• Aucun résultat trouvé

1.1 Le Modèle transthéorique du changement

1.1.2 Le Modèle transthéorique du changement, les jeunes consommateurs et les

Conformément à ce qui a été mentionné plus haut, le MTC a déjà été étudié pour une grande variété de comportements de santé et de contextes cliniques. Cependant, la grande majorité des recherches ciblant les comportements de consommation de SPA7 a été conduite auprès des populations adultes. En conséquence, d’après plusieurs chercheurs, les études investiguant la motivation pour changer la consommation de SPA des adolescents seraient encore à leur début (Battjes et al., 2003; Breda & Heflinger, 2007; Callaghan et al., 2005; Slesnick et al., 2009).

Le manque d’études auprès des jeunes est inquiétant dans la mesure où certains constats de la littérature scientifique indiquent que les processus motivationnels des adolescents pourraient être sensiblement distincts de ceux des adultes. D’une part, les caractéristiques développementales de l’adolescence (prise de risques, développement cognitif, construction de l’identité, etc.) auraient une influence sur la disposition du jeune, soit à consommer, soit à arrêter ou diminuer la consommation des SPA (Baer & Peterson, 2002). D’autre part, les recherches montrent que la majorité des jeunes entreprend un traitement de la toxicomanie grâce aux pressions des membres de la famille ou du système de justice (Breda & Helfinger, 2007). Ainsi, les pressions externes

7 Les études sur la consommation de tabac (comportement de fumer la cigarette) ont été incluses dans

cette section étant donné la pertinence de leurs analyses du MTC auprès des adolescents et aussi de la quantité limitée des études sur l’applicabilité de ce modèle aux jeunes.

pourraient jouer un rôle non négligeable, mais encore peu connu, dans la motivation au changement des mineurs.

La majorité des études recensées conduites auprès des jeunes avait pour but principal de vérifier l’applicabilité des concepts proposés par le MTC à des populations adolescentes. Faisant suite aux recherches qui ont étudié ce modèle chez les adultes, les premières études qui ont impliqué des populations adolescentes ciblaient la consommation de cigarettes.

Chez les jeunes, la dimension la plus souvent vérifiée et confirmée est celle des stades de changement, tout comme l’indiquent les études réalisées auprès des adultes (Migneault et al., 1997). Les études sur les stades du changement des adolescents sont arrivées à d’importantes conclusions. Par exemple, à l’instar de Pallonen et al. (1998a), Plummer et al. (2001) affirment qu’une particularité des interventions proposées aux adolescents est le besoin de s’adresser tant à la cessation du comportement problématique qu’à la prévention de ceci. Ainsi, en plus des cinq stades de changement qui jouent un rôle dans la cessation des comportements, on devrait aussi considérer une série de stades d’acquisition de nouveaux comportements. Dans le cas de l’acquisition de nouveaux comportements, le progrès parmi les stades est inversé, c’est-à-dire que le but de l’intervention serait de retarder ou renverser le processus d’acquisition. Le processus d’acquisition se diviserait en trois stades seulement, la précontemplation (aPC), la contemplation (aC) et la préparation (aPR), et représenteraient différents niveaux de disposition à expérimenter le comportement en question.

Dans ce sens, Pallonen et al. (1998) ainsi que Plummer et al. (2001) en étudiant le tabagisme chez les jeunes, ont conclut qu’un adolescent qui se situe à un stade d’acquisition plus avancé que celui de la contemplation est considéré à risque élevé de devenir un fumeur. En plus, l’étude de Plummer et al. (2001) confirme trois des principaux concepts du MTC (stades d’acquisition / de changement, balance décisionnelle et auto-efficacité) tant chez un échantillon d’adolescents fumeurs que chez un autre constitué de non-fumeurs.

Le concept de stades de changement a aussi démontré son utilité grâce à des recherches menées auprès d’adolescents en traitement pour l’abus de substances (Callaghan et al., 2005; Springer et al., 2006). À l’aide de l’URICA (University of Rhode Island Change Assessment), le questionnaire élaboré par les concepteurs du MTC, Callaghan et al. (2005) ont analysé la validité prédictive des stades de changement en ce qui concerne l’abandon du traitement. Les participants ont été évalués une seule fois au cours des deux premières semaines de traitement. Les chercheurs ont conclu que les adolescents qui étaient dans le stade de la précontemplation étaient les plus à risque d’abandonner le traitement avant d’arriver à son terme (dans ce cas, il s’agissait d’un traitement de 28 jours dans un contexte résidentiel). Ces résultats ont évidemment des impacts sur la pratique clinique, puisqu’en identifiant les jeunes plus à risque d’abandon, on peut élaborer des stratégies d’intervention qui pourront mieux combler leurs besoins et favoriser leur rétention au programme.

Toutefois, les stades de changement ne sont pas confirmés par toutes les études. Naar- King et al. (2006) ont analysé les concepts du MTC auprès d’un échantillon de jeunes séropositifs. Leur objectif était de vérifier la validité prédictive du modèle en ce qui concerne le changement de la consommation d’alcool et de marijuana. Les résultats montrent que, pour les deux substances, l’auto-efficacité est un médiateur de la relation entre le stade de changement et la consommation. C’est-à-dire que le stade n’était plus associé au comportement de consommation une fois que les deux dimensions de l’auto- efficacité (la confiance et la tentation) étaient incluses dans le modèle d’analyse. En fait, ces conclusions sont semblables à celles d’autres auteurs qui n’acceptent pas l’existence de stades de changement distincts (voir Littell & Girvin, 2002 pour une recension sur ce thème). Ils défendent plutôt la notion que les processus cognitifs continus (par exemple, l’auto-efficacité) seraient plus pertinents pour expliquer le changement de comportement (Littell & Girvin, 2002).

Les conclusions concernant les procédés de changement semblent également mitigées. En analysant les propriétés psychométriques de l’échelle d’évaluation « Smoking

cessation processes of change scale » auprès d’un échantillon de 798 étudiants, Hoeppner et al. (2006) concluent que l’utilisation de tous les dix procédés de changement augmente tout au long des stades, conformément à ce qui est postulé par le MTC. Or, cette étude souligne l’intérêt d’évaluer les procédés de changement dans le but d’outiller les cliniciens de façon à élaborer des interventions plus efficaces pour leur clientèle adolescente. Cependant, contrairement à l’étude précédente, l’effet des procédés de changement sur les possibilités d’avancement d’un stade motivationnel à un autre n’a pas été confirmé par Guo et al. (2009). En utilisant une méthodologie semblable à cette de Hoeppner et al. (2006) Guo, Aveyard, Fielding, & Sutton (2009) concluent que l’utilisation des procédés de changement n’est pas associée à une progression au sein des stades motivationnels. Il est à noter que les deux études ont choisi le même questionnaire, la deuxième profitant des résultats de validation publiés par la première.

Par ailleurs, les variables qui expliqueraient la motivation au changement des adolescents demeurent méconnues. En essayant de combler cette lacune au niveau de la recherche scientifique, une étude (Slesnick et al., 2009) s’est penchée sur les variables prédictives de la motivation au changement de la consommation de SPA auprès de 140 jeunes fugueurs8 et de leurs parents ou tuteurs. Les variables analysées ont été : le milieu familial, les symptômes dépressifs et la gravité de la dépendance. Leurs conclusions sont intéressantes. Premièrement, autant pour les adolescents que pour leurs parents, la perception de la qualité du milieu familial a prédit les symptômes dépressifs, qui a leur tour ont prédit la motivation au changement de l’adolescent. Ainsi, les parents qui ont démontré plus de symptômes dépressifs (en partie à cause de leur perception du milieu familial), ont influencé positivement la motivation au changement des jeunes :

« … parents with more depressif symptomes might be less involved in their adolescent’s life and might pressure their adolescent children less to change – possibly (and paradoxically) leaving those adolescents more motivated to change. » (Slesnick et al., 2009, p. 681).

8 Les auteurs définissent « jeune fugueur » comme un jeune qui a quitté sa maison pendant plus de 24

Dans le même sens, les symptômes dépressifs des adolescents (partiellement associés à leur perception du milieu familial) ont aussi prédit une plus grande motivation au changement, confirmant la relation entre détresse psychologique et motivation au changement soulignée dans d’autres études (par exemple Battjes et al., 2003). En ce qui concerne la gravité de la dépendance, les auteurs observent que plus les adolescents sont dépendants, plus ils sont motivés à changer. Bien que ce résultat soit cohérent avec les études réalisées auprès des adultes (Hiller et al., 2009; Shen, McLellan, & Merril, 2000), ce lien qui unit la gravité de la dépendance à la motivation au changement fait moins consensus quand il est question des adolescents (Breda & Helfinger, 2007; Slavet et al., 2006).

Sur ces conclusions mitigées, Slesnick et al. (2009) affirment que les différences observées dans les études peuvent être dues à des distinctions entre les niveaux de pression externe subis par les jeunes participants. Les auteurs présument que la corrélation positive entre la gravité de la dépendance et la motivation au changement deviendrait nulle si l’adolescent vivrait une importante pression externe l’incitant à changer son comportement. Dans leur étude, les chercheurs ont observé que les intervenants consacraient davantage d’effort à encourager l’implication parentale dans le traitement, que l’implication des adolescents. C’est pourquoi, les pressions externes n’auraient pas interféré dans la relation gravité-motivation de leurs jeunes participants.

En soulignant le rôle des pressions externes sur la motivation, l’étude de Slesnick et al. (2009) met en lumière l’aspect le moins développé du MTC : le contexte de changement. Le manque d’attention portée à cette cinquième dimension du MTC est flagrant et vérifiable autant dans les études conduites auprès des adolescents que dans celles se rapportant à des échantillons adultes (notez à cet effet les rares études citées par DiClemente, 2003). Au meilleur de notre connaissance, au moment de la rédaction de cette thèse, aucune étude publiée ayant pour but de vérifier les dimensions du MTC auprès d’adolescents consommateurs de SPA n’a ciblé le contexte de changement.

Pourtant, étant donné que les relations interpersonnelles semblent particulièrement intenses au cours de l’adolescence (recherche d’identification avec le groupe de pairs, tentatives d’éloignement des influences des adultes), nous aurions suffisamment d’éléments pour croire, à l’instar de Slesnik (2009), que l’environnement externe peut jouer un important rôle sur la motivation au changement des adolescents. Or, les possibles relations entre la motivation au changement et les pressions externes pourraient gagner en importance si l’analyse des relations d’aide se faisait dans les contextes d’autorité (où les clients ne sont pas toujours volontaires à l’intervention). C’est notamment le cas de la présente recherche dont l’échantillon est composé de jeunes qui se sont retrouvés dans un centre de réadaptation vers lequel ils ont normalement été référés par des tiers (famille ou système de justice) qui, la plupart du temps, souhaitent et attendent un changement de comportement significatif de leur part.

Seulement deux études discutant de façon approfondie l’application du MTC aux contextes d’autorité ont été retracées. Malheureusement, aucune des deux n’a été menée auprès d’adolescents. D’ailleurs, les environnements et les populations analysés dans ces études sont très différents. Girvin (2004) discute de la pertinence du MTC pour analyser le profil d’usagers (parents ou tuteurs d’enfants) des services sociaux de protection de l’enfance (child welfare system); tandis que Casey et al. (2005) révisent la littérature sur l’application du MTC en milieu correctionnel. Malgré les différences dans leur nature, les deux études soulignent le fait que le MTC décontextualise la motivation des individus. En mettant l’accent sur le stade de motivation et les procédés (cognitifs et comportementaux) de changement du client, le modèle néglige le contexte social et juridique qui joue sur la possibilité de modification du comportement considéré problématique (Casey et al., 2005; Girvin, 2004).

Les études discutent de la complexité d’évaluer le processus de changement quand il est question de contextes d’autorité. Or, les parents ou tuteurs qui obtiennent des services de protection à l’enfance ne sont habituellement pas volontaires à recevoir ces services et peuvent être l’objet d’une forte pression les incitant à modifier leurs comportements ou situations de vie. Ils risquent de subir d’importantes conséquences s’ils n’apportent

aucun changement : perte des services ou des ressources et même la garde de leurs enfants. Pour cette raison, ils peuvent répondre affirmativement quand on les questionne sur les changements effectués, même s’ils sont en désaccord ou s’ils ne voient pas la nécessité de réaliser de tels changements (Girvin, 2004).

Dans le même sens, le milieu carcéral constitue un important défi à l’évaluation du changement de comportement. Casey et al. (2005) notent que le MTC a été élaboré à partir d’études portant sur des comportements qui se manifestent fréquemment (par exemple, le tabagisme ou l’alcoolisme) et qui sont donc facilement observables en termes de réduction, récidive, maintien ou abstinence. Par ailleurs, il est très difficile d’évaluer le changement des comportements criminels lorsque l’individu est incarcéré ou sous contrainte de mesures de sécurité et de surveillance.

« Criminal offending, particularly in a prison environment, will not only occur less frequently, but when it does occur, is typically less likely to be observed. Moreover, the artificial environment in which offenders live may contribute to any reduction in frequency, even a temporary remission of offending behavior.” (Casey et al., 2005, p. 166/167)

Ainsi, dans ces milieux, l’évaluation des stades et procédés de changement tel que conçue par le MTC peut ne pas bien représenter toute la complexité du processus de modification du comportement sous pression externe. Par exemple, un individu en « rémission forcée » d’un certain comportement peut exprimer une certaine motivation au changement, mais ce discours peut simplement refléter une modification de comportement actuelle (Casey et al., 2005). C’est-à-dire que les stades d’action et de maintien sont particulièrement difficiles à évaluer chez un individu sous surveillance et contrainte. Dans ces cas, la distinction entre la modification intentionnelle de comportement et la conformité aux règles est souvent très compliquée.

Par ailleurs, à l’instar de Berry (1998) et Miller (1985), Girvin (2004) soulève que la résistance et la disposition au changement sont des phénomènes complexes qui n’émanent pas seulement du client. Tandis que le MTC s’occupe surtout des stades

motivationnels intrinsèques à l’individu, la disposition au changement serait mieux comprise en tant que produit des interactions entre client, intervenant et contexte. Les procédés de changement peuvent varier énormément dépendamment de la complexité du comportement ciblé et des facteurs de stress et de soutien externes. Par exemple, dans l’étude de Girvin (2004), la disposition au changement des clients a été associée à ses situations de vie courantes, à ses relations interpersonnelles et à ses expériences passées.

Les études de Casey et al. (2005), Girvin (2004) et Slesnick (2009), ajoutées au manque flagrant d’autres discussions sur l’application du MTC aux processus de changement sous pression externe, démontrent qu’au moment présent, ce modèle n’est pas suffisamment développé pour offrir une base solide à l’analyse des dimensions contextuelles (p.ex. environnement, relations interpersonnelles, contraintes) du changement. Pour cette raison, la TAD a été intégrée à notre recherche (Deci & Ryan, 1985). Cette théorie est particulièrement utile à la compréhension des sources externes de motivation au changement présentes dans les contextes potentiellement coercitifs.