• Aucun résultat trouvé

Modèles de partage préexistant : influence de la structure des cristaux ou des liquides ?

II. Etat de l’art

II.3. Comportement des éléments traces entre cristaux et liquides magmatiques

II.3.3. Modèles de partage préexistant : influence de la structure des cristaux ou des liquides ?

Nous avons vu précédemment que la structure des liquides silicatés peut influencer le partage des éléments traces entre cristaux et liquides (partie II.2.3). De nombreuses études ont en effet montré

53

l’effet de la structure des réseaux silicatés sur le partage entre certains cristaux et le liquides silicaté (Kohn and Schofield, 1994; Linnen and Keppler, 2002; Gaetani, 2004; Mysen, 2004; Schmidt et al., 2004, 2006; Prowatke and Klemme, 2005).

D’autres études ont également cherché à relier le partage de ces éléments à la structure des réseaux cristallins de minéraux. Brice (1975) a déposé les prémices d’un modèle quantitatif de partage des éléments traces entre cristaux et liquides basé sur les principes thermodynamiques. Ce modèle a été réalisé par Blundy and Wood (1994), et est communément utilisé dans la littérature, pour caractériser ces partages, et notamment dans la plupart des travaux de partages des éléments traces entre cristaux (clinopyroxènes, grenat, wollastonite, titanite , apatite) et liquides présentés précédemment, (Green et al., 2000; Hill et al., 2000, 2011; Klein et al., 2000; Barth et al., 2002; Keshav et al., 2005; Prowatke and Klemme, 2005, 2006a; Adam and Green, 2006; Hammouda et al., 2009; Olin and Wolff, 2010, 2012; Baudouin and France, 2019; Di Stefano et al., 2019). Ce modèle appelé « Lattice strain modelling » (Blundy and Wood, 1994; Wood and Blundy, 1997) permet de prédire le partage d’un cation seulement à partir des propriétés physiques du site cationique correspondant dans le réseau cristallin. Ce modèle implique que le coefficient de partage définit dans l’équation (2) est relié à l’état d’équilibre thermodynamique, aux conditions P-T et également à la composition des phases (Blundy and Wood, 1994, 2003). Les coefficients de partage entre cristaux et liquides sont définis selon l’équation suivante : 𝐷𝑖 = 𝐷0∗ exp (−4𝜋𝐸𝑀𝑁𝐴[ 𝑟0 2 (𝑟𝑖− 𝑟0)2+13 (𝑟𝑖− 𝑟0)3] 𝑅𝑇 ) (3)

Avec Di le coefficient de partage de l’élément i, D0 le coefficient de partage de l’élément 0 dont le rayon ionique r0 (en Ä) est de la même taille que celui du site cristallographique d’intérêt, EM le module d’Young du site M, ri le rayon ionique de l’élément i, NA le nombre d’Avogadro, R la constante des gaz parfait (en g.Ä.s-2.mol-1.K-1) et T la température (en K).

Cette formule définit une relation parabolique entre le rayon ionique des cations et leurs coefficients de partage (Fig.II.16a). Cette relation présente une bonne reproductibilité des coefficients de partage obtenus expérimentalement (Fig.II.16b). Wood and Blundy (1997) ont adapté cette relation pour prédire le partage des REE entre clinopyroxènes et liquides silicatés anhydres. Ces cations considérés comme étant de valence 3+ sont en effet supposés se substituer au Ca2+ du fait de leurs rayons ioniques similaires (Shannon, 1976), dans le site M2 des clinopyroxènes en coordination-8 (Wood and Blundy, 1997; Hill et al., 2000). Hill et al. (2011) ont également montré une préférence des HFSE pour le site M1 des clinopyroxènes. Dans ces deux cas, le module d’Young de l’équation (3) correspond alors au site M1 (EM1) ou au site M2 (EM2).

54

Figure II.16. Modèle de partage des éléments traces entre cristaux et liquides, d’après Blundy and Wood (1994). a) Schéma de l’effet des paramètres présentés dans l’équation (3) sur le coefficient de partage des éléments (Wood and Blundy, 1997). L’élément « idéal » le plus adapté au site cristallographique du minéral a un rayon ionique r0 et un coefficient de partage correspondant D0 au niveau du sommet de la parabole. Le module d’Young ES est caractéristique du site cristallographique. Les coefficients de partage décroissent au fur et à mesure que les rayons ioniques des éléments diminuent ou augmentent autour de r0. b) Exemple de paramétrisation du « Lattice strain modelling » sur des données expérimentales (symboles) de partage entre clinopyroxènes et liquides (Blundy and Wood, 1994). Les courbes sont obtenues par régression au moindres carrés à partir de l’équation (3), pour les cations de charge 1+ (Na, K, Rb et Cs), 2+ (Ca, Sr et Ba) et 3+ (La, Nd, Sm, Y, Yb), pour le site M2.

Comme énoncé précédemment (Fig.II.13a), certaines études indiquent une différence de comportement des HREE (Olin and Wolff, 2012; Baudouin and France, 2019; Beard et al., 2019): les coefficients de partage de l’Yb et du Lu entre clinopyroxènes et liquides silicatés augmentent (forme sigmoïdale de la courbe), alors que la plupart des expériences ont permis d’observer une diminution de ces coefficients de partage (Fig.II.13a). Ces études ont ainsi suggéré que les HREE peuvent se substituer également aux Fe2+ ou au Mg2+ dans le site M1 des clinopyroxènes en coordination-6 (Olin and Wolff, 2010; Mollo et al., 2016; Dalou et al., 2018; Baudouin and France, 2019). Dans ce cas, la formule du « Lattice strain modelling » présentée dans l’équation (3) qui ne prend en compte qu’un seul site cristallographique, ne suffit pas à elle seule pour caractériser le partage des HREE. Dalou et al. (2018) ont proposé un modèle appelé « Double Fit » et permettant de calculer les coefficients de partage des éléments traces pouvant se substituer aux éléments majeurs dans les deux sites de différents minéraux (clinopyroxènes, grenats, amphiboles, micas…). Ce modèle modifie l’équation (3) pour y inclure deux termes correspondants respectivement au site M1 et au site M2, selon l’équation suivante : 𝐷𝑖= 𝐷0𝑀1∗ exp ( −4𝜋𝐸𝑀1𝑁𝐴[𝑟0𝑀1 2 (𝑟𝑖− 𝑟0𝑀1)2+13 (𝑟𝑖− 𝑟0𝑀1)3] 𝑅𝑇 ) + 𝐷0 𝑀2 ∗ exp ( −4𝜋𝐸𝑀2𝑁𝐴[𝑟0 𝑀2 2 (𝑟𝑖− 𝑟0𝑀2)2+13 (𝑟𝑖− 𝑟0𝑀2)3] 𝑅𝑇 ) (4)

55

Cette formule définit deux paraboles propres à chaque site qui relient les rayons ioniques des éléments à leurs coefficients de partage (Fig.II.17). Ces coefficients sont ainsi estimés en additionnant les effets des deux sites du réseau cristallin des minéraux.

Figure II.17. Exemple d’application du modèle « Double Fit » sur des données expérimentales de partage entre orthopyroxènes et liquides de type basaltiques, pour les cations trivalents, d’après Dalou et al. (2018). La courbe noire est obtenue à partir de la somme des DiM1/liquide (courbe tiretée) et DiM2/liquides (courbe pointillée)présentés dans l’équation (4).

Les modèles de partage entre cristaux et liquides présentés ne prennent pas en compte directement les paramètres de structures des liquides silicatés qui définissent leur degré de polymérisation (NBO/T par exemple). Cependant, Blundy and Dalton (2000) ont appliqué ce modèle pour le partage des éléments entre clinopyroxènes et liquides carbonatés, et ont déduits des valeurs différentes par rapport aux coefficients de partage entre clinopyroxènes et liquides silicatés. Les auteurs ont suggéré que cette différence de comportement des éléments traces peut être due aux changements de composition des liquides qui semblent ainsi contrôler ces coefficients de partages.

De plus, les études concernant le partage des éléments traces entre la titanite et les liquides silicatés ont montré un effet important de la structure des liquides silicatés sur l’enrichissement en éléments traces des titanites (Prowatke and Klemme, 2005, 2006a; Olin and Wolff, 2012). Prowatke and Klemme (2005) ont en effet montré que le partage des REE, du Nb et du Ta est fortement influencé par la composition chimique des liquides silicatés et varie en fonction du NBO/T. Ils ont également proposé que cet effet de la structure des liquides prédomine sur l’effet de la structure cristalline des titanites.

Comme précisé dans la partie II.2.3, des études ont suggéré une forte dépendance du partage entre cristaux et liquides à la composition des liquides silicatés (Watson, 1976; Kohn and Schofield, 1994; Linnen and Keppler, 2002; Mysen, 2004; Schmidt et al., 2004). Il semble donc qu’il puisse y avoir une compétition entre l’effet de la structure des liquides, et l’effet du réseau cristallin des minéraux sur le comportement des éléments traces entre cristaux et liquides.

Le comportement des métaux rares (REE, Hf, Zr, Ta et Nb) entre cristaux et liquides silicatés ou carbonatés a été définit dans la littérature pour des compositions de liquides très différentes, et indique une forte variation pour les LREE et les HFSE dans les clinopyroxènes ainsi qu’une préférence des

56

HREE pour les grenats. Certains minéraux dits accessoires, mais qui peuvent parfois être en concentrations importantes dans les roches naturelles, tels que la titanite ou l’apatite, peuvent concentrer tous ces métaux. Cependant, le comportement de ces métaux dans les systèmes alcalins est peu caractérisé expérimentalement, de même que dans les systèmes de liquides silicatés et carbonatés immiscibles. Néanmoins, il a été montré que le comportement des métaux rares dépend des paramètres cristallins des minéraux mais également de la structure des liquides. Au cours de la différenciation des magmas silicatés et carbonatés, le partage de ces métaux peut ainsi être influencé à la fois par les paramètres structuraux des liquides, et à la fois par la structure des minéraux.