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L’idée au coeur de ces travaux est que les gens utilisent les connaissances qu’ils ont pour construire des modèles mentaux, avec lesquels ils comprennent les informations qui leur parviennent ou résolvent des problèmes (Vosniadou, 1991) : ces modèles mentaux, ou représentations mentales ne se construisent pas uniquement à partir des outils logico- mathématiques. Un modèle mental est ainsi une représentation mentale construite par les individus lorsqu’ils raisonnent sur le monde. Vosniadou et Brewer (1994) en mentionnent les caractéristiques principales suivantes:

• ils peuvent être manipulés mentalement pour faire des prédictions (Collins, 1985);

• ils donnent des explications, servent à comprendre, des phénomènes, en particulier des phénomènes physiques (Holland, Holyoack, Nisbett, & Thagard, 1986);

• ils sont des structures dynamiques créées sur le moment pour répondre à des situations de résolution de problèmes spécifiques (Johnson-Laird, 1983; Vosniadou et Brewer, 1992); • il existe aussi des modèles en mémoire qui sont activés par une situation;

• différents modèles contradictoires peuvent coexister chez un même individu (Gentner & Stevens, 1983);

• les individus agissent en accord avec leurs modèles mentaux. Si plusieurs modèles coexistent, ils cherchent à être en accord avec chacun d'eux, ce qui peut conduire à des contradictions.

Les travaux de Vosniadou et de ses collaborateurs, qui utilisent le modèle mental (plutôt que la représentation ou la conception), ont produit des résultats très intéressants concernant les connaissances que des enfants et des adultes ont sur la taille, la forme, les mouvements, la température, la composition, ou encore la localisation de la terre, de la lune du soleil et des étoiles (Vosniadou & Brewer, 1992), ainsi que sur les explications, qu'ils donnent de différents phénomènes concernant l'astronomie, telles que le cycle jour/nuit (Vosniadou & Brewer, 1994), les saisons ou encore les éclipses (Vosniadou, 1991).

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Nous sommes consciente de laisser ainsi de côté de nombreux autres travaux de psychologie qui se sont également intéressés à l'acquisition de connaissance. Au niveau du développement cognitif, différents types de structures de la connaissance ont été formalisés, comme par exemple les scripts, les schémas, les prototypes, etc., mais aussi les théories intuitives (celles-ci sont des structures de la connaissance). Ces théories intuitives (par exemple Framework theories chez Carey) sont les structures de connaissances étudiées dans l'approche de la théorie-théorie que nous développerons particulièrement.

24 Par exemple, Vosniadou & Brewer (1992) mettent en évidence cinq modèles alternatifs de la forme de la Terre chez des enfants de 6 à 11 ans. Ces modèles permettent de donner des explications cohérentes, sans pour autant qu'elles ne soient identiques à celles que le modèle scientifiquement accepté permet. Ainsi, les réponses des enfants peuvent paraître à première vue désorganisées, incohérentes: cette incohérence provient du fait que leurs réponses sont examinées dans le cadre du modèle scientifique de la forme de la Terre. Cependant, la mise en évidence de modèles alternatifs montre que les réponses données sont cohérentes avec le modèle. Ces cinq modèles alternatifs (Terre rectangulaire, Terre Disque, Terre duale, Terre creuse, Terre applatie) permettent d'anticiper les réponses que donnent les enfants. Les résultats de Vosniadou & Brewer mettent en évidence la progression développementale de ces modèles: plus les enfants grandissent, plus leurs modèles de la forme de la Terre évoluent dans une tentative d'intégrer l'information culturellement admise de la forme de la Terre (la Terre est ronde) avec l'information contradictoire tirée de leur l'expérience quotidienne (la Terre est plate).

En effet, ces modèles alternatifs sont contraints par certaines présuppositions, provenant des explications construites à partir de l'expérience quotidienne. Les informations qui proviennent ensuite aux enfants (par exemple, l'information culturellement acceptée et connue "La Terre est ronde") s'intègrent difficilement dans le Modèle initial (la Terre est plate) et celui-ci subit alors des aménagements, pour mieux intégrer les nouvelles informations. L'évolution se ferait par un processus de ré-interprétation graduelle du modèle, plutôt que par complète rupture. Pour formaliser ce processus, Vosniadou distingue trois niveaux de modèles: modèles initiaux, synthétiques et scientifiques.

Les modèles initiaux, sont les modèles les plus précoces. Ils sont basés sur l'interprétation que les enfants font de leur expérience quotidienne. Les modèles synthétiques sont des modèles intermédiaires entre les modèles initiaux et les modèles scientifiques. Ils sont formés lorsque le processus d’acquisition des connaissances requiert une révision des présuppositions basées sur l’interprétation de l’expérience quotidienne. Ils représentent souvent des compromis entre des croyances ou de connaissances antérieures (modèles initiaux) et de modèles plus élaborés qu'ils essaient d'intégrer. Par exemple, le Modèle de la Terre Creuse illustre bien cette tentative de réconcilier des informations contradictoires: la terre est donc une sphère, remplie à moitié: l'être humain évolue ainsi sur un plancher plat à l'intérieur d'une sphère creuse. Enfin, les modèles de niveau plus élevés sont les modèles scientifiques.

La question qui se pose alors est de comprendre comment ces modèles se construisent et évoluent. Pour ces auteurs, au niveau des modèles initiaux, le processus d’acquisition de connaissances sur le monde physique est contraint par quelques principes spécifiques au domaine, qui constituent des présuppositions (par exemple: les objets physiques sont solides, stables, tombent sans support (Spelke, 1991). Ces présuppositions peuvent être innées ou acquises de manière précoce. Elles guident la manière dont l’enfant interprète ses observations du monde et les informations qu’il reçoit de sa culture pour construire des structures de connaissances. En ce qui concerne la forme de la Terre, une présupposition est, par exemple, que le sol est plat. Cette présupposition va contraindre les modèles de la forme de la Terre. La présupposition "les objets tombent lorsqu'ils ne sont pas posés sur quelque chose" est une autre contrainte pesant sur les modèles initiaux. Ces présuppositions permettent de comprendre pourquoi ces modèles sont tels qu'ils sont. A un deuxième niveau,

25 les modèles mentaux sont eux-mêmes des contraintes de second ordre; ils émergent des connaissances acquises précédemment (i.e. émergent plus tard de la structure des connaissances acquises) et exercent à leur tour leur influence sur l’acquisition de nouvelles connaissances (Vosniadou & Brewer, 1994). A un troisième niveau, les connaissances sont organisées en théories cohérentes, spécifiques au domaine.

De ce point de vue, le changement conceptuel serait le produit du lent glissement des contraintes, par l’addition, l’élimination, la suspension ou la révision des présuppositions, croyances et modèles mentaux pendant le processus d’acquisition des connaissances (Vosniadou et Brewer, 1994). On retrouve, pour expliquer le changement conceptuel, le mécanisme piagétien d’équilibration. Par exemple, les modèles synthétiques de Vosniadou sont des tentatives de la part des apprenants de remettre le système cognitif en équilibre sans changer profondément les croyances.

Les travaux de Vosniadou permettent de faire le lien avec un paradigme important en psychologie cognitive et particulièrement en psychologie du développement: la théorie de la théorie. En effet, les principes ou présuppositions décrits ci-dessus sont à mettre en relation avec les principes au coeur des théories, qui seront décrits ci-dessous: les présuppositions feraient en effet partie d'une théorie plus large de la physique naïve. Cependant, si chez Vosniadou, le modèle scientifique (3ème niveau) possède une structure de théorie, les chercheurs de la théorie de la théorie vont plus loin encore dans la comparaison entre le scientifique et l'enfant, puisque ce dernier serait pourvu, de manière précoce voir innée, de théories lui permettant de raisonner dans un domaine donné. Les théories des enfants posséderaient les mêmes caractéristiques que les théories scientifiques.