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3.2 Modèles à temps de relaxation multiples

3.2.1 Modèles de type MRT : structure algébrique

Le tout premier travail portant sur les modèles à temps de relaxation multiples a été effectué en 1992 par Dominique D’Humières [DHu92]. Ce travail s’organise autour de la notion d’équation de Boltzmann sur réseau généralisée (Generalized Lattice Boltzmann Equation, GLBE) et a donné naissance à un des plus célèbres modèles de collision : le modèle MRT (Multiple relaxaion time) [DHu02; LL00]. Précisons d’emblée que la dénomination MRT au sens strict fait appel à une formulation bien précise [DHu02;

LL00], et non à n’importe quelle formulation à temps de relaxation multiples inspirée de la GLBE. C’est pourquoi nous ferons souvent référence à la catégorie des modèles "de type MRT" pour désigner des modèles directement inspirés du formalisme de D’Humières mais qui ne sont pas à proprement parler le modèle MRT.

Pour toute la suite, on notera pour tout vecteur a de taille n quelconque, aα = [a]α pour α = 0..n − 1. On désignera aussi fréquemment la partie hors équilibre d’une quantité par l’exposant neq par opposition à eq pour la partie à l’équilibre. Par exemple, pour la fonction de distribution, gneq = g − geq.

Pour présenter la GLBE, réécrivons l’équation de Boltzmann sur réseau adimension-nelle pour un opérateur de collision de forme plus générale (nous nous affranchissons également des tildes d’adimensionnement, par souci de clarté ) :

g(x + cα, t + 1) − g(x, t) = −A · (g(x, t) − geq(x, t)) . (3.6) La matrice de collision A, associée à un opérateur de collision donné, est supposée diago-nalisable. L’ensemble des vecteurs propres pour un opérateur de collision donné est décrit ici par {eα} et les valeurs propres associées par {sα} (pour une discrétisation en vitesses discrètes de type DdQq, on a α = 0..q − 1 et chaque vecteur eα est de taille q). Pour des raisons de stabilité, on a la condition nécessaire sα ∈ [0; 2] [LL00]. À ce stade du raison-nement, la fonction d’équilibre n’est pas encore spécifiée, mais devra assurer dans notre cas les propriétés de conservation de la masse et de la quantité de mouvement de l’opé-rateur de collision. En effet, le raisonnement que fait D’Humières pour établir le schéma de Boltzmann sur réseau dont la limite est hydrodynamique est différent de celui que nous avons établi dans notre première partie. Le raisonnement de D’Humières ne s’inspire pas, contrairement à nous, de l’équation de Boltzmann continue (il puise davantage sa source dans les travaux liés aux gaz sur réseau). On peut dire qu’il s’agit davantage d’une approche a posteriori, en comparaison de celle basée sur l’équation de Boltzmann qui a vocation a être un approche a priori.

Ensuite, il s’agit de projeter l’opérateur de collision et les fonctions de distribution sur ce choix de base de vecteurs propres pour en obtenir ce que l’on appelle les moments. Ainsi, pour la fonction de distribution g de taille q, on a la projection

g = q−1 X α=0 g · eα |eα|2eα , (3.7)

où le produit · avec un vecteur quelconque a est défini par g · a =Pq−1

k=0gkak. La quantité

mα= g · eα , (3.8)

est nommée moment de la fonction de distribution relativement à la base de vecteurs propres choisie. Il y a ainsi q moments. Il est important de noter qu’à cette étape très générale dans le raisonnement, un moment de la fonction de distribution correspond uni-quement à la coordonnée de sa projection sur un vecteur de base pour une base donnée :

les quantités macroscopiques (ρ,ρu etc...) ne sont des moments de la fonction de distri-bution qu’à l’égard de vecteurs issus d’une certaine famille de bases, sur laquelle nous reviendrons ci-après. Ainsi, les moments que nous avons évoqués dans la première partie ne sont qu’une concrétisation particulière de ce concept très général.

D’après l’équation (3.8), il existe une matrice carrée M , de taille q × q, composée des vecteurs propres de l’opérateur de collision (c’est à dire des q vecteurs eα définis précédemment), qui transforme la fonction de distribution en ses moments selon

m = M · g , (3.9)

meq = M · geq . (3.10)

Cette matrice est couramment appelée matrice de transformation. Elle correspond égale-ment à une matrice de changeégale-ment de base (ou matrice de passage) pour l’opérateur de collision et est inversible. L’opérateur de collision étant supposé diagonal dans l’espace des moments, on peut définir une matrice diagonale S dite matrice de relaxation, formée des q valeurs propres sα et telle que

A = M−1SM . (3.11)

La fonction post-collision get les moments post-collision m s’écrivent alors dans l’espace des moments

g(x, t) = g(x, t) − M−1S · (m(x, t) − meq(x, t)) , (3.12)

m(x, t) = m(x, t) − S · (m(x, t) − meq(x, t)) . (3.13) Ainsi, dans ce modèle, la collision est diagonale dans l’espace des moments (nous verrons que certains autres modèles de collision ne reposent pas sur cette hypothèse). L’opérateur BGK correspond au cas particulier où la matrice de relaxation se réduit à S = diag(1/τg), dont la valeur est imposée, on l’a vu, par la viscosité de cisaillement : il s’agit donc d’un modèle à un seul temps de relaxation.

Il est important de faire la distinction entre trois types de moments et leur comporte-ment au cours du processus de collision :

• Les moments conservés : ce sont ceux qui, comme leur nom l’indique, sont conser-vés par la collision, c’est à dire pour lesquels m = m. Pour le cas qui nous concerne, la LBM athermale en D3Q19, les moments conservés sont la densité et la quantité de mouvement.

• Les moments non conservés hydrodynamiques : ces moments ne sont pas conservés par les collisions mais apparaissent dans les équations fluides limites à l’ordre dominant. Des considérations physiques imposent donc la valeur du temps de relaxation associé à ces moments. En l’occurrence, dans notre cas, ces moments sont les moments d’ordre 2, liés au tenseur des contraintes. Les temps de relaxation associés à ces moments sont donc liés à la viscosité.

• Les moments non conservés non hydrodynamiques : ces moments ne sont pas conservés par les collisions et n’apparaissent pas dans les équations fluides li-mites à l’ordre dominant. Les temps de relaxation associés à ces moments sont donc, a priori, des paramètres libres. On les appelle aussi temps de relaxation non-hydrodynamiques.

3.2. MODÈLES À TEMPS DE RELAXATION MULTIPLES 69

L’idée des modèles à temps de relaxation multiples est précisément de modifier la valeur de ces paramètres de relaxation non-hydrodynamiques, afin d’optimiser la stabilité numé-rique ou certaines propriétés d’ordre supérieur du schéma.

Pour déterminer une classification des modèles à temps de relaxation multiples, il s’agit de s’intéresser à présent à la base de vecteurs propres choisie pour décrire l’opérateur de collision. En ce sens, il est intéressant de faire d’abord référence à la classification de Ginzburg [Gin05], que nous restreindrons ensuite par souci de simplicité

• Les bases de type MRT (Multiple Relaxation Time) : celles-ci ont pour but de fabriquer des moments qui correspondent à des quantités physiques observables, comme la masse et la quantité de mouvement par exemple. Les vecteurs de base sont des polynômes des composantes des vitesses discrètes. La composition précise de la base dépend du modèle considéré, mais on trouvera par exemple communément le vecteur de base e0 = 1 sur lequel la projection de la fonction de distribution donnera naissance au moment ρ, puis ceux donnant naissance à la quantité de mouvement, etc...

En l’occurrence, nous apporterons ici des précisions par rapport à la classification de Ginzburg, dans laquelle les bases de type MRT sont décrites comme étant orthogonales : il est en réalité tout à fait possible d’utiliser des bases non-orthogonales [Fév14] pour développer un modèle à temps de relaxation multiples : il n’y a en effet pas d’argu-ment clair en faveur de l’orthogonalisation, comme souligné égaled’argu-ment par Geier dans [Gei+15].

La dénomination MRT au sens strict fait référence aux bases popularisées par D’Hu-mières [DHu02] ainsi que Lallemand et Luo [LL00], qui sont effectivement orthogonales. Par conséquent, toutes les bases qui diffèrent de ces dernières mais qui restent construites dans l’esprit de l’équation de Boltzmann généralisée et avec pour conséquence la créa-tion d’un modèle à temps de relaxacréa-tion multiples seront placées dans la catégorie des bases "de type" MRT.

Précisons également que la notion d’orthogonalité est relative à un produit scalaire donné. Pour les bases MRT originelles [DHu02; LL00], il s’agit du produit scalaire dit non-pondéré, c’est à dire défini pour deux vecteurs quelconques par

a · b =

q−1

X

k=0

akbk . (3.14)

Or il existe d’autres bases "de type MRT" orthogonales vis à vis du produit scalaire pondéré (par exemple chez Dellar [DEL02; Del03; Del06] en 2D, Adhikari et Succi [AS08] en 2D et 3D, ou encore Fakhari et al.[FBL17] en 3D), c’est à dire le produit

a ·ωb =

q−1

X

k=0

ωkakbk , (3.15)

avec ωk les poids de quadrature définis dans la partie précédente.

• La base link-type (ou L-Type) : la base utilisée se fonde sur les paires de vitesses discrètes de sens opposés pour un réseau donné. Il y a (q − 1)/2 paires de vitesses pour un DdQq, à laquelle on rajoute la vitesse d’indice 0. Concrètement, la base est formée des vecteurs propres dits pairs e+α = δα+ δαet impairs eα = δα− δαpour chaque paire, où α désigne la direction opposée à α sur le réseau (cα = −cα), avec δ le symbole de

Kronecker. On rajoute aux vecteurs propres pairs le vecteur e0 = 2δ0 pour compléter la base. Cette base aboutit naturellement à un opérateur de collision qui décompose la fonction de distribution hors équilibre en ses parties symétrique et antisymétrique :



M−1S · mneq

α= s+αgneq+α + sαgneq−α , (3.16) où

gneq±α = (gneqα ± gneqα )/2 . (3.17) Cette famille de bases coïncide avec la base MRT de d’Humières lorsque seuls deux temps de relaxation sont utilisés, ou plus précisément lorsque pour α = 0..q − 1

s+α = s+ , (3.18)

sα = s . (3.19)

Il s’agit de la seule base L-type capable de fournir un modèle macroscopique où masse et quantité de mouvement sont conservées [Gin05] : c’est par conséquent le seul cas que nous retenons pour la suite. Ainsi est obtenu le fameux modèle TRT (Two Relaxation Time) pour lequel la fonction de collision s’écrit

gα(x, t) = gα(x, t) − (s+gαneq++ sgαneq−) . (3.20) Nous insistons sur le fait que, comme pour le sigle MRT, l’appellation TRT fait référence à un modèle précis (celui de Ginzburg [Gin05;KGT15] présenté ici) et non simplement à une méthode à deux temps de relaxation.

• Ces deux familles de base coïncident avec la base BGK de [Gin05] lorsqu’un unique temps de relaxation est utilisé.

Ginzburg a également introduit et étudié en détail des bases mixtes mélangeant MRT et base L-type [Gin05;Gin13], que nous n’étudierons pas ici.

En résumé, les bases de type MRT sont celles qui concentreront notre attention, puis-qu’elles regroupent à la fois les modèles de type MRT (dont le MRT de D’Humières et le TRT de Ginzburg) et le modèle BGK.

Si on prend le cas du modèle de D’Humières D3Q19 [DHu02], la matrice de transfor-mation M s’écrit ρ 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 e −30 −11 −11 −11 −11 8 8 8 8 8 8 8 8 8 8 8 8 8 8  12 −4 −4 −4 −4 −4 −4 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 jx 0 1 −1 0 0 0 0 1 −1 1 −1 1 −1 1 −1 0 0 0 0 qx 0 −4 4 0 0 0 0 1 −1 1 −1 1 −1 1 −1 0 0 0 0 jy 0 0 0 1 −1 0 0 1 1 −1 −1 0 0 0 0 1 −1 1 −1 qy 0 0 0 −4 4 0 0 1 1 −1 −1 0 0 0 0 1 −1 1 −1 jz 0 0 0 0 0 1 −1 0 0 0 0 1 1 −1 −1 1 1 −1 −1 qz 0 0 0 0 0 −4 4 0 0 0 0 1 1 −1 −1 1 1 −1 −1 pxx 0 2 2 −1 −1 −1 −1 1 1 1 1 1 1 1 1 −2 −2 −2 −2 πxx 0 −4 −4 2 2 2 2 1 1 1 1 1 1 1 1 −2 −2 −2 −2 pww 0 0 0 1 1 −1 −1 1 1 1 1 −1 −1 −1 −1 0 0 0 0 πww 0 0 0 −2 −2 2 2 1 1 1 1 −1 −1 −1 −1 0 0 0 0 pxy 0 0 0 0 0 0 0 1 −1 −1 1 0 0 0 0 0 0 0 0 pyz 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 −1 −1 1 pxz 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 −1 −1 1 0 0 0 0 mx 0 0 0 0 0 0 0 1 −1 1 −1 −1 1 −1 1 0 0 0 0 my 0 0 0 0 0 0 0 −1 −1 1 1 0 0 0 0 1 −1 1 −1 mz 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 1 −1 −1 −1 −1 1 1 (3.21)

3.2. MODÈLES À TEMPS DE RELAXATION MULTIPLES 71

Dans la colonne séparée de gauche, nous avons fait apparaître les moments générés par les vecteurs de base correspondants. Ici, ρ désigne la densité, j la quantité de mouvement et les quantités p∗∗ainsi que e les moments d’ordre 2 (nous avons exactement repris les notations de D’Humières). Toutes les autres quantités sont des moments non hydrodynamiques. On se réferera à [DHu02] pour l’expression polynomiale des vecteurs de base.

À noter qu’en fonction de l’ordre des indices des vitesses discrètes choisi, les colonnes peuvent avoir un ordre différent en fonction des modèles.

3.2.2 Modèles de type MRT : influence acoustique de la relaxation des