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1.3 Limite hydrodynamique de l’équation de Boltzmann

2.1.3 Choix d’une quadrature : quel critère retenir ?

Imaginons dans un premier temps que nous souhaitions retrouver les équations de Navier Stokes compressibles (incluant l’équation d’énergie) à partir de cette équation de Boltzmann à vitesses discrètes : quel degré Θ de quadrature doit-on choisir ? La contrainte maximale sur la précision de la quadrature vient nécessairement de l’équation de conser-vation de l’énergie : des trois équations de conserconser-vation, c’est elle qui fait apparaître les moments d’ordre le plus élevé. L’équation DVBE montre que pour connaître l’équation d’évolution de l’énergie (moment d’ordre 2), il faut calculer un moment d’ordre 3 de f . Pour trouver un critère physique pour déterminer Θ, nous nous basons sur l’analyse fournie dans l’étude de Shan et al. qui préconise l’utilisation d’une analyse de type Chapman-Enskog (nous reviendrons plus en détail sur ce choix dans le paragraphe réflexions complémentaires en fin de section).

De même qu’un développement de Chapman-Enskog s’effectue, nous l’avons vu, sur l’équation de Boltzmann, il peut être entrepris sur l’équation DVBE de manière extrème-ment similaire, la seule différence étant le remplaceextrème-ment des moextrème-ments continus par des moments discrets (voir [SYC06]). Or un développement de Chapman-Enskog sur l’équa-tion DVBE à l’ordre k montre que, pour calculer un moment d’ordre n de f , il faut

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pouvoir calculer exactement un moment d’ordre N(0) = n + k de feq. Les équations de Navier-Stokes correspondant à l’ordre 1, il faut être capable de calculer un moment d’ordre N(0) = 3 + 1 = 4 de feq [SYC06] si l’on souhaite traiter l’équation d’énergie. D’après les développements effectués plus haut, nous en déduisons que le degré de la quadrature à adopter doit être Θ ≥ 2N(0), soit Θ ≥ 8, avec une fonction d’équilibre tronquée à l’ordre 4.

Pour simuler les équations de Navier Stokes sans équation d’énergie (soit toujours 1), la contrainte est plus faible : seule l’évolution des moments d’ordre 1 de f doit être connue. Par conséquent, seuls les moments d’ordre n = 2 de f doivent être calculés, ce qui demande de pouvoir calculer des moments d’ordre N(0) = 2 + 1 = 3 de feq. Nous en déduisons dans ce cas que le degré de la quadrature à adopter vaut Θ ≥ 2N(0), soit Θ ≥ 6, avec une fonction d’équilibre tronquée à l’ordre 3.

En première approximation, on peut dire que plus le degré de quadrature requis est élevé, plus l’ensemble des vitesses discrètes est grand. Il existe un nombre important de formules de quadrature, dont les principales sont recensées dans [SYC06]. Il est utile, no-tamment pour la construction de la méthode numérique de Boltzmann sur réseau, d’utiliser des formules dont les abscisses se situent sur une grille cartésienne. De manière générale, en dimension d, une formule de quatradure à q vitesses dicrètes (c’est à dire q nœuds et poids associés) sera nommée DdQq. On citera parmi elles et en deux dimensions, la formule de degré 5 utilisant 9 nœuds, qui mène au modèle D2Q9, et celle de degré 7 utilisant 17 nœuds, qui mène au modèle D2Q17. En trois dimensions, on obtient des formules à 15, 19 et 27 points pour une précision de degré 5 (D3Q15, D3Q19, D3Q27). On représente sur la figure 2.1 les abscisses de la quadrature D3Q19, qui se situent sur une grille cartésienne régulière. C’est cette quadrature qui sera utilisée en pratique dans nos calculs ultérieurs. Bon nombre de formules de quadratures ne possèdent pas cette particularité de pointer sur une grille cartésienne (D2Q7, D3Q13 etc...) : on peut cependant "forcer" pour un degré de précision donné les abscisses à se situer sur un tel maillage. On pourra citer par exemple le D3Q39 pour une précision de degré 7, implémenté dans [SYC06].

Figure 2.1 – Abscisses de la quadrature D3Q19, qui coïncident avec une grille cartésienne régulière.

Ainsi, on peut résumer dans la table 2.1 les poids et nœuds des quadratures les plus utilisées en trois dimensions : les modèles D3Q19 et D3Q27. Ces quadratures sont de degré 5 : comme nous l’avons vu, l’équation de Navier-Stokes (avec ou sans équation d’énergie) ne peut être retrouvée avec une telle quadrature. Pourtant, nous montrerons dans la section

suivantes qu’elles peuvent l’être pour le cas sans équation d’énergie, moyennant l’apparition d’un terme d’erreur dans le tenseur des contraintes.

Table 2.1 – Quadratures les plus utilisées pour des modèles non-thermiques en trois dimensions

dans le système d’unités de la DVBE. Ces quadratures sont de degré 5.

Indices Vitesses cα (permutations) Poids ωα D3Q19 Poids ωα D3Q27 α = 0 (0, 0, 0) 1/9 8/27 α = 1..6 (±√ 3, 0, 0) 1/18 2/27 α = 7..18 (±√ 3, ±3, 0) 1/36 1/54 α = 19..26 (±√ 3, ±3, ±√ 3) - 1/216

Rappelons enfin que nous utilisons des grandeurs implicitement adimensionnées (dans la table 2.1, les vitesses discrètes sont adimensionnées par rapport à c0). Les grandeurs de référence n’ayant pas changé pour le moment depuis l’établissement de l’équation de Boltzmann BGK adimensionnée, on a toujours les relations suivantes entre les grandeurs adimensionnées et dimensionnelles, transposées à l’équation DVBE

˜ cα = cα c0 ρ =˜ ρ ρ0 u =˜ u c0 ˜ rT = rT c02 . (2.40)

Pour ce qui est de fα, on rappelle que

q−1

X

α=0

˜

fα = ˜ρ . (2.41)

Si on définit en unités dimensionnelles

q−1 X α=0 fα = ρ , (2.42) alors on a nécessairement ˜ fα= fα ρ0 . (2.43)

Ainsi, l’unité de fα est différente de celle de f , pour laquelle on rappelle que ˜f = f c300. Cette différence provient de subtilités d’unités lors du passage à la quadrature (équations (2.22)-(2.23)) : en unités dimensionnelles, on trouve que, si on considère les poids de quadrature ωα sans unité, l’unité de la fonction de pondération ω(c) est nécessairement le (m s−1)−3 en 3D.

Réflexions complémentaires : degré de précision et choix de quadrature Un des points très intéressants du travail de Shan et al. [SYC06] réside dans leur uti-lisation du développement de Chapman-Enskog. En effet, les auteurs proposent d’utiliser la procédure de Chapman-Enskog non pas dans le but de déduire des équations macro-scopiques, mais pour créer des modèles cinétiques dont les moments de Hermite seront compatible avec une mesure théorique d’éloignement de l’équilibre : le nombre de Knud-sen . Shan et al. préciKnud-sent dans leur article qu’en restant ainsi au niveau cinétique, le modèle créé ne souffre pas des problèmes de fermeture rencontrés par les équations ma-croscopiques au delà de l’ordre 1 en . Le nombre de Knudsen n’est donc ici qu’un outil mesurant l’éloignement de l’équilibre. Rappelons la règle générale établie dans [SYC06] :

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pour un éloignement de l’équilibre d’ordre k au sens de Chapman-Enskog, le calcul des moments d’ordre n de f exige une quadrature d’ordre suffisant pour calculer exactement les moments d’ordre N(0) = n + k de feq. Il est ainsi clair que plus k est choisi grand, plus le nombre de vitesses discrètes imposé par la quadrature sera grand, plus la distribu-tion d’équilibre discrète se rapprochera de la Maxwellienne continue et plus les moments discrets deviendront proche des moments continus. C’est la somme N(0) qui détermine le nombre de vitesses discrètes du modèle cinétique.

Toutefois, un point intéressant et sujet à réflexion, non abordé dans le travail de Shan et al., réside dans le fait que cette "règle générale" dépend de deux paramètres : n et k. Or il y a exactement N(0)+ 1 combinaisons différentes de n et de k fournissant la même somme N(0), c’est à dire le même modèle cinétique à vitesses discrètes. Très concrètement, exiger un degré de précision 2 (Burnett) pour simuler un écoulement hydrodynamique non-thermique (4 équations aux moments en 3D, n = 1) fournit le même modèle cinétique qu’en exigeant un degré de précision 1 (Navier-Stokes) pour un écoulement incluant les effets thermiques (5 équations aux moments en 3D, n = 2) : en effet, dans les deux cas, N(0) = 3. Ainsi, selon ce principe, imposer un degré plus important d’éloignement de l’équilibre revient à résoudre un plus grand système d’équations aux moments.

Sans se risquer à une conclusion hâtive sur un sujet aussi technique et complexe de théorie cinétique, il semble tout de même qu’au moins un parallèle non totalement dénué de sens puisse être tracé entre cette situation et celle des équations aux moments liées à la théorie (continue) de Grad [Gra49; Gra58] évoquée précédemment, d’autant que les travaux de Shan et al. en sont directement inspirés. Une question pratique se pose en effet aux auteurs qui utilisent des systèmes aux moments continus : quel critère détermine le nombre de moments à conserver et le degré de la troncature ? Pourquoi 13 moments ? 13 moments sont-ils suffisants pour étudier tel ou tel phénomène physique fortement hors équilibre ? Lors de la construction de son système, Grad a conservé les 13 premiers mo-ments car ceux-ci ont une interprétation physique connue (masse, quantité de mouvement, énergie, tenseur des contraintes...). Ce choix était en soi arbitraire. Or l’expérience montre que pour décrire des écoulements fortement hors-équilibre (grand nombre de Knudsen), il est souvent nécessaire d’en considérer bien davantage que 13, jusqu’à atteindre au delà de la centaine [ST03;MRW03;MR05].

La question du critère sur lequel s’appuyer pour conserver tel ou tel nombre de mo-ment est abordée notammo-ment dans [GVU08;ST03;MR05]. Dans [GVU08], l’auteur avance qu’un critère supplémentaire, sous la forme d’un petit paramètre physique (en l’occurence le nombre de Knudsen), doit être utilisé pour choisir comment tronquer le système de mo-ments (ce qui a même été mentionné par Grad lui même d’après les auteurs de [GVU08]). De même, un développement de type Chapman-Enskog sur le système aux moments est utilisé par Struchtrup et Torrilhon [ST03] pour en retenir le nombre adéquat. L’une des études les plus détaillées sur la question est sans doute celle de Müller et al. [MRW03]. Les auteurs montrent, à partir d’un modèle BGK, qu’apparaît naturellement dans les moments de Hermite une notion d’ordre de grandeur (pouvant d’ailleurs être reliée au nombre de Knudsen, comme indiqué dans l’introduction de [ST03]). Ainsi, en notant τ le temps de re-laxation BGK et φ un moment hydrodynamique (quantité de mouvement ou température par exemple), l’auteur considère les expressions en facteur de termes tels que

 τ∂φ ∂x n , ou τn nφ ∂xn , (2.44)

dans les moments comme étant physiquement d’ordre n. Le lien entre ordre tensoriel et ordre de grandeur du moment est tout à fait non trivial [MRW03], mais cette notion permet

de confirmer analytiquement la tendance instinctive suivante : les moments d’ordre tenso-riel élevé sont tendanciellement d’ordre n élevé au sens de l’Eq. (2.44)[MRW03]. Ainsi, en fonction du phénomène à étudier, on obtient le critère suivant : plus on souhaite résoudre un écoulement fortement hors équilibre (forts gradients, variations complexes...), plus on demandera un ordre n élevé, ce qui fournira analytiquement l’ordre de la troncature à adopter sur les moments. Ce critère est donc obtenu sans introduction d’un développe-ment de type Chapman-Enskog a posteriori mais s’en approche tout à fait dans l’esprit. Il fournit de manière systématique le nombre d’équations aux moments à résoudre pour une précision donnée et l’ordre de troncature à adopter : la troncature n’est plus arbitraire comme pour le système aux moments de Grad.

Ainsi, il est clair qu’un lien existe entre les critères de type Chapman-Enskog/ordre de grandeur pour les systèmes continus aux moments [ST03; MR05] et le critère de type Chapman-Enskog utilisé par Shan et al. [SYC06] dans l’approche à vitesses discrète.