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II. Etat de l’art

II.2. Immiscibilité entre magmas silicatés et carbonatés

II.2.1. Champ de composition et domaine de stabilité des liquides immiscibles

Le terme « d’immiscibilité » implique la coexistence de deux liquides chimiquement à l’opposé (Greig, 1927; Roedder, 1978; Freestone and Hamilton, 1980), dans notre cas silicaté et carbonaté, et qui ne se mélangent pas. De nombreux travaux expérimentaux ont mis en évidence que l’immiscibilité entre un liquide carbonaté et un liquide silicaté peut se produire à des conditions de pression et température crustales (P < 1 GPa) et mantelliques (P > 1GPa), et pour une large gamme de composition (Fig.I.7).

Les premiers travaux d’immiscibilité cherchant à reproduire la coexistence à l’équilibre de deux liquides silicatés et carbonatés ont été réalisé dans les années 1960-1970 dans des systèmes alcalins très simplifiés de type NAS-CO2 (Koster Van Groos and Wyllie, 1966, 1968, 1973) ou encore KAS-CO2 (Wendlandt and Harrison, 1979). Des travaux ont également été réalisés dans des systèmes sans éléments alcalins à des conditions P-T mantelliques, mais sans obtenir d’immiscibilité (Brey and Green, 1976; Wyllie, 1977). Des études plus récentes ont cependant montré l’existence de liquides carbonatés de type dolomitiques à l’équilibre avec des liquides silicatés dans des systèmes simplifiés de type CMAS-CO2 et CMS-CO2 (Keshav and Gudfinnsson, 2010, 2013; Novella et al., 2014) aux conditions mantelliques. Cependant ces compositions de type mantelliques ne sont pas représentatives de la composition des roches naturelles carbonatées et silicatées alcalines identifiées à la surface (voir partie I.1.5).

L’immiscibilité ayant été prouvée en présence d’alcalins (Na et K), d’autres études successives se sont intéressées à des systèmes de type CNAS-CO2 (Kjarsgaard and Hamilton, 1988; Brooker and

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Hamilton, 1990; Lee and Wyllie, 1996; Veksler et al., 1998; Brooker and Kjarsgaard, 2011) plus ou moins riches en ces éléments, et à des systèmes plus complexes proches des compositions des magmas naturels alcalins sous-saturés en silice telles que celles retrouvées dans le Rift Est Africain (Freestone and Hamilton, 1980; Kjarsgaard et al., 1995; Brooker, 1998; Kjarsgaard, 1998; Veksler et al., 1998, 2012; Martin et al., 2012, 2013; Weidendorfer et al., 2019). Ces études visent principalement à caractériser les conditions P-T d’immiscibilité pour des compositions de magmas appartenant à la série alcaline (Fig.I.5), ainsi qu’à expliquer l’origine des natrocarbonatites du volcan Ol Doinyo Lengai (Fig.I.7 et I.8). De plus, parmi les études effectuées dans des systèmes complexes certaines se sont particulièrement intéressées à la formation des Ca-carbonatites (Brooker and Hamilton, 1990; Lee and Wyllie, 1996) qui sont les carbonatites les plus abondantes sur Terre (partie I.1.4), et ont montrées que ces Ca-carbonatites sont formées à haute température (> 1000 °C) (Irving and Wyllie, 1975; Lee and Wyllie, 1996; Keshav et al., 2011; Hammouda et al., 2014), en comparaison aux natrocarbonatites formées à basse température (Fig.I.8, T<600 °C). Enfin, d’autres études d’immiscibilité ont également été réalisées dans des systèmes de composition complexes différents, de type éclogites carbonatées (Dasgupta et al., 2004, 2006; Hammouda et al., 2009; Litasov and Ohtani, 2010), ou encore pélites carbonatées (Thomsen and Schmidt, 2008) ou encore de MORB (Jones et al., 1995b).

Dans le système de compositions simplifié CNAS-CO2, Brooker and Kjarsgaard (2011) ont mis en évidence un effet de la pression et de la température sur le solvus des deux liquides, à savoir sur le domaine de stabilité de ces liquides. Ce solvus s’élargit au fur et à mesure que la température décroît à pression constante (Fig.II.6a), agrandissant ainsi le domaine de stabilité des deux liquides. De même, ce solvus s’élargit à pression plus élevée et à température constante (Fig.II.6b). Les paramètres P et T exercent ainsi un rôle très important quant à la stabilité de ces deux liquides.

Figure II.6. Effet de la température (a) et de la pression (b) sur le solvus des deux liquides, d’après Brooker and Kjarsgaard (2011). a) Ouverture du solvus des deux liquides, à température décroissante (1550 à 1225 °C) et à pression constante (1,5 GPa); b) ouverture du solvus à pression croissante (0,2 à 2,5 GPa) et à température constante (1300°C).

Les gammes de compositions des liquides immiscibles étudiés à différentes conditions P-T sont représentées dans la Figure II.7. Les compositions des liquides carbonatés à l’équilibre avec des liquides silicatés dans des systèmes simplifiés de type CNAS-CO2, et les compositions obtenues dans des systèmes plus complexes proches des compositions des roches de la série magmatique alcaline, sont représentées dans un diagramme TAS (Total Alcali Silica, Le Bas et al., 1986). Ce diagramme classiquement utilisé pour caractériser les roches magmatiques, est ici étendu aux valeurs de silice plus faibles et aux valeurs en alcalins plus élevées, afin de représenter les compositions des liquides carbonatés pauvres en silice et plus riches en alcalins.

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Les systèmes CMS-CO2 ou CMAS-CO2 n’y sont pas représentés, étant donné que ces systèmes ne contiennent pas d’éléments alcalins. Les études réalisées à partir d’échantillons naturels de composition typique des volcans du Rift Est Africain sont représentées en rouge (Freestone and Hamilton, 1980; Hamilton et al., 1989; Kjarsgaard et al., 1995; Kjarsgaard, 1998; Veksler et al., 2012; Weidendorfer et al., 2019) et indiquent des compositions de liquides silicatés très alcalins (de 10 à > 30 % poids de Na2O + K2O ; Fig.II.) et relativement bas en silice (35 à < 60 % poids de SiO2), coexistant avec des liquides carbonatés de peu à très riches en alcalins (de type natrocarbonatites, > 30% de Na2O+K2O), en comparaison aux autres systèmes de compositions complexes représentés en bleu (Jones et al., 1995b; Brooker, 1998; Veksler et al., 1998; Dasgupta et al., 2006; Thomsen and Schmidt, 2008; Litasov and Ohtani, 2010; Martin et al., 2012, 2013; Massuyeau et al., 2015). Les études réalisées dans des systèmes plus simples (Brooker and Hamilton, 1990; Lee and Wyllie, 1996; Brooker and Kjarsgaard, 2011) balayent des gammes de compositions plus étendues, allant des compositions de liquides silicatés sous-saturés en silice et pauvres en alcalins en coexistence avec des liquides carbonatés également peu alcalins, à des couples de liquides hyperalcalins (Fig.II.7).

Figure II.7. Champs de composition des expériences d’immiscibilité entre liquides silicatés alcalins et liquides carbonatés. Les expériences réalisées dans des systèmes simples (ronds vides) de type CNAS-CO2 (Brooker and Hamilton, 1990; Lee and Wyllie, 1996; Brooker and Kjarsgaard, 2011) et dans des systèmes plus complexes, naturels de type Rift Est Africain (ronds rouges;Freestone and Hamilton, 1980; Hamilton et al., 1989; Kjarsgaard et al., 1995; Kjarsgaard, 1998; Veksler et al., 2012; Weidendorfer et al., 2019) ainsi que d’autres systèmes complexes variés (ronds bleus; Jones et al., 1995; Brooker, 1998; Veksler et al., 1998; Dasgupta et al., 2006; Thomsen and Schmidt, 2008; Litasov and Ohtani, 2010; Martin et al., 2012; Martin et al., 2013; Massuyeau et al., 2015) sont représentées dans un diagramme TAS (Total Alkali Silica ; Le Bas et al., 1986). Le champ gris foncé regroupe les liquides carbonatés ; le champ gris clair correspond aux liquides silicatés. Les concentrations en Na2O, K2O et SiO2 des liquides silicatés sont reportées sur une base volatil-free. La ligne noire correspond à la limite inférieure du champ de compositions possibles de liquides carbonatés et silicatés immiscibles proposé par Schmidt and Weidendorfer (2018).

La Figure II.8 met en évidence les pôles de composition des liquides coexistant en fonction des systèmes de composition présentés ci-dessus. Les liquides carbonatés pauvres en silice (Fig.II.8a) ont des compositions très variables en CaO, qui sont anti-corrélées avec les compositions en Na2O (Fig.II.8b) pour tous les systèmes chimiques étudiés. Les liquides étudiés expérimentalement varient d’un pôle calcitique (Ca-carbonatite) à un pôle sodique (Na-carbonatite ; Fig.II.8b).

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Figure II.8. Composition en éléments majeurs des liquides carbonatés et silicatés immiscibles de la base de données expérimentales. Les concentrations en CaO (% poids) sont reportées en fonction des concentrations en SiO2 (a) et en Na2O (b) des liquides carbonatés (carrés) à l’équilibre avec des liquides silicatés (ronds), pour des systèmes expérimentaux présentés dans la Figure II.1., de type CNAS-CO2 (gris), Rift Est Africain (rouge) et d’autres systèmes complexes variés (bleu).

Le « contour » du domaine de compositions des liquides silicatés et carbonatés immiscibles n’a jamais été caractérisé précisément ou défini thermodynamiquement. Dans le manteau, l’immiscibilité est supposée se produire sous le « ledge » décrit dans la partie I.1.1, dans le domaine de stabilité des liquides carbonatés mantelliques (Fig.I.2). Dans des systèmes de compositions plus ou moins riches en éléments alcalins et proches des compositions observées dans la nature, ce domaine pourrait correspondre aux gammes de compositions étudiées expérimentalement (champs gris clair et foncé,

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Fig.II.7 ; Fig.II.8), pour différentes conditions P-T. Schmidt and Weidendorfer (2018) ont cependant proposé une limite minimale au domaine possible de coexistence de ces liquides à partir des travaux réalisés expérimentalement (ligne noire, Fig.II.7), en ne considérant que des compositions suffisamment riches en éléments alcalins pour permettre la formation de ces liquides. Ceci suggère que seuls les liquides suffisamment riches en éléments alcalins peuvent produire l’immiscibilité. Cependant certaines études réalisées dans des systèmes complexes voire naturels indiquent la présence des deux liquides à l’équilibre pour des compositions inférieures à cette limite (Fig.II.7), indiquant ainsi que cette limite n’est pas clairement définie.