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Systèmes hypermédias et tuteurs intelligents pour l’enseignement à distance sur le web

2.2 Problématique du guidage en enseignement à distance

2.2.3 Modalités de guidage de l'apprenant à distance

Partant des constats négatifs que nous venons d’établir, nous cherchons à apporter une solution au problème de guidage et de soutien à fournir à l'apprenant à distance, pour mener à bien son activité d’apprentissage. Trois solutions nous semblent éligibles : l’une consiste à faire intervenir le tutorat humain lui-même, l’autre consiste à intégrer un guidage totalement

informatisé par des systèmes tuteurs intelligents. Entre ces deux solutions extrêmes peut exister évidemment une troisième solution permettant de partager les rôles entre le tuteur humain et le tuteur informatique.

2.2.3.1 Guidage par tuteur humain

Dans cette situation, le tuteur humain est l'interlocuteur des apprenants, c'est lui qui répond à leurs sollicitations et les guide dans la réalisation de leurs activités d'apprentissage. Il semble que le soutien humain reste aujourd'hui encore le moyen le plus complet et aussi celui qui est le plus apte à réellement s'adapter à la démarche de l'apprenant, à prendre en compte une situation particulière (problème en cours de résolution, difficulté rencontrée, niveau de compétence de l’apprenant, caractéristiques cognitives, sociales et affectives, etc.). Monique Linard adhère à ce point de vue, considérant que tous les avantages que peuvent apporter les technologies pour la mise à distance d'activités d'apprentissage interactives ne sont pas suffisants sans le soutien d'un enseignant.

«Sauf pour les individus experts dans un domaine, qui ont par définition dépassé ce stade et sont devenus autonomes, l'acte d'apprendre est toujours à réapprendre et il faudra toujours un fort accompagnement humain à l'instrumentation technique» [Linard 00].

D’un point de vue théorique, c’est aussi l’avis de Vygotski [Vygotski 85] qui, dans l'approche socio-constructiviste de l'apprentissage, a mis en évidence l'intérêt des interactions sociales sur le développement cognitif. En s'intéressant au développement des fonctions cognitives chez l'apprenant, Vygotski a démontré que l'évaluation du niveau de développement cognitif ne donne pas le même résultat suivant que cette évaluation est réalisée d'après des problèmes résolus de façon autonome ou avec l'aide d'un adulte. Lorsqu'un apprenant résout seul un problème, il n'active que ses fonctions cognitives déjà formées et arrivées à maturité. Or, dans le même temps, d'autres fonctions sont en train de se construire, encore au stade de maturation et a priori non exploitables par l'apprenant lors de la résolution d'un problème de façon autonome. Ces fonctions peuvent néanmoins être utilisées par l'apprenant s'il est aidé par un expert qui tentera de le mettre sur la voie ou de lui apporter des débuts de solutions. L’apprenant sera alors «tiré en avant » pour résoudre des problèmes plus complexes.

Par ailleurs, pour en revenir au contexte de l’EAD, la question des relations sociales entre apprenants ou entre enseignants et apprenants y est revisitée car la distance physique crée une distance sociale qui accentue le phénomène d'isolement. Dans une étude sur la persévérance et les

taux d'abandon en EAD, Lise Desmarais a mis en évidence le rôle primordial joué par le tuteur humain pour la réussite des étudiants et en particulier ceux se trouvant dans une situation critique proche de l'abandon [Desmarais 00]. Elle explique qu'une relation étroite peut s'établir entre l'enseignant et l'apprenant distant, et agir comme un facteur essentiel favorisant la persévérance.

Toutefois, le tuteur à distance ne peut directement observer les apprenants comme il le fait en présence. Il n'a donc pas connaissance de la façon dont les apprenants réalisent leur activité ni des difficultés qu'ils rencontrent. Des travaux, dont celui de Christophe Després [Després 00], sont donc entrepris dans le but de concevoir des outils informatiques permettant au tuteur de percevoir l’activité des apprenants à distance et intervenir au moment opportun auprès d’eux pour les guider.

Cependant, ce suivi à distance par le tuteur humain en mode synchrone crée une situation particulière. Le tuteur doit être disponible durant toute la durée d'une activité inscrite dans le temps avec un début et une fin. Deux difficultés sont donc à surmonter par le tuteur: celui de la sur-sollicitation et celui de la contrainte temporelle.

a) phénomène de «sur-sollicitation» :

L'enseignant peut se trouver submergé par la charge d'activité que constitue le suivi synchrone des apprenants, il devient alors difficile pour lui de répartir son temps entre les différents apprenants et d'avoir la certitude de pouvoir intervenir au moment le plus opportun.

b) contrainte temporelle

Pour que le tuteur humain soit disponible tout au long de l'activité, il est nécessaire de définir des plages horaires pendant lesquelles les apprenants pourront réaliser leurs activités avec l'assurance de pouvoir être soutenus par le tuteur à tout moment. Cette nouvelle situation pose donc une contrainte forte en termes d'organisation et de coordination des différents acteurs (tuteur et apprenants). Ceci va donc à l'encontre d'un des atouts majeurs de l’EAD souvent mis en avant : la souplesse d'organisation.

Nous considérons donc que ce mode de guidage humain ne peut pas être envisagé comme une solution suffisante à elle seule. Ceci nous emmène à penser au guidage par systèmes tuteurs intelligents pour pallier ces deux problèmes. Ces tuteurs artificiels qui ont donné large satisfaction en autonomie peuvent également être déployés sur le web pour se substituer au tuteur humain, surtout pour permettre un mode d’apprentissage asynchrone sans contrainte temporelle.

2.2.3.2 Guidage par systèmes tuteurs intelligents

La deuxième solution de guidage et de soutien aux apprenants consiste donc à utiliser des STI. L'objectif initial des recherches menées sur les STI était de créer des logiciels capables de se substituer à l'enseignant humain. Ces STI assurent la conduite pédagogique de la session d’apprentissage, en s'adaptant aux objectifs et aux capacités intellectuelles de l'apprenant.

Les recherches effectuées dans le domaine depuis les années 70 ont pu délimiter les composants que doit inclure tout système prétendant être un STI [Wenger 87], [Nicaud & Vivet 88] : l’expertise du domaine (quoi enseigner ?), l’expertise pédagogique (comment enseigner ?), les connaissances sur l’apprenant (à qui enseigner ?) et l’interface de communication avec l’apprenant (sous quelle apparence communiquer ?). Si un consensus s’est forgé autour de ces principes, les systèmes diffèrent cependant, d’une part, par l’importance qu’ils accordent à chacune de ces tâches et, d’autre part, par les techniques d’intelligence artificielle (IA) mises en œuvre pour leur réalisation.

La principale contribution des STI relativement aux didacticiels classiques qui les ont précédés est la possibilité de modéliser l'expertise. Grâce à cette expertise, le système devient capable de résoudre lui-même les problèmes qu’il pose à l'apprenant. Le système est donc compétent dans le domaine à enseigner. Cette expertise modélisée permet au système de conduire des interactions qui ne pourraient pas l'être si le système travaillait avec des solutions préenregistrées. Aussi un STI est conçu de manière à ce qu’il génère lui-même une leçon adaptée à chaque apprenant, et ce, en se basant sur une représentation interne des connaissances de cet apprenant.

Si la majorité des plates-formes d’EAD existantes se situe dans une logique de transmission de la connaissance sous forme de documents hypertextes statiques via internet comme nous l’avons soulevé dans la section 1.2.2, beaucoup de recherches sont menées actuellement en vue de marier les techniques des STI avec celles des hypermédias pour créer des STI Hypermédias (ou Systèmes Hypermédias Adaptatifs [Brusilovsky 98]) qui sont plus intelligents et qui offrent plus d’interactivité et de guidage/adaptabilité pour l’apprenant.

Quelques systèmes de laboratoire sont issus de ces travaux, nous citons en particulier ELM-ART [Brusilovsky & al 96], CALAT [Nakabayashi 97], MANIC [Stern 97], etc.

Les technologies de guidage/adaptation concernent surtout des problèmes du genre : planification de tâches, analyse intelligente des solutions de l’apprenant, support interactif de résolution de problèmes, présentation adaptative, support de navigation adaptatif, etc.

[Brusilovsky 98]. La reconnaissance d’approches pédagogiques nouvelles et l’intérêt pour une pédagogie active sont également à inscrire au tableau des perspectives nouvellement ouvertes.

L'une des principales difficultés rencontrées est de parvenir à construire, en machine, un modèle des connaissances de l'apprenant que le STI pourra exploiter pour s'adapter à l'apprenant et lui apporter tout le soutien nécessaire. Plusieurs principes de modélisation ont été proposés mais aucun ne s'est réellement imposé. Nous décrirons quelques uns de ces principes au paragraphe 2.3.

De plus, les recherches menées tendent à montrer que l'activité de l'apprenant n'est pas uniquement liée à ses représentations mentales, mais qu'elle est située socialement et physiquement. L'apprenant n'élabore pas des plans d'action immuables et préalables à l'activité, il les produit, les évalue et les modifie en cours d'action [Nardi 96].

Beaucoup de recherches donc doivent encore être menées pour améliorer les STI sur le web au niveau du contrôle, de la flexibilité, de la modélisation efficace de l'apprenant et de la représentation du domaine. Tant que ces difficultés n'auront pas été totalement surmontées, les STI ne pourront se substituer entièrement à l'enseignant humain. Nous considérons donc, comme beaucoup d’autres chercheurs, qu'à l'heure actuelle, les STI ne peuvent pas être envisagés comme une solution suffisante pour soutenir pleinement des apprenants à distance. Une coopération entre le tuteur humain et le tuteur artificiel pourrait pallier ce problème comme nous le verrons dans la section suivante.

2.2.3.3 Guidage par coopération entre tuteur humain et tuteur artificiel

Afin de limiter les phénomènes de sur-sollicitation et la contrainte temporelle inhérents au mode tutorat humain d’un côté, et pallier aux difficultés techniques de concevoir des STI pouvant se substituer pleinement au tuteurs humains d’un autre côté, l'environnement informatique doit avoir la capacité de faire coopérer les deux tuteurs humain et artificiel pour prendre en charge le soutien et guidage des apprenants à distance. Par conséquent, dans une logique de système partenaire de l'enseignant [Balacheff & al. 98], il faut intégrer à l'environnement informatique, en plus des outils de suivi de l'activité et d'intervention auprès des apprenants, des assistants intelligents prenant en charge certaines difficultés rencontrées par les apprenants.

Les systèmes conseillers sont particulièrement adaptés pour réaliser ce type d'assistance localement. Dans les systèmes conseillers les conditions de déclenchement de l'assistance et le

choix des conseils à apporter sont déterminés par l'analyse des actions réalisées par l'apprenant à l'interface du système [Paquette & Tchounikine 02].

Cela suppose que le système dispose d'un modèle de la tâche qui lui permette de suivre l'activité de l'apprenant et de la comparer avec le modèle des solutions possibles pour réaliser la tâche. Si l'apprenant s'écarte d'un des cheminements corrects, le système est en mesure de l'assister grâce à des conseils associés au modèle de la tâche. La question du contrôle de l'interaction tutorielle à laquelle les STI cherchent à répondre est ignorée dans les systèmes conseillers mais leur intérêt est qu'ils sont considérablement plus simples à mettre en oeuvre que les STI car ils nécessitent un travail moindre au niveau du recueil de l'expertise du domaine et de la modélisation de l'apprenant.

En effet, pour réaliser un système conseiller, on cherche à modéliser une tâche particulière, celle pour laquelle on souhaite assister l'apprenant, mais ce travail est moins coûteux que la modélisation d'un domaine de connaissances tout entier. De plus, l'assistance apportée est directement fonction des actions de l'apprenant et non des connaissances que le système lui attribue.

Ainsi donc le système informatique partenaire du tuteur humain peut coopérer avec ce dernier de façon directe en lui fournissant un ensemble d'informations sur le déroulement des activités d'apprentissage à distance ainsi que les moyens d'intervenir auprès des apprenants, et indirectement en assistant les apprenants dans la réalisation d'une tâche particulière afin de le soulager. Dans un tel environnement informatique, c'est le tuteur humain qui garde le contrôle sur la conduite de la session pédagogique et applique sa propre pédagogie tout en s'appuyant sur un ensemble d'assistants intelligents capables d'assister localement et ponctuellement les apprenants. Le tuteur humain se trouve ainsi déchargé de certaines tâches que le système informatique est capable de réaliser ce qui lui permet d'être plus disponible vis à vis des apprenants pour les soutenir.