAIR fixe la protéine LSD1, une protéine faisant partie du complexe répresseur REST. Cette protéine est une histone déméthylase, permettant la perte de méthylation de la lysine 4 de l’histone H3 (une modification activatrice de l’expression des gènes). Lorsque LSD1 est associée à HOTAIR, elle permet alors la perte de la marque H3K4me3 au niveau du locus HOX D ; ce qui contribue également à réprimer l’expression des gènes de ce locus (Tsai et al., 2010). Ainsi, HOTAIR, grâce à ses interactions protéiques, est une molécule chaperonne permettant l’inactivation de l’expression des gènes du locus HOX D.

A l’inverse, les lncRNA peuvent également favoriser l’expression des gènes. C’est le cas de l’ARN non codant HOTTIP (HOXA transcript at the distal tip) qui est transcrit à partir du locus HOX A. Cet ARN est capable de se fixer sur la protéine MLL (Mixed-lineage leukemia) via le motif répété WD (WDR5) (Kanhere & Jenner, 2012 ; Bergamm et al., 2014). Cette protéine est une histone H3 lysine 4 méthyltransférase. Cette modification épigénétique favorise l’expression des gènes. Par ailleurs, des expériences de capture de conformation de la chromatine ont montré que HOTTIP, en se fixant sur WRD5/MLL, permet une mise en conformation de la chromatine favorable à l’expression des gènes situés à distance de l’unité de transcription HOTTIP (Wang et al., 2011) (fig 11B). Cette conformation de la chromatine permet à la méthyltransférase (MLL1) associée à HOTTIP de méthyler l’H3K4. Les gènes présents dans la boucle seront alors exprimés. HOTTIP joue donc un rôle d’activateur de la transcription des gènes du locus HOX A.

LncRNA et le complexe d’initiation de la transcription

Dans les cellules, les eRNA ne sont ni épissés ni polyadénylés et sont souvent retrouvés dans les exosomes. Cependant, certains peuvent être épissés et polyadénylés, ce sont les elncRNA. Ces ARN non codants favorisent l’expression des gènes codants situés à proximité de leur loci d’expression. Dans les cellules cancéreuses mammaires (MCF-7), l’expression de plusieurs ARN enhancers (TFF1, FOXC12 ou encore CA12) est régulée positivement par le 17-β-oestradiol (Li et al., 2013). Ils régulent l’expression en cis des gènes situés plus loin sur le chromosome en favorisant la formation d’une boucle d’interaction entre les enhancers et ces gènes. L’un des gènes cibles de ces eRNA activés par l’oestradiol est le gène codant la cohésine.

Introduction

Par ailleurs, une autre étude a mis en évidence que l’eRNA transcrit à partir des enhancers du locus MyoD1 favorise le recrutement de l’ARN polymérase II à ce locus et l’expression des gènes de ce site (Mousavi et al., 2013).

Cependant, dans certains cas, la transcription de l’ARN non codant empêche l’expression du gène codant situé en aval. C’est le cas du gène codant pour la déhydrofolate réductase (DHFR). Ce gène possède deux promoteurs : un promoteur dit majoritaire qui permet l’expression du gène et un promoteur minoritaire situé en amont. Dans les cellules en arrêt de cycle, un transcrit court, non codant, exprimé à partir du promoteur minoritaire a été identifié. Les auteurs ont également mis en évidence que cet ARN non codant s’associe au facteur de transcription TFIIB et empêche ainsi l’activation du promoteur majoritaire. Cependant, cet effet est labile puisqu’un ajout de sérum dans le milieu diminue l’expression de l’ARN non codant et favorise l’expression de la DHFR (Martianov et al., 2007).

d. Formation de triplex ARN-ADN•ADN

Les longs ARN non codants peuvent s’associer à la double hélice de l’ADN, ce qui forme un triplex ARN-ADN•ADN. Pour la formation de ce triplex, un appariement de type Hoogsteen est nécessaire. Cet appariement permet l’association d’une uridine avec une adénosine. Il est possible que la formation de ce triplex oligonucléotidique soit permise par la présence de protéines sur l’ARN comme c’est le cas pour le lncRNA Xist. En effet, lorsque Xist est exprimé, il se fixe sur son chromosome d’origine et induit l’inactivation de ce dernier. Des études ont montré que l’interaction Xist/chromosome X est permise par la protéine YY1 qui est un facteur de transcription en doigt de zinc (Jeon & Lee, 2011). Cette protéine, en se fixant sur Xist et sur le chromosome X, permet ainsi la formation du triplex et par conséquent l’inactivation du chromosome.

Cependant, dans d’autres cas, il se peut que l’association ARN/protéine empêche la formation du triplex. Par exemple, l’ARN non codant Jpx peut se fixer sur la protéine CTCF (CCCTC- binding factor) (Sun et al., 2013). Il semblerait que cette interaction empêche Jpx d’activer la transcription de Xist.

Le processus de formation mais surtout le rôle de ces triplex sont très controversés. D’autres études doivent être réalisées pour mieux les définir.

2. Modes d’action cytosolique